Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 20, 2013 Numéro Spécial REIAH |
La recherche francophone sur les « technologies » en éducation : Réflexions rétrospectives et prospectivesGeorges-Louis BARON (Université Paris Descartes, Laboratoire EDA) RÉSUMÉ : Les applications éducatives des technologies de l'information et de la communication ont fait en France l'objet d'une série de recherches à caractère souvent pluridisciplinaire depuis les années 1960. Ce texte présente des réflexions à caractère historique sur la structuration du champ spécifique qui s'est constitué autour d'elles et sur son évolution. Il discute en particulier, d'un point de vue de sciences de l'éducation, la question de la pluridisciplinarité et celle de l'évolution des problématiques au cours du temps. MOTS CLÉS : Recherche en éducation, histoire, pluridisciplinarité ABSTRACT : ICT in education have been an object of research for at least 3 decades, constituting a specific milieu. This milieu has a pluridisciplinary character, involving researchers both from informatics and human and social sciences. This text, written from the point of view of an educational researcher, analyzes the structure of the field and discusses the evolution of the issues studied. KEYWORDS : research in education, history, pluridisciplinarity 1. ContexteChamp de pratique, les technologies en éducation et en formation ont donné naissance à un champ de recherche organisé en un ensemble de petites communautés de chercheurs et d'innovateurs. Dans chacune, la conception et la mise en œuvre de dispositifs situés sur le front de vague de la modernité (actuellement les tablettes numériques, le Web sémantique...) suscite à chaque instant un grand intérêt, sans doute parce que c'est là que sont la demande sociale et l'offre de financement des différents partenaires institutionnels intéressés par des résultats susceptibles de guider leur action. Cependant, certains thèmes de recherche ont une stabilité très importante au cours du temps, comme l'éducation aux médias, la technologie éducative ou la formation à distance... Les lignes qui suivent visent à faire synthétiquement le point sur la partie francophone de ce champ de recherche en actualisant une réflexion menée depuis plus d'une dizaine d'années (Baron, 2003), (Baron et al., 2007). Marquées par la situation française et inspirées par les sciences de l'éducation, elles se veulent une contribution à discuter et à critiquer1. D'abord une analyse de type rétrospectif est menée ; puis des considérations prospectives sont présentées. 2. Analyse rétrospective : une diversité de points de vueLe champ de recherches ici considéré a pour objet un ensemble émergent de pratiques d'éducation et d'activités d'apprentissage utilisant des instruments nouveaux et se développant grâce à des politiques publiques. Les premiers chercheurs qui s'y sont engagés étaient souvent des « marginaux-sécants » intéressés par les possibilités qui semblaient s'offrir et ouverts sur la coopération avec d'autres. La pluridisciplinarité a d'emblée été très importante, ainsi que la perméabilité de la recherche avec l'innovation pédagogique. 2.1. Un domaine pluridisciplinaire s'adaptant à la diffusion sociale des technologiesLa pluridisciplinarité a le plus souvent été asymétrique, une discipline étant en situation d'initiative. Par exemple, l'informatique a toujours joué un rôle moteur dans l'enseignement assisté par ordinateur puis dans les environnements informatiques pour l'apprentissage humain (EIAH) ; les sciences de l'information et de la communication sont motrices dans l'étude des phénomènes de communication instrumentée, la psychologie joue un rôle de leader dans l'étude des gains éventuels d'apprentissage, les « learning outcomes ». Quant aux sciences de l'éducation, discipline carrefour dont les pionniers étaient issus d'autres spécialités universitaires, elles se sont intéressées aux technologies d'apprentissage dès leur origine en se centrant sur les questions proprement éducatives. L'asymétrie d'engagement disciplinaire est fructueuse tant qu'une communication réciproque et une division du travail stables s'établissent entre les différents acteurs, ce qui permet à chacun d'y trouver son compte. Cela est parfois difficile quand les cultures et les pratiques de recherche sont éloignées. Les cas extrêmes sont celui où des spécialistes de sciences dites « dures » coopéreraient avec des chercheurs de sciences humaines et sociales en considérant que ces derniers ont pour tâche de proposer des « métriques » permettant de mesurer l'efficacité de tel ou tel système et, inversement, celui où des spécialistes de SHS considéreraient les informaticiens comme de simples développeurs de code. Dans la pratique, la poursuite de la coopération pendant un certain temps permet souvent de trouver, par ajustements successifs, une solution mutuellement satisfaisante. Il y a une dizaine d'années, plusieurs orientations de recherche étaient facilement identifiables. Les principales étaient la conception d'environnements d'apprentissage (on tend maintenant à plutôt parler de ressources) et l'étude de leurs usages éducatifs. Ce dernier domaine couvre un très large spectre allant de ce qui relève de la technologie éducative, où des systèmes logiciels incorporent une programmation didactique, à l'emploi pour l'enseignement d'instruments logiciels, qu'ils soient généraux ou qu'ils aient été spécialement conçus pour des disciplines (comme les systèmes de géométrie dynamique, d'expérimentation assistée par ordinateur, les systèmes géographiques...). Ce qui est relatif à la communication instrumentée donnait également lieu à des recherches actives. Par ailleurs, une communauté s'est constituée dans les années 1990 autour des modalités de formations ouvertes et à distance (FOAD) et une petite communauté francophone intéressée par la didactique de l'informatique elle-même et les enjeux didactiques des progiciels a été fondée à la fin des années 1980. La figure suivante, élaborée en 2003 pour le Réseau Africain de Formation à distance (RESAFAD), représente schématiquement la structuration du domaine à cette époque, en distinguant trois pôles : la conception d'environnements, leurs usages éducatifs, et les systèmes de représentation liés aux technologies, auxquels différents champs disciplinaires contribuent. Il met également en évidence les liens étroits avec l'innovation pédagogique, qui est un lien d'interlocution avec les praticiens et les décideurs (capables d'influer sur l'agenda des chercheurs).
Figure 1 • Contribution de différents domaines disciplines à la recherche ; (Baron, 2003) Ce schéma ne rend cependant compte que d'un des volets de la réalité : se centrant sur les domaines scientifiques de référence, il ne rend pas compte de deux points, essentiels. Le premier est celui du niveau d'éducation et de formation considéré (enseignement primaire, secondaire, supérieur, formation continuée...), qui est une donnée essentielle pour les recherches en éducation. Le second est le type d'entité principalement considéré : apprenants, instruments, dispositif de formation, systèmes sociaux. De ce point de vue, la focalisation des recherches était plurielle. En l'espace de 10 ans, la modélisation a conservé une certaine actualité, mais des évolutions se sont, bien entendu, produites. Par exemple, les sciences sociales sont davantage intervenues au fur et à mesure que les technologies se socialisaient et l'étude de la communication instrumentée s'est développée corrélativement à la diffusion d'Internet et des réseaux. La place de l'informatique s'est un peu modifiée : l'intérêt est passé de la conception d'environnements informatisés s'adaptant efficacement à des usagers individuels à celle de systèmes permettant d'indexer des contenus, de créer des jeux sérieux, des dispositifs de formation en ligne, de nouvelles interfaces tangibles12, d'analyser des traces d'apprentissage, afin de produire des analyses (des « analytics ») permettant de renvoyer un reflet des activités menées en ligne (Long et Siemens, 2013). 2.2. Un large spectre de théories et de modèlesUne question clé dans la pluridisciplinarité est celle des théories, des modèles conceptuels et des méthodes de recherche qui signent en quelque sorte l'identité disciplinaire des chercheurs. De ce point de vue, il existe des spécificités propres à chacune et il est recommandé pour les chercheurs de clairement situer leurs références théoriques par rapport à elles. Au Canada, pour prendre un autre exemple, comme dans le monde nord-américain, on attache moins d'importance à l'ancrage dans telle ou telle discipline pourvu que la problématisation soit cohérente et qu'elle se révèle fructueuse. 2.2.1. Une utilisation de théories et de modèles disciplinairesIl ne s'est pas constitué de théorie générale suffisamment reconnue et les cadres de référence utilisés par les chercheurs empruntent souvent de manière syncrétique à des disciplines déjà constituées. La psychologie a joué un rôle fondamental dès la période de l'enseignement programmé. Des efforts de théorisation importants ont été faits dans le domaine de la technologie éducative. On peut ainsi citer des théories de l'Instructional Design, comme celles de David Merrill (Component Display Theory ou Instructional Transaction Theory par exemple) (Merrill, 1999), ou les travaux de J-R Anderson, qui a produit une théorie sophistiquée de l'apprentissage inspirant directement la création de systèmes d'intelligence artificielle (Anderson, 1990) ou encore les très intéressants travaux maintenant un peu oubliés de Lev N. Landa sur les algorithmes d'enseignement (Landa, 1984). Un basculement conceptuel s'est produit en France lors de la diffusion, dans les années 1990, des théories de l'activité instrumentée (Rabardel, 1995). Les informaticiens ont ouvert, souvent en relation avec des psychologues et des spécialistes d'éducation, des pistes de recherches ensuite suivies par d'autres : c'est ainsi le cas pour les travaux sur la création de « langages d'écriture de cours » (Coulon et Kayser, 1975), les tuteurs intelligents (Nicaud et Vivet, 1988), sur les hypertextes (Bruillard et de La Passardière, 1998), sur la scénarisation pédagogique (Paquette et al., 1997). Il convient aussi de mentionner les travaux menés autour de la psychologie de la programmation (Rogalski et Samurçay, 1986) ainsi que ceux menés sur la recherche d'information (Tricot, 2007), car ils ont marqué la réflexion et, tout en ayant un ancrage ferme en psychologie, sont ouverts à l'informatique et prennent en compte les problématiques d'éducation et de formation. Enfin, la question des dynamiques psychiques liées aux environnements informatisés en milieu éducatif a fait l'objet de travaux (Rinaudo, 2002). Une série d'autres travaux ont été entrepris autour de l'acceptation des technologies, suivant les travaux classiques de Davis et de ses collègues (Bagozzi, 2007) sur le Technology acceptance model. Il s'agit d'une modélisation de type statistique utilisant des questionnaires et des techniques de régression linéaire, qu'on trouve parfois utilisée dans des recherches en éducation. Ces approches, qui conduisent le plus souvent à une image instantanée d'une population donnée, apportent une contribution modeste aux problématiques éducatives. Les didactiques se sont très tôt intéressées au rôle des outils informatisés dans la transmission de savoirs, en particulier en mathématiques : les calculatrices programmables puis les premiers ordinateurs dotés de capacités graphiques ont fait l'objet de recherches dès les années 1970 (Errecalde et Hocquenghem, 1983), (Artigue et Douady, 1986). Ces travaux pionniers ne faisaient guère usage des principales théories didactiques : ces derniers ne prenaient en effet pas en compte l'utilisation d'environnements informatisés susceptibles de changer le rapport au savoir et il y a eu une tendance à considérer ces environnements au mieux comme éléments du milieu tel que l'a défini Guy Brousseau. Par la suite, la notion de transposition informatique a été proposée, dans les années 1990, comme problème à prendre en compte par la didactique des mathématiques (Balacheff, 1993). Le mouvement dit de la didactique professionnelle, mettant davantage l'accent sur la structure conceptuelle de la situation que sur le savoir, ce qui permet de prendre en compte les instruments (Pastré, 2002) a proposé des contributions importantes, s'agissant en particulier de formations fondées sur des simulations (Samurçay et Rogalski, 1998). Il convient également de mentionner les travaux issus de didactique des langues, où des instruments technologiques ont été utilisés bien avant l'ordinateur, notamment dans le cadre des laboratoires de langue. Cette communauté à caractère pluridisciplinaire, qui alimente une revue en ligne reconnue, ALSIC3, consacrée au domaine de l'apprentissage des langues assisté par ordinateur, est assez productive en termes de théories. 2.2.2. Un ensemble de théories et de modélisations d'inspiration systémiqueUn certain nombre de théories et de modélisations d'orientation systémique, permettant de s'intéresser à différentes entités simultanément (les sujets, les institutions, les outils, les savoirs...), ont été utilisées dès le début des années 1970 pour comprendre l'intervention de medias et de technologies dans l'éducation. Un livre classique sur l'approche systémique en éducation, dont la première édition date de 1976 (Berger et Brunswic, 1981) aborde en détail l'utilisation des médias et des ensembles de multi medias. Plus tard, des auteurs comme Depover et Strebelle (Depover et Strebelle, 1997), analysant la dynamique de réseaux d'acteurs, et en s'inspirant des modèles sociologiques, proposeront un modèle de développement d'innovations utilisant des technologies de l’information et de la communication en distinguant en particulier trois grandes phases : adoption, implantation, routinisation. En France, la théorie la plus populaire (et donc le plus souvent dénaturée par rapport aux travaux originaux) est sans doute celle du triangle pédagogique de Jean Houssaye, qui modélise des processus antagonistes (enseigner, former, apprendre), mais ne prend pas en compte l'usage d'outils ou d'instruments. De nombreuses variations visant à faire intervenir les médias et les technologies ont été avancées. Par exemple, chez (Alava, 2000) p. 49, le 4e sommet représente les médias et on obtient donc 4 triangles différents : didactique, pédagogique, médiatique, documentaire. Dans cette formulation, l'idée de processus antagonistes n'apparaît pas nettement. Faerber, en 2003, introduit le groupe comme 4e sommet, afin de modéliser des processus collaboratifs (Faerber, 2003). Ainsi, 6 processus sont distingués (les arêtes du tétraèdre). Une analyse intéressante de ce type de modèle, où le 4e sommet est nommé « dispositif cyber-prof » a été publiée par (Lombard, 2007). Cet auteur note le pouvoir heuristique du modèle ainsi que sa grande complexité et le fait, que « bien souvent le tétraèdre s’affaisse en 2D pour revenir à un triangle didactique modifié » (p. 152). La théorie anthropologique du didactique (TAD), élaborée par Yves Chevallard, a pour sa part conduit à mettre l'accent sur les pratiques au sein d'institutions et permet de prendre en compte l'utilisation d'instruments informatisés. On trouve ainsi une mobilisation de ces théories dès la fin des années 1990 à propos de l'intégration de logiciels de calcul formel (Artigue, 1997). Par la suite, les théories de l'activité ont également été mobilisées pour prendre en compte les genèses instrumentales, et des raffinements et des extensions ont été proposés, comme la théorie de l'orchestration instrumentale (Trouche, 2003), celle de l'approche documentaire du didactique (Gueudet et Trouche, 2011), mais ces modèles restent pour l'instant surtout utilisés en didactique des mathématiques. Plus récemment, Jacques Wallet a proposé une modélisation qualitative liée au même type d'inspiration : le carré PADI (Pédagogie, Acteurs, Dispositif, Institution), qui est en fait un graphe complet à 4 sommets liés par des liens bidirectionnels permettant de focaliser l'analyse selon ces attracteurs. D'après cet auteur, la configuration du carré tend à rester à l'équilibre : faire évoluer l’un des pôles (par une innovation) entraîne un déséquilibre avec les trois autres obligeant à des changements, afin de rééquilibrer le système. Cette modélisation à visée heuristique a été mise en œuvre dans plusieurs thèses de doctorats récents (Coumaré, 2008), (Voulgre, 2011). Au niveau international, le modèle sans doute le plus utilisé désormais est issu de celui de Y. Engeström (Engeström, 1987), qui modélise des systèmes d'activités en insistant sur les différents ordres de contradiction existant entre 6 pôles : Sujet, Instrument, Objet, Division du travail, Communauté, Règles. Il s'agit d'un modèle à forte valeur heuristique, mais dont l'expérience montre que le maniement n'est pas des plus simples (comme pour tout modèle systémique) : il convient, dans cette approche, de penser en termes de systèmes d'activité, de processus concurrents et de contradictions. Il est sans utilité pratique de segmenter le modèle en dyades. L'expérience montre aussi que l'on ne peut rester sans cesse à un niveau élevé de généralité et il faut bien, dans le cours de l'analyse, séparer les variables et donc opérer, temporairement, de manière réductionniste. 2.2.3. Une ouverture sur l'innovationLa proximité avec les praticiens et la perméabilité avec l'innovation sont liées aux moyens considérables accordés à l'innovation pédagogique utilisant les technologies depuis les années 1970. Ainsi, comme l'a relevé Wallet, des formes de recherches-actions, des « approches d'essai », ont été menées parallèlement aux approches qu'il qualifie de réflexives et d'inductives (Wallet, 2001). Ces travaux présentent de l'intérêt dans la mesure où ils agissent comme des sortes de « preuves d'existence » d'une approche donnée et peuvent constituer une première étape permettant ensuite d'identifier un problème pouvant être étudié par la recherche. Pour les praticiens chercheurs, c'est aussi une excellente occasion de se décentrer et de passer, comme le relevait J. Beillerot, d'une position « en recherche » à une posture de chercheur4. Un certain nombre de supports professionnels, comme la revue de l'EPI, EPINET5, qui s'est beaucoup intéressée récemment à l'enseignement de l'informatique sont ouverts à des innovations se revendiquant comme telles sans prétendre être de la recherche. 3. Enjeux actuelsLe domaine de recherche est fractionné et les initiatives qui le sillonnent manquent parfois de coordination. Mais il reste organisé de manière assez stable. 3.1. Une structuration assez fermeLes indicateurs de structuration les plus importants sont un ensemble de revues francophones spécialisées reconnues par les instances d'évaluation de la recherche. Elles sont pour la plupart désormais librement accessibles sur Internet (Baron et Beauné, 2013). En France, trois supports « classants » pour ces autorités se distinguent : STICEF, Distance et médiation des savoirs, ALSIC. Ces revues existent depuis longtemps et sont pluridisciplinaires. Des supports davantage ouverts vers l'innovation sont apparus, comme la revue d'interface Frantice.net6 ou le portique Adjectif.net. Ce dernier, en place depuis 2007, n'est pas une revue, mais vise explicitement à accompagner les jeunes chercheurs dans la production de contributions scientifiques. Un autre indicateur de structuration se trouve dans les colloques thématiques francophones organisés périodiquement. Il s'agit pour la plupart de conférences de travail, espacées d'au moins deux ans, focalisées sur un thème précis, assez sélectives et à effectif relativement faible, qui se distinguent des grandes manifestations visant à rassembler périodiquement une communauté dans un événement comportant souvent force sessions en parallèle On peut citer EIAH, qui trouve sa source à la fois dans les Journées EIAO de Cachan en lancées en 1989 et dans les colloques Hypermédias et Apprentissages lancés en 1991, JOCAIR, fondé en 2006, qui se focalise sur la communication instrumentée en réseau pour l'apprentissage, EPAL, lancé en 2007 qui s'intéresse notamment (mais pas seulement) aux questions liées à l'apprentissage des langues en ligne, DIDAPRO / Dida&STIC, qui est l'héritier d'un colloque organisé pour la première fois en 1988 (Baron et al., 1989) et a choisi de s'intéresser spécifiquement aux questions de didactique des progiciels puis, avec la relance d'enseignements scolaires spécialisés, à la didactique de l'informatique. La série de colloques TICE s'intéresse pour sa part de puis 1998 au cas des écoles d'ingénieurs7. De nouveaux colloques francophones apparaissent régulièrement, focalisés sur des sujets ou des domaines particuliers comme l'enseignement primaire8 ou la formation des enseignants et certains, sans doute parce qu'ils correspondent à un intérêt suffisamment large, donneront lieu à de nouvelles éditions. Chose remarquable, une relève a eu lieu et un élargissement du champ s'est produit, à la fois du point de vue thématique mais aussi géographique. Si des chercheurs du Maghreb sont actifs depuis les origines, en particulier dans le domaine des environnements informatisés pour l'apprentissage, celui des usages éducatifs des technologies a connu depuis les années 1990 un développement important dans l'aire subsaharienne, où les chercheurs ont commencé à se regrouper en réseaux et à produire de manière coordonnée, notamment grâce à l'intervention d'opérateurs comme l'Agence Universitaire de la Francophonie - AUF. Il me semble tout à fait significatif, comme le montre un rapide repérage, qu'une vingtaine de thèses francophones rattachées aux sciences de l'éducation ou aux sciences de l'information et de la communication et directement liées aux TICE aient été soutenues sur des sujets liés à l'Afrique sub-saharienne depuis 2007. En somme, le champ vit, de nouvelles personnes y arrivent régulièrement, illustrant les différentes approches historiquement attestées mais proposant aussi de nouvelles manières de voir. 3.2. PerspectivesQue dire des perspectives ? Le « numérique » est bien identifié socialement comme un domaine nouveau, évolutif, posant à l'éducation et à la formation des questions importantes. Le champ actuel continuera donc à exister à moyen terme. Ceci étant, les équilibres entre les différentes communautés tendent à fluctuer et l'évolution n'est pas simple à prévoir. Un certain nombre de questions déjà posées, sont reformulées dans un cadre nouveau. Par exemple, au nom du connectivisme, théorie moderne s'il en est (Siemens, 2005), dans quelle mesure va-t-on vers le développement d'apprentissages communautaires, sans la figure traditionnelle de l'enseignant, fondé sur l'utilisation de ressources en réseau, sur l’intervention de pairs, voire sur des formes inversées d'apprentissage (flipped classrooms) ou sur l'utilisation de formes de cours massivement ouverts (MOOC) ? Avec quels types de ressources, quelles architectures informatiques et quelles programmations didactiques ? Quels nouveaux modes d'apprentissage par les pairs peuvent-ils se développer ? Avec quels effets ? De nouvelles questions apparaissent aussi, dont l'avenir dira dans quelle mesure elles auront permis de nouvelles problématisations. Par exemple, on note un grand intérêt autour de l'utilisation de nouvelles interfaces tangibles ou bien relativement aux changements qui peuvent survenir dans la communication entre les différents acteurs de l'éducation, dont les priorités et les agendas sont loin d'être compatibles, à l'organisation de communautés d'enseignants dans la production de ressources à usage éducatif (Quentin et Bruillard, 2009). Il est possible de conjecturer que l'intérêt actuellement suscité par la cognition et les neuro-sciences ne disparaîtra pas de sitôt et que les approches de type économique rencontrées ailleurs risquent de prendre davantage d'importance (Machin et al., 2007). En effet, l'agenda des chercheurs s'adapte à l'intérêt institutionnel, qui conditionne l'importance des crédits ouverts. Les informaticiens ont encore un grand rôle à jouer pour concevoir des instruments coopératifs nouveaux et les questions d'usage (et en particulier de ce qui rend possible les usages) vont continuer à se poser, dans des termes qui évolueront avec les types d'instruments considérés. Un axe prometteur est celui des recherches visant à analyser des dynamiques d'appropriation d'outils technologiques dans des systèmes d'activité. Une telle perspective oblige à des méthodes d'analyse de type longitudinal car les approches de type prise unique d'information par questionnaire (par exemple) ne sont pas bien adaptées à l'observation d'un processus. Deux risques peuvent être identifiés. Le premier, qui est aussi une chance étant donné l'intérêt des décideurs pour les questions de prise en compte de nouvelles technologies, est que les chercheurs soient instrumentalisés dans des études en tout genre relevant de l'innovation commanditée par des institutions (autorités territoriales, ministères, Europe, associations nationales, organisations internationales...) selon des temporalités courtes et avec une pression forte pour produire des livrables « opérationnels ». L'expérience a montré que cette source de financement permettait de produire quelques résultats (qui souvent déçoivent les commanditaires), mais surtout de construire de nouvelles problématiques, pouvant donner lieu ensuite à des recherches coopératives entre chercheurs se réclamant de différents cadres conceptuels et capables de dialogue. Le second risque est celui d'une fracturation du champ : celle-ci pourrait se produire à cause d'une divergence progressive entre les intérêts de chercheurs rattachés à différentes communautés disciplinaires, en particulier si les enjeux propres à chacune amenaient à affaiblir la communication entre elles, ou si leur focalisation sur l'éducation et la formation venait à s'estomper. Or la pluridisciplinarité, même asymétrique, est non seulement un trait bien ancré mais aussi un atout considérable dans la mesure où elle permet d'avoir recours à un large spectre de cadres théoriques, instruments pour focaliser le regard et guider l'exploration et de confronter des résultats. De ce point de vue, il n'y a pas de risque de pénurie à court terme et c'est à mon avis heureux, la diversité, ici comme ailleurs, est signe de vitalité. Remerciements : Merci aux relecteurs anonymes et à Monique Baron pour leurs remarques et critiques judicieuses. RéférencesALAVA S. Cyberespace et
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Université de Rouen, : A propos de l’auteurGeorges-Louis BARON est professeur de sciences de l'éducation à l’Université Paris Descartes. Il s'intéresse, depuis la fin des années 1970, à l'informatique en éducation et a exercé diverses responsabilités de direction d'équipes de recherche depuis 1991. Ses thèmes de recherche actuels concernent les enjeux didactiques des instruments informatiques, les modes d'appropriation de ces instruments par les apprenants et les enseignants, la technologie éducative. Adresse : Université Paris Descartes, Faculté de sciences humaines et sociales-Sorbonne, 45, rue des saints pères, 75006 Paris Courriel : georges-louis.baron@univ-paris5.fr Toile : http://gl.baron.free.fr/perso 1 On remarquera que je n'utilise presque pas ici le mot « numérique », qui se substitue progressivement à l'appellation « TIC », dans la mesure où mon analyse englobe une période où il n'était pas encore utilisé. 2 C’est-à-dire que l'on touche... 3 Apprentissage des langues et systèmes d'information et de communication ; http://alsic.revues.org/. 4 Pour lui, c'est le cas de « toute personne qui réfléchit aux problèmes, ou aux difficultés qu'elle rencontre, ou bien au sens qu'elle tente de découvrir, que ce soit dans sa vie personnelle ou dans sa vie sociale » (1991, p. 19). 5 http://epi.asso.fr/revue/articsom.htm 7 Le premier colloque était intitulé « NTICF ». Le dernier à cette date a eu lieu en 2012 à Paris : http://www.mines-paristech.fr/Agenda/Colloque-TICE-2012/322. 8 Un colloque francophone École et TIC (éTIC) vient ainsi de se tenir à Limoges. (http://www.flsh.unilim.fr/fred/). | |
Référence de l´article :
Georges-Louis BARON, La recherche francophone sur les « technologies » en éducation : Réflexions rétrospectives et prospectives, Revue STICEF, Volume 20, 2013, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 16/04/2014, http://sticef.org © Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2013 |