Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 19, 2012 |
Individualisation de parcours d’apprentissage : potentiel de blogsCatherine LOISY (IFE – ENS-Lyon) RÉSUMÉ : Cet article examine l'individualisation de parcours d’apprentissage, dans le cadre de l’utilisation de blogs. La théorie des genèses instrumentales permet de définir les caractéristiques de l'environnement numérique soutenant la construction de compétences relatives à l’identité numérique et à l’orientation ; elle conduit à mettre en place des e-portfolios. La notion de tutorat donne un cadre pour analyser la gestion de l’apprendre. La recherche interroge les pratiques d’enseignants de trois classes du secondaire. La manière dont les enseignants gèrent les apprentissages de leurs élèves est analysée en termes d'acceptabilité des artefacts, et de soutien des dimensions cognitives et affectives dans l'apprentissage. Par rapport à l’individualisation des apprentissages, des variations sont observées entre les données collectées, mais elles ne sont pas liées à des différences de compétences numériques des enseignants. MOTS CLÉS : Individualisation, e-portfolio, identité numérique, orientation active, genèses instrumentales, gestion de l’apprendre. ABSTRACT : The present paper examines individualization of learning paths, in the context of the use of blogs. The theory of instrumental genesis permits defining the characteristics of the digital environment supporting development of competencies related to digital identity and guidance, and leads to the implementation of e-portfolios. Tutoring provides a framework for analyzing learning management. This research examines the practices of teachers from three high school classes. Teacher management of student learning is analyzed in terms of the acceptability of artefacts, and of supporting cognitive and affective dimensions in learning. In relation to the consideration of individualized learning, there are differences between the collected data, but these cannot be explained by differences in the teachers’ digital competencies. KEYWORDS : Individualization, e-portfolio, digital identity, career guidance, instrumental genesis, learning management. 1. IntroductionEn France, les compétences relatives à l’informatique et l’Internet des élèves sont désormais évaluées à tous les niveaux de la scolarité obligatoire. Cependant, avec l’évolution constante des potentialités du numérique, de nouvelles questions apparaissent régulièrement qui soulignent les limites des référentiels. Ainsi, avec l’essor des réseaux sociaux, se pose la question de l’identité numérique. Parallèlement, pendant longtemps, l’orientation des élèves en France était décidée par l’institution, mais les choses changent ; aujourd'hui, il est demandé à l’élève de s’investir dans son projet d’orientation et les compétences relatives à ce projet sont évaluées officiellement en fin de collège. La construction du projet d’orientation passe par une réflexion sur soi : il faut permettre à la personne à la fois de conscientiser les formes identitaires qui lui paraissent souhaitables et d’identifier les activités et interactions susceptibles de permettre de se construire dans ces formes (Guichard et Huteau, 2005). Pour ces deux visées, l’identité numérique et l’orientation, la construction de l’identité est centrale. Dans ce contexte, le projet INO(1) (Identité numérique et orientation) vise à faire en sorte que les enseignants construisent des situations pédagogiques dans lesquelles les élèves travaillent leur projet d’orientation tout en développant des compétences relatives à leur identité numérique. Soutenir cette construction identitaire potentiellement permise nécessite une individualisation des parcours d’apprentissage et de développement des élèves. Cet article interroge comment cette individualisation des parcours peut exister, via l’usage d’environnements numériques, dans des classes ordinaires, l’une de collège, les autres de lycée. On parle d’identité numérique pour désigner les représentations d’une personne qui sont présentes dans les systèmes d’informations. L’identité numérique est liée à l’avènement du Web qui offre des possibilités d’expression avec les blogs, les forums, les réseaux sociaux, etc. : on peut observer la multiplication de données personnelles sur la toile. Cette représentation de soi émanant directement de ce que l’usager décide de montrer de lui-même en le saisissant sur la toile est l’identité déclarative au sens de George (George, 2009). A son propos, Cardon (Cardon, 2008) note que les usagers n’hésitent pas à entrer en relation avec des inconnus, voire à montrer des traits de leur identité sur lesquels on aurait pu supposer une certaine réserve. Une étude (Varga et Caron, 2009) indique que, chez les étudiants, une certaine porosité existe entre les sphères privée et institutionnelle “dans la mesure où leurs réseaux sociaux et les amitiés sont souvent liés à leur formation” (p. 12) et alors même que cette porosité n’est pas présente dans leurs représentations. Par ailleurs, l’identité numérique évolue aussi indépendamment des actions volontaires des personnes (George, 2009). L’auteur distingue deux types de représentations de soi sur le Web qui échappent partiellement à l’usager ; l’identité agissante se compose des signes interprétés par les systèmes d’information à partir des activités de l’usager sur la toile (par exemple, les connexions sur Google permettent au système de repérer à quoi s’intéresse l’usager) ; l’identité calculée est le produit des calculs du système d’information (par exemple, le nombre d’amis sur Facebook). Pour Merzeau (Merzeau, 2010), les usagers devraient avoir une visibilité sur la traçabilité et apprendre à anticiper l’indexation que peut mettre en place le système dès le dépôt de leurs données. L’auteur souligne également que, pour contrebalancer cette part passive grandissante, il faut encourager les usagers à participer activement à la production de leur identité et renforcer leur projet d’habiter l’espace numérique. Pour ce qui concerne l’orientation, le Conseil Européen de Lisbonne (2000) a défini une stratégie pour dix années, le programme Éducation et formation 2010, avec un engagement de l’Union Européenne à réformer sa politique d’éducation et de formation en donnant une place centrale à l’orientation. La conférence de Jyväskylä (Finlande) en 2006 prône le déploiement de politiques nationales d’orientation tout au long de la vie. En France, depuis 2009, la publication d’une circulaire(2) met l’accent sur la prise en charge, par l’élève, de son orientation. Le texte dit que l’élève doit construire un projet d’orientation en s’appuyant sur sa personnalité, par une prise de conscience de ses aspirations et compétences. On doit également lui donner accès aux possibilités d’orientation scolaire et de métiers. L’élève est accompagné par l’équipe éducative, dont les enseignants. Au collège, le socle commun de connaissances et de compétences(3) (socle commun) précise que l’élève doit développer sa “capacité à s'orienter tout au long de la vie”. L’éducation à l’orientation se fonde sur la perception de l’environnement comme mouvant (Pelletier et Dumora, 1984). Dans ce contexte, il s’agit de faire acquérir à l’élève une compétence susceptible de le rendre capable d’analyser les éléments de soi et la structure du monde environnant afin de développer des stratégies d’ajustement, compétences ne s’inscrivant pas uniquement dans le temps présent, mais censées être pérennes. Comme cela a été mentionné, la construction de l’identité est centrale dans les deux visées du projet, l’identité numérique et l’orientation. Processus psychique majeur, l’identité est un ensemble de “caractéristiques physiques, psychologiques, morales, juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se présenter, se connaître et se faire connaître, ou à partir desquelles autrui peut la définir, la situer, ou la reconnaître” (Tap, 1979, p.8). Sa construction progressive commence dès l’enfance et se poursuit à l’âge adulte dans les confrontations avec d’autres personnes. Pour Jorro (Jorro, 2009, p. 4), “L’engagement dans une dynamique de professionnalisation s’accompagne de prises de consciences successives, parfois coûteuses : nécessité de se connaître pour élaborer un projet, de se dégager des formulations vagues pour cibler des enjeux d’apprentissage.” Ce cadre parait transposable malgré les différences entre les populations concernées par ces recherches. Le cadre théorique conduit à proposer l’usage de portfolio numérique ou e-portfolio pour soutenir l’individualisation des apprentissages et du développement et l’articule avec la nécessité de mettre en place une gestion des dispositions à apprendre. 2. Cadre théorique2.1. Cadre généralLa recherche INO est axée sur une épistémologie ancrée dans le socioconstructiviste où la connaissance se construit dans l’interaction entre un sujet et l’objet à connaître, par le biais d’interactions sociales. Dans la perspective piagétienne e.g. (Piaget, 1937), l’interaction sujet-objet construit à la fois la connaissance de l’objet et participe du mode d’élaboration de la connaissance au sens plus général d’intelligence ; c’est en expérimentant le réel que le sujet construit, et la connaissance de l’objet, et la connaissance de son expérience. Il existe un double mouvement de transformation du milieu par l’action du sujet et de transformation du sujet par son action sur le milieu. Vygotski qui s’intéresse également au développement du sujet, insiste sur le statut social du fonctionnement humain et modélise le rôle d’autrui dans la construction des processus cognitifs, sans ôter le caractère individuel de l’apprentissage. C’est l’interaction sujet-objet-autrui qui construit à la fois la connaissance de l’objet et participe du mode d’élaboration de la connaissance au sens plus général d’intelligence, et qui sous-tend le développement du sujet. Dans cette théorie, l’apprentissage permet le développement. L’activité humaine est une activité de transformation d’objets. Capable d’être l’acteur de ses dynamiques d'évolution, “à la fois sujet d’activités productives au quotidien et sujet d’activités constructives, par lesquelles il modèle ses systèmes de ressources et de valeurs, ses domaines, situations et conditions d’activités pour le futur” (Rabardel, 2005/2009, p. 13), le sujet produit, c'est-à-dire qu’il agit et transforme des objets du monde qui l’entoure ; il construit, c'est-à-dire que, lorsqu’il produit, son activité le façonne en retour. On parle d’activité constructive pour désigner l’activité qui vise à produire des moyens pour une activité future (Rabardel et Samurçay, 2003). Pour ce faire, le sujet dispose d’instruments psychologiques qui soutiennent ses actions et son activité de transformation (Vygotski, 1934/1985). En observant de très près l’activité et les dires de jeunes enfants aux prises avec un “problème”, l’auteur montre le statut d’instrument du langage : le “langage extérieur”, que Piaget qualifie d’égocentrique, joue un rôle dans la prise de distance progressive de l’enfant par rapport à son action, puis il s’intériorise précisément quand il est devenu un instrument suffisamment efficient. Les instruments sont ainsi “incorporés au corps agissant” (Rabardel, 2005/2009, p. 15). Dans le monde contemporain, l’homme dispose de nombreux objets anthropotechniques ou artefacts (Rabardel, 1995) qui augmentent sa capacité d’action, mais ces artefacts ne sont pas a priori des instruments, ils le deviennent lorsqu’ils acquièrent cette double nature d’extension à la fois interne et externe au sujet, entité alliant composante artefactuelle (artefact matériel ou symbolique) et composante schématique (schèmes associés). Les instruments sont avant tout des moyens d’actions ; le sujet développe des instruments pour soutenir son action de transformation des objets de son environnement. Ces instruments médiatisent les rapports du sujet aux objets de son activité ; du sujet à lui-même ; du sujet à autrui. Quatre types de médiations dans l’activité productive et dans l’activité constructive peuvent être distingués (Béguin et Rabardel, 2000) : - les médiations pragmatiques orientées vers l’action sur l’objet de l’activité ; - les médiations épistémiques orientées vers la connaissance de l’objet lui-même ; - les médiations heuristiques ou réflexives orientées vers la connaissance et la gestion de soi, par exemple, en anticipant comment l’activité actuelle pourra orienter l’activité future ; - les médiations interpersonnelles orientées vers la gestion de toutes les dimensions dans lesquelles autrui est partie prenante. La figure 1 illustre ce modèle de développement du sujet. Figure 1 • Le développement du sujet Ce cadre théorique général conduit aussi à poser la question des environnements technologiques qui sont les plus à-même de soutenir l’apprentissage et le développement individuel. 2.2. Un environnement numérique pour soutenir des activités constructives2.2.1. Portfolio d’apprentissage et développementLe développement s’effectue par une action sur des objets, nécessairement située dans un environnement social, et articulée à une réflexion. Ceci fournit un cadre pour penser les caractéristiques des dispositifs d’apprentissage : un environnement soutenant la genèse d’un instrument qui devrait articuler les trois types de rapports qu’un sujet peut entretenir avec le réel, en l’occurrence le rapport à l’objet de l’activité, le rapport à soi-même, le rapport à autrui. Il s’agit de soutenir la construction de quatre types de médiations mises en évidence par la psychologie du développement : les médiations pragmatiques orientées vers l’action, les médiations épistémiques orientées vers la connaissance des objets, les médiations réflexives orientées vers la connaissance et la gestion de soi ; les médiations interpersonnelles orientées vers la gestion des rapports à autrui. La figure 2 illustre comment le portfolio d’apprentissage soutient le développement du sujet.
Le portfolio, collection de documents et de réflexions que le sujet récolte et organise, soutient son développement : - Le portfolio prend forme dans un « objet-portfolio » que le sujet conçoit et développe lui-même ; les dimensions pragmatiques et épistémiques sont entremêlées puisque la production du portfolio et les connaissances sur le portfolio sont étroitement imbriquées. Layec (Layec, 2006) montre comment des étudiants se forment aux méthodologies et outils proposés tout en pilotant leur démarche portfolio ; - La principale fonction du portfolio est l’analyse réflexive de son auteur sur lui-même et sur ses propres activités (Allal, 1999) ; le portfolio soutient par nature les médiations réflexives. Celles-ci doivent se dérouler, de préférence, dans un espace totalement privé du portfolio ; - Enfin, le portfolio participe de médiations interpersonnelles : il peut être utilisé dans des espaces plus ou moins ouverts (privé/semi-public/public), permettant de ménager des possibilités d'échanges à différents niveaux, avec différents acteurs ; les espaces semi-publics permettent à des personnes choisies d’être partie prenante de l'activité et d’organiser des échanges constructifs. La version numérique, e-portfolio, offre de nombreux avantages : un espace de stockage important, une grande maniabilité, une facilité d’organisation-réorganisation des données stockées, un transfert aisé d’un espace à un autre, des possibilités d’ouverture quasi infinies. Il permet également de stocker des documents de natures diverses : documents écrits, mais aussi photographies, documents sonores, vidéos... Il offre des possibilités d’annotation, comme les tags. Le e-portfolio ne change pas fondamentalement la démarche mais il convient toutefois de veiller à ce que le sujet ne se centre pas seulement sur la simple présentation de soi en occultant la dimension réflexive (Quéré, 2000) ; (Vermersch, 2000) ; (Loisy et al., 2011). 2.2.2. Caractéristiques du e-portfolio dans le projet INOL’instrument médiateur étant à la fois de nature technique et psychologique (Béguin et Rabardel, 2001), dans le cadre d’INO, l’élève devrait produire son portfolio tout en développant un instrument. Il devrait conserver des documents relatifs à ces ressources dans son portfolio. Au fil de cette production, il analyserait ce qu’il produit, notamment les ressources sur les métiers et carrières, celles qui permettent de construire son projet d’orientation, celles qui concernent les attentes sociétales ; l’instrument permettrait alors une médiation épistémique à son portfolio. L’élève devrait produire des documents relatifs à lui-même et les conserver dans un espace protégé. Il construirait ainsi une démarche réflexive sur lui-même qui participerait de la construction de son identité et alimenterait sa réflexion sur les traces qu’il peut laisser sur le Web, son identité numérique, celle-ci se nourrissant des ressources construites sur les attentes sociétales. Le portfolio et les documents qu’il contient donnent également à l’élève une image de lui-même qu’il peut examiner. L’instrument permettrait ainsi une médiation réflexive. L’élève devrait vivre des interactions notamment via l’espace semi-public de son portfolio, qui permet des interactions ciblées. Il conserverait des documents relatifs à ses collaborations et interactions sociales. Ces interactions pourraient participer à la socialisation en interrelation avec les ressources qu’il construit sur les attentes sociétales et avec son identité. L’instrument constituerait ainsi un médiateur dans son rapport à autrui. La figure 3 illustre comment il est attendu que le portfolio numérique fonctionne dans le projet INO. Figure 3 • Le portfolio numérique dans le projet INO Le modèle illustre l’individualisation des apprentissages avec une visée d’individualisation du développement : il s’agit de faire en sorte que l’élève produise un portfolio avec des documents relatifs à des activités reliées aux trois types de rapport au monde et qu’il construise une instrumentation. Dans la figure 3, les points de centration de cet article correspondent aux flèches avec doubles pointes et aux éléments qu’elles relient. Cependant, il n’est d’apprentissage que si le sujet lui-même s’engage dans un processus de genèse (Pastré, 2005) : si le portfolio numérique ou e-portfolio est adapté pour les apprentissages et le développement attendus chez les élèves dans le projet INO, l’environnement numérique n’a pas d’effet en lui-même. Apprendre et se développer ne sont possibles qu’avec une activité, un engagement de la part du sujet. 2.3. La gestion des dispositions à apprendreL’intérêt doit se porter sur la gestion des dispositions à apprendre. Cette gestion concerne deux points, la gestion des processus de production avec notamment la prise en compte des caractéristiques des artefacts (dans le but de les rendre acceptables) ; la gestion des processus de construction avec notamment la prise en compte du coût cognitif et du coût affectif de l’apprendre. 2.3.1. Des artefacts acceptablesLes qualités intrinsèques des objets influencent la construction des usages des outils numériques ; l’acceptabilité (Tricot et Tricot, 2000) joue un rôle clé puisqu’elle conditionne la décision d’utilisation des environnements numériques. L’acceptabilité renvoie à la représentation mentale de l’utilité (elle-même reliée au but visé par l’artefact) et de l’utilisabilité d’un environnement informatique pour l’apprentissage humain. Selon la norme ISO 9241-11, l’utilisabilité est “le degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction dans un contexte d’utilisation spécifié” (source Wikipédia). En d’autres termes, l’utilisateur doit percevoir les artefacts comme permettant d’atteindre les objectifs qu’il vise avec un coût cognitif acceptable, et leur utilisation doit être associée à la satisfaction d’un désir. Le concept d’utilité peut être rapproché du concept de pertinence (Tricot et Tricot, 2000). Cette dernière est la relation entre deux “groupes” (ibidem, p. 196), celui du document et ses caractéristiques versus celui de la représentation de son problème par l’utilisateur. Cette définition met l’accent sur le rôle de l’utilisateur ; si les artefacts sont conçus pour viser des buts, c’est l’utilisateur qui perçoit ou non leur utilité. Ce couple fonctionne si l’utilisateur a une représentation de son problème et des objectifs qu’il vise en adéquation avec ce que l’artefact peut effectivement l’aider à réaliser. 2.3.2. Un accompagnement humainL’utilité a été définie comme l’adéquation entre ce qu’un artefact peut aider un utilisateur à réaliser et la représentation de son problème. L’utilisabilité a été définie comme la perception que les artefacts permettent d’atteindre les objectifs visés avec un coût acceptable, mais leur utilisation doit aussi être associée à la satisfaction d’un désir. Dans le cadre des activités pédagogiques, c’est le plus souvent l’enseignant qui choisit l’environnement numérique que vont utiliser ses élèves. Une des activités de l’enseignant est alors d’aider les élèves à avoir une représentation du problème en adéquation avec l’utilisation possible de l’artefact, à faire en sorte qu’un désir d’apprendre naisse, à soutenir la motivation à poursuivre. Pour cela, la notion de tutorat, et plus spécialement le concept d’étayage-désétayage (Bruner, 1983) sont adaptés. L’étayage-désétayage renvoie à un double mouvement ; de soutien pour amener, sans le faire à sa place, un enfant à résoudre un problème qu’il ne sait pas résoudre seul ; de retrait progressif lorsque les conduites de résolution du problème de l’enfant se mettent en place. Le terme anglais scaffolding rend bien compte de ce double mouvement de construction de ponts et passerelles soutenus par une charpente, mais qui se caractérise aussi par son caractère temporaire. Bruner associe six fonctions à l’étayage, ces fonctions renvoient aux tâches qui incombent à l’adulte pour soutenir la résolution du problème par l’enfant : - L’enrôlement est une sorte de motivation initiale, l’adulte amène l'enfant à s’intéresser à l'activité, à se mettre en mouvement ; - Le maintien de l'orientation concerne le soutien de la motivation de l’enfant à poursuivre la tâche ; - Le contrôle de la frustration vise à rendre la tâche de l’enfant moins difficile et à l’aider à accepter ses erreurs ; - La réduction des degrés de liberté par laquelle l’adulte ajuste la tâche aux possibilités de l’enfant en la simplifiant si elle est trop ardue ; - La signalisation des caractéristiques dominantes qui rend plus saillantes les caractéristiques les plus utiles à la résolution du problème si l’enfant ne les perçoit pas ; - La présentation de modèle qui n’est pas une démonstration à proprement parler, mais plutôt une proposition de solution s’appuyant sur les réalisations effectives de l’enfant. Enrôlement, maintien de l'orientation, contrôle de la frustration ont à voir avec le déclenchement de l’activité de l’enfant et le soutien nécessaire au maintien de la poursuite de la tâche. La présentation adoptée ici pour présenter les six fonctions de l’étayage ne correspond pas à leur importance, ni à leur ordre d’apparition, pour soutenir l’apprentissage ; elle vise à rendre saillante l’importance des tâches de l’adulte autour de la mise en mouvement et du maintien à poursuivre qui correspondent à trois sur six des fonctions principales de l’étayage. Les tâches de l’adulte sont d’autant plus cruciales que l’enfant est jeune, ainsi que l’auteur (Bruner, 1987) le montre dans son étude sur les interactions mère-enfant dans les processus d’acquisition du langage. Les travaux de Bruner concernent l’enfant, mais ils peuvent renvoyer à toutes les situations dans lesquelles il y a asymétrie entre les partenaires, de compétences (l’un est expert et l’autre novice), de buts (l’un a pour but de faire agir alors que l’autre a pour but d’agir) ; ce modèle est donc adapté dans le contexte de l’accompagnement du projet INO en classe. Pour aider les élèves à entrer en activité, l’enseignant peut jouer sur le registre affectif, la motivation, et sur le registre cognitif, en ajustant les tâches aux possibilités des élèves, voire en montrant un modèle. 2.3.3. Caractéristiques de la gestion des dispositions à apprendre dans le projet INOSi les qualités du portfolio en font un objet idoine pour apprendre et pour se développer, il n’en demeure pas moins nécessaire que, pour ce faire, l’élève s’engage et entre en activité. Ceci implique que l’enseignant soutienne l’engagement de ses élèves tout au long de l’activité. Il doit les mettre au travail dans un environnement numérique qu’ils perçoivent comme étant utile, utilisable et acceptable, caractéristiques se rapportant à la dimension technique, mais aussi à la dimension cognitive (l’utilité renvoyant à la construction du problème) et affective (l’utilisabilité étant associée au désir d’apprendre). Il doit jouer à la fois sur la motivation et sur le registre cognitif. L’accompagnement humain vise à soutenir à la fois les processus de production et les processus de construction. Du côté des processus de production, se trouve tout ce qui se rapporte directement à la dimension technique de l’artefact plus tout ce qui vise à simplifier ou rendre accessible l’activité. Du côté des processus de construction, se trouvent les formes d’accompagnement qui visent à soutenir la motivation à entrer en action, le désir d’apprendre et de se développer, le coût cognitif de l’apprendre. Ce modèle illustre comment l’enseignant peut soutenir l’individualisation des apprentissages et du développement, en greffant un accompagnement humain à un environnement technologique. 3. MéthodologieLa recherche, dans son cadre socioconstructiviste, s’appuie sur l’approche collaborative de la recherche en éducation (Desgagné, 1997) où les savoirs se construisent dans une démarche collective d’interprétation qui met en relation théorie et pratiques. Dans cette démarche de co-construction entre membres de l’équipe, si les chercheurs ont initié le projet, en revanche, ils n’ont donné aucune prescription relative aux scénarios pédagogiques, aux ressources à construire, à la mise en œuvre, etc. aux praticiens. Les choses se sont construites chemin faisant et en interaction. Un dispositif d’accompagnement a été mis en place. Ce cadre permet de construire une méthodologie fondée sur un recueil de données “de la pratique”, c'est-à-dire d’approcher la pensée active des enseignants, et de savoir comment, confrontés à des situations nouvelles pour eux, ils s’approprient et transforment le réel. La recherche INO ne répond pas à des attentes des programmes disciplinaires, mais les visées du projet ne sont, en revanche, pas externes aux préoccupations de la sphère éducative. Comme cela a été dit en introduction, la compétence à s'orienter apparaît explicitement dans la compétence 7 du socle commun L’autonomie et l’initiative, au niveau du collège. La compétence 6 du socle commun Compétences sociales et civiques vise également la construction de l’avenir “personnel et professionnel”. Si l’identité numérique n’apparaît pas explicitement dans les compétences informatique et Internet définies dans les B2i® et dans le socle commun, il est attendu que l’élève apprenne à utiliser les technologies numériques “de façon réfléchie” (compétence 4 du socle commun La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication). 3.1. Population et méthodologie généraleLa population est composée, lors de la première année de la recherche, de trois enseignants et d’une conseillère d’orientation psychologue (COP). Dans le lycée, lycée général et technologique important d’une ville moyenne, le projet INO se déroule dans deux classes de seconde, avec un professeur de lettres et un professeur d’anglais. L’établissement accueille des élèves de toutes catégories socioprofessionnelles. Les enseignantes considèrent que l’équipement informatique est conséquent. Dans le collège, collège important d'une petite ville, le projet INO se déroule dans une classe de cinquième, avec un professeur de technologie et la COP pour des activités hors les murs de la classe. L’établissement accueille des élèves de classes sociales moyenne et peu favorisée, il y a notamment de nombreux élèves boursiers et une grande partie de la population vit en milieu rural. L’équipe du collège considère que l'équipement informatique est correct. 3.2. Méthode d’investigationDes données sont recueillies de diverses manières et à différents moments. Ici sont précisées les données attendues a priori. - Données sur l’activité de classe. Ces données sont recueillies tout au long du projet, elles sont déposées librement par les équipes en établissements sur le site collaboratif, le groupe dans son ensemble y a accès. Sont attendus : les produits du processus de conception des situations d'apprentissage, les fiches préparées à l’attention des élèves, des productions des élèves, les liens vers la partie publique du portfolio des élèves, et tout ce qui peut renseigner sur l’activité réelle ; - Données issues de l’observation de séance. L’équipe de recherche a suggéré de mettre en place des observations croisées de séances dont l’organisation est facilitée par la présence de deux concepteurs dans chaque établissement. - Données relatives à l’analyse des pratiques professionnelles. Ces données sont recueillies tout au long du projet, notamment sous la forme d’un journal de bord en ligne proposé sous format Excel ; - Recueil de représentations. Ces données sont recueillies par entretiens à différents moments du projet pour suivre l’avancée du projet dans les classes et sur des thématiques ciblées permettant de faire avancer la recherche. Une première série est prévue à mi-parcours de la première année de la recherche, par équipe d'établissement, au sein même des établissements. La seconde série est prévue en fin de première année de la recherche, en passation individuelle ; - Bilan du projet. Ces données sont recueillies par un questionnaire auquel il est possible de répondre individuellement ou par équipe à la fin de la première année de la recherche. 3.3. Méthode d’analyse des données recueilliesLes journaux de bord en ligne ont été peu renseignés. L’enseignant de collège ne l’a jamais renseigné. Les enseignantes de lycée ont commencé à le renseigner pendant un certain temps au début de la recherche, puis elles ont préféré mettre en place un blog collaboratif relatant leurs réunions de travail internes à l’établissement et leur avancée dans le projet. Il n’y a pas eu non plus d’observations croisées de séances. Les données effectivement recueillies et analysées sont les suivantes : - Documents élaborés par les praticiens : les documents déposés sur les sites web des praticiens, les diaporamas support des présentations des projets de classes, les journaux de bord ou leurs avatars, des comptes-rendus de réunions, des fiches destinées au travail des élèves, les sites des élèves quand leurs liens ont été transmis ; - Transcriptions verbatim des entretiens ; - Réponses au questionnaire final. Le matériel a été la base d'un travail à visée compréhensive. Nous avons découpé les productions et les discours des répondants en unités informationnelles, puis nous avons classé ces unités par thèmes en fonction des objectifs que nous nous étions fixés a priori tout en restant sensible à l'émergence de nouveaux thèmes. Nous avons ensuite repéré si les unités étaient spécifiques à certains participants ou si elles revenaient dans les productions et discours de tous les participants. Le nombre de participants étant limité, il n’était pas possible d’envisager une analyse statistique. Ces unités informationnelles se caractérisent par leur sens global unitaire, ce sont le plus souvent des propositions ou des phrases, mais parfois également des groupes de phrases ou simplement des mots pertinents par rapport aux objectifs poursuivis. Les unités linguistiques débordent souvent les unités de sens, mais parfois, a contrario, il a été nécessaire de dissocier plusieurs unités de sens à travers une même proposition. Les catégories sont pensées en relation avec les objectifs de l'analyse. Elles sont établies de manière à être exhaustives (toute unité informationnelle doit trouver sa place) et exclusives (chaque unité ne peut appartenir qu'à une catégorie). Pour pallier le risque de biais, plusieurs lectures successives du matériel ont été réalisées. En relation avec le cadre théorique, l’analyse porte en premier lieu sur les activités constructives en recherchant, dans les productions relatives à la classe, l’existence d’activités d’élèves en lien avec les trois types de rapport au monde : agir pour construire ; réfléchir sur soi ; interagir. Ensuite, elle interroge, à partir des entretiens et des documents relatifs au projet de chaque enseignant, comment sont gérées les dispositions à apprendre, sur le plan des artefacts et sur le plan de l’accompagnement humain. 4. Résultats4.1. Résultats générauxTous les participants ont déposé des données sur le site web qui leur était dédié. Tous ont accepté de participer aux entretiens qui se sont déroulés comme prévu, la première série en mars, la seconde en juillet, tous ont répondu à toutes les questions qui leur étaient posées. Les entretiens ont été intégralement transcrits. Enfin, le questionnaire final a été renseigné par tout le monde, individuellement au sein de l’équipe de collège, par équipe au sein de l’équipe de lycée. Le corpus est constitué de diverses données. Leur présentation commence par celles qui sont en lien avec les activités. - Activités menées en classe sur les thématiques de l’identité numérique et de l’orientation. Un scénario a été recueilli par classe, soit deux scénarios pour le lycée, un scénario pour le collège. De nombreuses ressources afférentes à ces scénarios ont été collectées comme les diaporamas de présentation du projet aux élèves et les fiches préparées à l’attention des élèves, soit pour la construction des compétences, soit pour leur évaluation. Ces documents révèlent que des activités sur l’identité numérique et sur les métiers ont été réalisées dans toutes les classes. Ces données ont été déposées par les enseignants sur le site collaboratif. - Portfolios numériques. Au lycée, les élèves des deux classes ont créé chacun un blog pour leurs e-portfolios, sauf un élève qui a été très souvent absent et n'a pas été actif dans le projet, aux dire de son enseignante ; ces blogs sont centrés sur la présentation publique de soi. Il n’y a pas eu de portfolios individuels au collège ; lors des entretiens, l’enseignant dit qu'il a fait travailler les élèves en s’appuyant sur les environnements numériques développés par l’ONISEP(4). L’enseignant avait prévu que chacun de ses élèves réalise un diaporama sur un projet de métier, mais cela n’a pas été possible en raison du démarrage du projet INO au second trimestre de l’année scolaire. Concernant le travail collectif, toute l’équipe “de terrain” était d’accord dès le lancement du projet sur le principe de partager les ressources produites pendant le projet, scénarios et ressources afférentes. Ce sont surtout les enseignants qui ont produit et déposé des ressources sur le site, la COP a toutefois mené des activités avec les élèves de la classe de cinquième du collège sur la connaissance de soi. L’équipe de lycée a donné un accès aux blogs-portfolios des élèves. Les données de la pratique (documents produits en lien avec la classe), et les extraits des entretiens sont présentés en italiques et entre guillemets dans la suite du texte(5). 4.2. Le projet INO dans la classe de 5°Le binôme du collège, enseignant de technologie et COP, intervient dans la même classe. Au sein de ce binôme, il y a un partage des domaines d’intervention, la partie du projet qui concerne l’orientation est construite et conduite par l’enseignant de technologie, la partie du projet qui concerne l’identité numérique (l’enseignant dit qu’il a parlé de connaissance de soi avec les élèves) est construite principalement par la COP et conduite par elle. Le projet INO s’intègre au travail réalisé sur la maîtrise des technologies numériques (préparation du B2i®) “L'action que nous avons choisie semble bien s'articuler avec les différents aspects traités dans le cours de technologie et devrait en bénéficier sans en modifier le programme” (extrait d’un courriel envoyé par le binôme à l’équipe de recherche à l’issue d’un travail de co-élaboration en début de projet). Le projet INO est sous-intitulé “Expérimentation du PDMF en classe de cinquième en utilisant le passeport numérique pour l’orientation”, ce qui centre d’emblée le projet sur l’utilisation des environnements numériques créés par l’ONISEP. Le projet commence par, et se consacre en grande partie à, des activités sur l’orientation ; cette thématique est abordée par la recherche d’informations dans l’environnement de ressources sur les métiers : “L’activité dominante sera [...] la découverte des métiers”. Celles-ci se déroulent dans un environnement numérique. Au cours de la deuxième réunion de recherche, l’enseignant présente un diaporama sur le Passeport numérique pour l’orientation développé par l’ONISEP. Ce diaporama contient notamment le “programme du PDMF” pour chaque niveau scolaire. En classe de cinquième, il est stipulé “L’accent est mis sur la découverte des métiers. L’objectif est d’élargir la palette des activités professionnelles appréhendées par les élèves et de développer une méthode d’observation de ces activités.” Le document donne des “Exemples de capacités à développer” ; il s’agit de décrire le métier d’une personne proche, d’exprimer les qualités requises pour un métier, d’apprendre à utiliser la documentation. La partie du projet qui concerne l’orientation s’appuie sur les objectifs ciblés dans le PDMF. L’activité cible est la “recherche en autonomie articulée avec l'utilisation du Web Classeur”. L’enseignant de technologie et la COP conduisent ensemble les premières activités en classe sur le projet et d’emblée, elles sont centrées sur les environnements numériques développés par l’ONISEP (présentation du projet ; présentation des outils développés par L’ONISEP ; quiz J'explore les métiers). Avec le professeur de technologie, l’élève réalise beaucoup d’activités sur fiche autour des thématiques de la découverte des métiers, de la découverte des formations, de l’étude des entreprises. L’élève doit être capable de compléter ces fiches qui questionnent sa compréhension de la description d’un métier. La COP se charge des activités sur l’identité numérique, ou plutôt, sur la connaissance de soi. Trois activités sont réalisées, un autoportrait, une réflexion sur ses traits personnels, une réflexion sur ses valeurs. Le document de la première séance est repris en classe à la fin du projet et réajusté en fonction des connaissances nouvelles des élèves, l’activité pédagogique est conduite par le binôme enseignant-COP. Ces productions pourraient alimenter une forme de portfolio numérique s’il en existait un, mais en fait, les environnements numériques ne sont pas utilisés pour ces activités. 4.2.1. Activités constructives
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Référence de l´article :
Catherine LOISY, Individualisation de parcours d’apprentissage : potentiel de blogs, Revue STICEF, Volume 19, 2012, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 21/11/2012, http://sticef.org © Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2012 |