Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 18, 2011 |
||||||||||||||||||||||||||||
Les enseignements du numérique en classe de
Seconde
|
La numérisation, la représentation binaire des nombres, le codage de l'information ... |
Ce sujet n'a pas rebuté les élèves. |
Réalisation de pages HTML et mise en ligne de celles-ci |
Ce sujet a été très apprécié des élèves qui se l'est rapidement approprié. |
Initiation à la programmation et aux environnements de développement |
Ce sujet a été parfois mal reçu (la complexité étant assez élevée). |
Les réseaux, initiation à l'adressage IP |
Ce sujet n'a pas rencontré un grand succès (jugé trop technique). |
L'image : taille, format, couleurs, capteurs physiques, compression, retraitement ... |
Ce sujet a été très souvent traité et très bien reçu. |
L'image animée : de l'image fixe au film |
Ce sujet vaste et complexe a réellement motivé les élèves après un temps de prise en main des logiciels dédiés. |
Le son, sa compression, sa lecture |
Ce sujet, fréquemment abordé, a présenté des difficultés en raison de son inhérente complexité. |
La communication par câble (liaison série en sens unique) |
Ce sujet a donné lieu à des séances de TP moyennement motivantes. |
Le GPS (réception et décodage de trames) |
Même remarque que pour le sujet précédent. |
La programmation sur téléphone portable |
Ce sujet motivait beaucoup les élèves mais s'est avéré assez difficile. |
Dangers d'Internet : virus, chevaux de Troie, attaques sur le wifi, etc. |
Ce sujet a beaucoup plu aux élèves. |
Les limites du numérique (aspects sociaux et juridiques). |
Ce sujet s'est avéré difficile à introduire et fructueux après coup. |
Réalisation de jeux de rôles avec RPG Maker (RPG = role playing game). |
Ce sujet a montré des grandes qualités, motivant les élèves et les rendant rapidement créatifs. |
Initiation à la robotique. |
Ce sujet a priori jugé motivant a présenté des obstacles en raison des aspects techniques. |
On comprend, à partir de cette liste d'exemples, que l'adéquation entre une thématique particulière et les exigences d'un enseignement d'initiation en classe de Seconde dépend du lien que les élèves peuvent faire entre cette thématique et leur univers fortement marqué par le développement du "numérique" (qu'il s'agisse des objets comme les téléphones, baladeurs, consoles ou des systèmes logiciels comme les réseaux sociaux) ; en particulier, les élèves acceptent assez bien de prendre en considération les questions techniques sous réserve d'en percevoir la finalité.
On a pu très rapidement constater un certain nombre de références pédagogiques communes à la plupart sinon à toutes les situations observées :
- un fonctionnement en équipe pédagogique (avec de fréquentes mais brèves réunions de mise au point)
- l'importance des démarches réellement pluridisciplinaires (une simple juxtaposition de démarches monodisciplinaires ne crée pas une pluridisciplinarité) ; l'informatique n'est alors pas présentée comme une discipline supplémentaire mais comme un champ de connaissance et d'expérimentation
- une forte mise en activité des élèves.
- peu de "cours" proprement dits ; les enseignants ont su faire progressivement évoluer la forme de leurs interventions des "cours" en "TP-cours" durant lesquels les éléments fondamentaux et connaissances strictement nécessaires sont "distillés" au moment le plus opportun et pas en une seule fois.
- un usage abondant des supports numériques (le cahier étant remplacé par des documents numériques voire un site collaboratif).
- des séances d'exposés régulières et préparées par les élèves.
- la conception de projets longs (trois à sept semaines) devant conclure l'année et dont la présentation, sous forme orale et parfois écrite, face au groupe-classe et parfois à des personnalités extérieures a permis une forme d'évaluation des élèves inspirée du TPE.
- une hybridation des approches, la programmation des algorithmes n'étant qu'une activité parmi d'autres ; en particulier, la familiarisation avec les capteurs de toutes sortes ou l'approche des micro-contrôleurs qui permettent de piloter divers dispositifs électroniques ont souvent joué un rôle important pour donner un aspect "concret" ou "contextualisé" souvent inspiré des sciences et techniques industrielles ou des enseignements de détermination MPI (disparus depuis).
- l'acceptation des démarches ludiques donnant un accès rapide à des situations complexes (notamment en matière d'images animées).
Le démarrage des enseignements expérimentaux fut rarement facile ; en effet, dans chaque établissement concerné il fallut constituer une équipe pédagogique pluridisciplinaire, concevoir une progression pédagogique annuelle, former le(s) groupe(s) d'élèves, régler les problèmes techniques (comme le choix des horaires, l'accès au réseau, l'installation de divers logiciels, etc.). À ces obstacles situés au niveau des équipes pédagogiques s'en sont parfois superposés d'autres, inhérents aux processus d'innovation et d'expérimentation pédagogiques (la validation académique dans le cadre de l'article 34 de la loi de 2005 a parfois nécessité plusieurs "navettes"). Dans tous les cas les chefs d'établissement ont su faire preuve de persuasion et ont énergiquement soutenu les expérimentations.
Certaines équipes ont été confrontées à des phénomènes de déperdition d'effectifs ; cela s'est particulièrement produit lorsque les enseignements étaient organisés comme option facultative, parfois avec des créneaux horaires très défavorables (samedi, mercredi après-midi, début de soirée) et en concurrence avec l'ensemble des autres enseignements ("notre option est rangée entre le latin et le théâtre"). Lorsque l'enseignement d'informatique a pu être classé parmi les enseignements de détermination (généralement par substitution complète ou partielle à un enseignement de détermination existant), les choses se sont nettement mieux déroulées.
Pour certains des enseignants impliqués, la situation s'est avérée nouvelle et parfois déstabilisante, pour quatre raisons au moins :
- Le fait de collaborer avec des collègues issus d'autres disciplines que la sienne n'a rien d'immédiat et nécessite une forme de "décentrement" qui n'a pas toujours été aisée à accomplir, notamment lorsque les interventions des uns et des autres avaient été conçues comme successives ou juxtaposées, sans élaboration préalable d'une grille de progression commune.
- Le fait de s'aventurer face aux élèves dans un domaine d'apparence familière mais finalement jamais enseigné peut mettre en difficulté, car il ne revient pas au même de savoir utiliser un outil, une technique et de savoir le transmettre en lui donnant du sens.
- Le fait, pour les professeurs ayant habituellement un service en STS, de s'adresser à un "public" jeune et remuant peut les obliger à remettre en cause des pédagogies apparemment éprouvées.
- Enfin, la difficulté à mener de front la démarche d'innovation pédagogique et la construction d'une maîtrise disciplinaire dans le domaine de l'informatique, qui fait naître deux écueils plus ou moins opposés : d'une part, le risque de se perdre dans le foisonnement des détails requis par la préparation minutieuse d'une séquence pédagogique, et d'autre part celui de passer l'essentiel de son temps à développer une culture de l'informatique sans lien direct avec l'enseignement.
Un autre ordre de difficultés fut rencontré lors du premier contact avec les situations complexes. C'est ainsi que les élèves ont souvent eu de la peine à faire le tri entre les multiples informations qui leur étaient présentées au démarrage d'une séance consacrée à l'environnement Excel+VBA ; il en a été de même lors du premier contact avec le langage C dont l'usage était requis pour la programmation d'un mini-robot. L'ergonomie des logiciels a priori non conçus pour un usage pédagogique peut donc constituer un obstacle sérieux. En sens inverse, la prise en main d'un environnement d'initiation à la programmation comme Scratch n'a causé aucun souci.
Face aux difficultés mentionnées, les enseignants se sont majoritairement adaptés, en corrigeant les progressions pédagogiques pour mieux tenir compte des réactions des élèves, ou encore en concevant très tôt les interactions entre les diverses facettes de la formation, y compris les problématiques sociales. De leur côté, les élèves se sont adaptés en "ciblant" leurs efforts sur les domaines qui leur paraissaient réellement motivants.
Dans tous les cas, les enseignants ont dû sélectionner les apports théoriques strictement indispensables8, essentiellement liés à l'acquisition de vocabulaires, codes et langages sans lesquels la progression des élèves eût été impossible. Généralement réduits à l'essentiel et distillés au fur et à mesure, ces apports permettaient aux élèves de dépasser le niveau de l'appropriation des outils pour aller vers la construction d'un savoir et le développement de leur autonomie. Cohérente avec un objectif de mise en activité des élèves, la limitation plus ou moins volontaire des apports théoriques n'a pas posé de gros problèmes compte tenu du niveau modeste des enseignements.9
Au-delà du "foisonnement" inhérent à toute démarche expérimentatrice, nous avons pu observer et rassembler un certains nombre d'éléments positifs, tant pour les élèves que les professeurs :
- La mise en activité des élèves : ce qui frappe immédiatement quand on assiste à une séance comme celles que nous avons pu observer, ce sont les élèves qui réalisent et le professeur qui accompagne, en opposition avec la passivité qui est encore trop souvent de mise durant les heures de cours "classiques" ; cette "mise en activité", voulue dès le départ, occasionna parfois des démarches un peu brouillonnes face auxquelles le rôle de l'enseignant n'était plus de sanctionner ni même de dire ce qu'il faut faire mais plutôt de structurer, clarifier, simplifier et parfois expliquer des phénomènes jugés surprenants par les élèves. C'est à l'occasion de ces explications "a posteriori" qu'il fut possible d'apporter quelques éléments théoriques dont la présentation n'avait pas été initialement prévue.
- Un certain dépassement des limites disciplinaires : la plupart des enseignants impliqués se sont placés d'emblée sur un terrain qui n'était pas le leur, et ceux qui ont débuté par des activités proches de leurs habitudes ont progressivement découvert, par la confrontation avec leurs collègues, des approches auxquelles ils n'étaient pas habitués. Des situations franchement pluri- ou transdisciplinaires sont souvent apparues ; c'est ainsi que l'enseignement de la représentation et du calcul binaires, requis par plusieurs activités et applications (micro-contrôleurs, GPS, robotique, codage des couleurs, etc.), a permis aux professeurs de mathématiques, STI et physique de se retrouver autour d'une problématique commune. Il va de soi que ce "débordement" des domaines nécessitait une bonne capacité d'anticipation.
- Le développement de la confiance en soi : les élèves qui ont participé aux expérimentations n'étaient pas tous, et de loin, conformes au profil du "bon élève qui ira en S et aura le bac avec mention", et pour ces élèves en recherche et parfois en rupture la découverte de l'informatique et des différents aspects du numérique a eu un effet important. Par exemple, dans un lycée proche de Montpellier, certains élèves "décrocheurs" et promis à une scolarité des plus incertaines en série STG ont-ils pu trouver l'occasion de valoriser leurs auto-apprentissages, d'acquérir des compétences dont ne disposaient pas leurs camarades des autres classes, et ainsi de reprendre progressivement goût à l'étude.
- Un intérêt soutenu par les contacts avec les professionnels : les conférences et visites ont développé la motivation des élèves en leur donnant une perception concrète des métiers qui s'ouvrent à eux au-delà des cycles d'études supérieures, même quand l'arrière-plan scientifique de ces conférences ou visites était très éloigné de l'univers conceptuel des élèves (ce fut particulièrement le cas avec la météorologie ou la télédiffusion numériques).
- La place des jeunes filles : leur adhésion s'est avérée très diverse. Parfois pensée dès le départ, elle a parfois été oubliée, de sorte que le pourcentage de filles a finalement varié entre 0% et 25%. Dans certains établissements au profil industriel marqué les filles ont volontiers suivi l'option ISN (ou ION, etc.) qu'elles jugeaient plus attrayante que les autres enseignements de détermination qui leur étaient proposés. Les enseignants signalent que les filles se comportent différemment des garçons sur les enseignements d'informatique : elles délaissent les activités très techniques qui se présentent de temps en temps, préfèrent celles qui sont en rapport avec la présentation, le graphisme et l'animation, et ont très volontiers un rôle moteur dans les débats de société. Quoi qu'il en soit, la réflexion sur la participation des filles a été conduite.
- La valorisation de la créativité : lors des présentations de quelques projets réalisés par les élèves dans les locaux de l'INRIA (début juin 2010), la qualité des projets a pu être évaluée par les chercheurs de l'INRIA agissant en tant que partenaires. Ceux-ci ont presque systématiquement relevé la créativité des démarches ainsi que la prise en main d'outils assez complexes par les élèves, même si de nombreux défauts de conception ou de finition pouvaient être relevés.
Bien que l'évaluation des élèves n'ait été une priorité dans aucune des expérimentations que nous avons suivies, cette question s'est systématiquement posée, notamment lors de la préparation des bulletins trimestriels. Elle a rarement reçu une réponse satisfaisante, principalement du fait d'une absence de délimitation précise des compétences mises en jeu (il eût été difficile de spécifier à l'avance une grille de compétences dans la mesure où l'enseignement projeté n'existait pas encore).
Les enseignants ont tenté diverses formes d'évaluation : contrôle de connaissance (sur papier), activité de programmation (avec machine ou sur papier) en temps limité, note ou appréciation de participation aux activités de groupe, évaluation de la progression, évaluation des attitudes (savoir-être) et bientôt l'évaluation du projet de fin de cycle (partie écrite, partie orale, réponses aux questions) selon des modalités proches de celles du TPE en fin de classe de Première. Aucune de ces stratégies d'évaluation n'a paru réellement satisfaisante aux équipes pédagogiques.
L'évaluation "sur papier" n'est pas pour autant impossible pour de tels enseignements, mais elle ne peut pas se limiter à un simple contrôle de connaissances ; il est préférable d'inscrire l'évaluation "papier" dans une perspective de résolution de problème. Un bon exemple d'une telle démarche est fourni par les concours internationaux d'informatique Bebras (le Castor Informatique en Suisse romande et en France10), qui proposent des sujets-défis dont la résolution repose sur les méthodes fondamentales de la pensée informatique ... sans nécessiter la moindre programmation (voir (Biber, 2009), (Gallenbacher, 2008)(Tort, 2011) et (Tort, 2011)).
Les projets de fin de cycle et leur présentation hors des murs du lycée ont représenté un temps particulièrement fort propre à stimuler les élèves ; cependant, concentrés sur la finition des projets, enseignants comme élèves ont eu tendance à négliger la préparation de l’événement, conduisant à des prestations inégales au plan de la forme (ce qui ne surprend guère, si on compare cette situation avec la présentation des TPE un an plus tard face à un jury) ; les élèves ont systématiquement eu tendance à articuler leur présentation de manière strictement procédurale (nous avons fait ceci, j'ai développé cela...), perdant de vue la question du sens et oubliant la nécessité de parler à un auditoire et de le convaincre.
La découverte progressive des problèmes liés aux droits dans le contexte des objets, systèmes et échanges numériques s'est manifestée dans tous les cas bien que de diverses manières. Souvent abordée dans le cadre d'exposés confiés aux élèves suivis d'un débat en classe, cette problématique a parfois été simplement déléguée à un enseignant supposé spécialiste de ces questions [professeur-documentaliste ou professeur d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS)], "dédouanant" en quelque sorte les autres enseignants de se confronter au sujet, et dans quelques cas délaissée faute de temps ou d'intervenant compétent sur ces questions.
Il est régulièrement apparu que les questions liées aux droits sont centrales dans les univers numériques que nous côtoyons : droit à l'image, exigences de respect de la vie privée et des données personnelles, licences de diffusion des logiciels et autres contenus numériques (photos par exemple), différences profondes entre droit de propriété et droit d'usage, etc. Progressivement ces aspects se sont imposés à la plupart des professeurs qui les ont finalement pris plus directement en charge, ce qui a alors suscité un grand intérêt chez les élèves.
À titre d'exemple, les séances de sensibilisation aux risques liés aux téléchargements (inscrites dans le cadre prévu par le B2i, renforcé par la loi Hadopi 2) ont suscité une écoute plutôt distante de la part des élèves : ce discours d'adultes, essentiellement répressif, s'accordait mal avec les autres éléments de la formation dispensée. C'est seulement lorsque les élèves ont eu l'occasion de mettre leurs propres œuvres en ligne (généralement des photos) et de choisir leur licence de diffusion que le débat a pu prendre de l'ampleur, chaque élève comprenant par l'exemple que les "ayant-droits" ne désignent pas seulement d'autres personnes (physiques ou morales), puissantes mais lointaines, mais potentiellement chacun de nous, et se posant enfin les questions de la propriété intellectuelle, du respect de la vie privée et du droit à l'image.
S'intéressant aux mécanismes qui sont au cœur de la société numérique, plusieurs enseignants ont conçu des activités autour des moteurs de recherche et de leurs algorithmes tandis que d'autres ont investi du temps dans la construction et l'exploitation d'un CMS11. Les élèves se sont, pour leur part, intéressés aux questions d'accessibilité et d'ergonomie.
Les enseignants ont visiblement pris plaisir à accompagner au long de cette année des élèves motivés et en effectif réduit (ce n'est pas surprenant, dans la mesure où tous étaient volontaires) Pour relever le défi d'un enseignement d'un type nouveau, sans référence ni manuel, les professeurs ont signalé avoir fourni un travail important d'apprentissage et de préparation, bien au-delà de ce que leur demandent leurs interventions dans leur discipline de rattachement ; ils ont consenti cet investissement tant pour les élèves que pour eux-mêmes, ressentant tout l'intérêt d'un enrichissement culturel dans le domaine du numérique et de l'informatique, et se disent prêts à continuer.
La nécessité d'un travail en équipe multidisciplinaire a été vécue comme une réelle nouveauté qui a aussi joué un rôle de stimulation.
Au niveau des contenus, l'écart entre l'ambition de certaines activités, les possibilités des élèves et le temps disponible a entrainé quelques frustrations et poussé les équipes à réviser leurs progressions.
Au moment de terminer leur parcours, certains enseignants ont proposé aux élèves de porter un jugement lucide sur ce qui leur avait été proposé au cours de l'année. Les réponses (qu'on trouvera dans l'annexe 1) montrent assez clairement une bonne adhésion de ceux qui ont répondu, mais doivent être nuancées par le faible nombre de réponses obtenues.
Les équipes enseignantes se sont essentiellement formées par cooptation et furent à une exception près pluridisciplinaires. Le cas de l'équipe d'un lycée de Marseille est à ce titre intéressant, dans la mesure où aux trois professeurs de mathématiques formant le "noyau initial" sont venus s'ajouter un philosophe, un historien (chargé de l'enseignement ECJS) et une documentaliste. Lorsque les projets furent suscités par les IA-IPR dans le cadre d'un plan académique et après l'adhésion du chef d'établissement, les équipes pédagogiques furent parfois moins harmonieuses et plus réticentes à mener une collaboration suivie.
Une petite moitié de ces enseignants avaient suivi des formations en informatique dans le cadre de leurs études universitaires (entre la licence et le DEA) ou de formations longues ; les autres soit ont pratiqué diverses formes d'auto-apprentissage, soit se sont formés à l'occasion d'autres enseignements (MPI par exemple, ainsi dans un lycée de Nancy).
Une enquête limitée à 23 enseignants a donné les résultats suivants :
• ont (au moins partiellement) suivi un cursus universitaire en informatique : 9
• ont suivi des stages lourds : 2
• ont exclusivement pratiqué l'auto-apprentissage de la programmation : 6
• ont commencé par un apprentissage technique (études d'électrotechnique) puis continué avec de l'autoapprentissage : 2
• ont suivi une formation initiale incluant des éléments d'informatique et poursuivi de façon autonome : 3
La plupart des enseignants interrogés ont insisté sur l'importance des processus d'autoapprentissage, mode de formation fort différent des cours universitaires et stages de formation disciplinaire. Alors que ces derniers s'inscrivent dans un temps délimité, l'autoapprentissage vit dans la durée, pouvant se renouveler, s'épuiser ou s'approfondir tour à tour. Poussant à explorer des voies inattendues et parfois fructueuses, l'autoapprentissage tend à compléter les formations initiales et structurées et prend tout son sens dans le cadre d'un fonctionnement en équipe pédagogique, lorsque les compétences des uns et des autres parviennent à se compléter.
C'est ainsi que nous avons pu apprécier la démarche d'un enseignant qui s'est intéressé à l'image animée et a très rapidement appris les bases de l'animation dans la continuité d'un travail antérieur sur l'image fixe et les traitements associés. Les séances qui ont résulté de cette ouverture ont été très riches, alors même que le professeur n'avait guère plus de deux semaines d'avance sur ses élèves.
Dans les comptes-rendus finaux les équipes pédagogiques se sont parfois interrogées sur les compétences nécessaires pour aborder ce type d'enseignement, et ont mis en valeur l'importance de connaissances variées dans différents domaines plus que d'une expertise dans un seul, en combinaison avec une grande curiosité dans les domaines liés au numérique. Cette vision de la compétence de l'enseignant décrit à l'évidence le résultat d'un processus d'autoapprentissage maintenu sur plusieurs années.
Élément de motivation individuelle et parfois moteur d'une équipe, l'autoapprentissage ne s'insère pas très facilement dans une démarche globale de formation des enseignants, car les acquis individuels (en termes de connaissances et compétences) sont difficilement transférables et généralisables. La rapide évolution de l'informatique rend cependant indispensable une certaine dose d'autoapprentissage12.
Comme il a déjà été signalé, les expérimentations ne visaient pas à former des groupes d'élèves disposant de compétences spécifiques en vue d'études particulières.
Elles proposaient aux enseignants d'explorer des domaines nouveaux et d'inventer des approches pédagogiques adaptées, et aux élèves de bénéficier d'une initiation aux sciences du numérique et à l'informatique sans prétention à être poursuivie dans les classes ultérieures13. Ce double but a manifestement provoqué un certain "flou" au moins pendant la période de démarrage, tant le contrat initial pouvait être ambigu et le but visé insuffisamment spécifié ; on pouvait même percevoir ici ou là une tension entre les aspirations des professeurs et les désirs des élèves. La diversité des situations rencontrées et l'esprit d'exploration apportèrent néanmoins une richesse
Au plan didactique, un certain nombre d'obstacles ont pu être clairement identifiés. C'est ainsi que, pressés par la nécessité de préparer les séances d'une semaine sur l'autre, les enseignants se sont parfois engagés sans réfléchir dans des activités ou développements inappropriés et ont constaté après coup l'inadéquation de leurs préparatifs. On a ainsi pu assister à des esquisses de "cours" généraux sur l'algorithmique, ou sur l'adressage IP, situations qui ne pouvaient que décourager certains élèves à la motivation incertaine, même si des applications plus attrayantes faisaient généralement suite à ces leçons introductives. Au fil de l'année, ces inadéquations ont eu tendance à disparaître au fur et à mesure de la plus grande autonomie des élèves.
De manière plus générale, le développement simultané des connaissances, compétences et appétences des élèves a rarement pu se faire de manière égale entre ces trois domaines.
Au plan des savoirs fondamentaux, certains concepts ont pu être présentés aux élèves avec succès ; il en fut ainsi de la représentation binaire des nombres, qui donna l'occasion d'assez nombreuses activités et illustrations pratiques (notamment à propos du codage des images, du GPS, de la programmation des micro-contrôleurs, etc.). Les élèves n'ont pas été rebutés par les modestes activités de calcul binaire ou hexadécimal qui leur permettaient de s'approprier ces notions tout à fait nouvelles pour eux.
On peut toutefois regretter que l'accent n'ait guère été mis sur les constructions intellectuelles sous-jacentes aux activités pratiquées ; on aurait ainsi pu faire expliciter plus régulièrement aux élèves leurs stratégies (logiques, algorithmiques, approximatives, empiriques) lors de la résolution informatique de problèmes.
En résumé, les contenus et savoir-faire qui peuvent être fructueusement présentés doivent être soigneusement sélectionnés suivant un certain nombre de critères dont voici quelques-uns, glanés sur le terrain :
la simplicité présente de grands avantages pédagogiques ;
les situations les plus techniques gagnent à être contournées, quitte à ce que les élèves y reviennent dans un second temps ;
les situations proposées aux élèves doivent être anticipées, sachant que face aux dysfonctionnements imprévus l'enseignant se trouve en position difficile, devant mobiliser ses capacités pour trouver un remède tout en conservant l'attention des élèves ;
les objets et situations numériques se prêtent aux approches hybrides, où la combinaison de plusieurs méthodes et plusieurs outils peut donner de meilleurs résultats qu'une démarche strictement linéaire.
Sources d'inspiration au niveau didactique, de fructueux questionnements pédagogiques autour de la mise en activité des élèves, et ferment de réseaux associant professeurs et universitaires, ces expérimentations suggèrent discrètement comment on pourrait imaginer un enseignement du numérique au niveau de la classe de Seconde. Bien qu'un tel enseignement ne soit pas à l'ordre du jour, l'échec de la généralisation du B2i Lycée pose une question qui appellera tôt ou tard une réponse dans la mesure où il faudra de plus en plus préparer les élèves à une société dont les acteurs seront les détenteurs d'une solide "culture numérique".
De manière plus importante et plus immédiate, les expérimentations ont irrigué d'autres enseignements, qu'ils soient disciplinaires ou pluridisciplinaires comme l'enseignement d'exploration "Méthodes et Pratiques Scientifiques" en classe de Seconde.
Enfin, on doit mentionner l'ouverture prochaine d'enseignements du numérique. Il s'agit d'une part de la spécialité SIN (Système d'Information et Numérique) de la série STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable) et d'autre part de l'enseignement de spécialité ISN (Informatique et Sciences du Numérique) destiné aux élèves des classes terminales S. Ces spécialités ont essentiellement pour but de répondre au manque de bacheliers s'orientant vers des études supérieures scientifiques et notamment dans les domaines des sciences et technologies du numérique, de l'information et de la communication. Si ces futurs enseignements ne répondent pas directement à la nécessité d'améliorer la culture numérique de tous les futurs bacheliers, on peut cependant en attendre une impulsion très nette dans le sens des enseignements du numérique et de l'informatique. Face au besoin de références scientifiques, didactiques et pédagogiques pour ces futurs enseignements, les expérimentations menées en 2009-2010 apportent d'intéressantes réponses de terrain qui mettent tout particulièrement en valeur l'importance de la mise en activité des élèves ainsi que de la pluridisciplinarité des démarches.
Eric BESSON (2008). France numérique 2012 - plan de développement de l'économie numérique, Secrétariat d’État chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/cgi-bin/brp/telestats.cgi?brp_ref=084000664&brp_file=0000.pdf
BIBER (2009). Aufgaben mit Lösungen, informatik-biber.de, http://www.informatik-biber.de/assets/files/Informatik-Biber_2009_Aufgabenheft_mit_Loesungen_DII.pdf
Alain BRAVO (mai 2009), La société et l’économie à l’aune de la révolution numérique : enjeux et perspectives des prochaines décennies (2015/2025), Centre d'Analyse Stratégique,http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/090708v5-Rapport_final-8-7-2009.pdf
Jean-Michel FOURGOUS (février 2010). Rapport de la mission Fourgous, « Réussir l’école numérique », Sénat, http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf
Jens GALLENBACHER (2008). Abenteuer Informatik, Spektrum Akademischer Verlag, ISBN 978-3827419262. Voir aussi : http://www.abenteuer-informatik.de/
INRIA (novembre 2005). Les sciences du numérique, http://www.inria.fr/publications/inria/pub_sciencenum.fr.html
INRIA (2008). Les sciences du numérique, http://www.inria.fr/actualites/2008/pdf/inria-phosphore.pdf
Maurice LÉVY, Jean-Pierre JOUVET (2006), L’économie de l’immatériel, la croissance de demain, MEFI,http://www.finances.gouv.fr/directions_services/sircom/technologies_info/immateriel/immateriel.pdf
Françoise TORT (2011). Le concours Castor : Un outil de promotion de l’enseignement d’informatique, Actes du colloque Didapro 4, http://www.ecedu.upatras.gr/didapro/final/actes/TortDidapro2011.pdf
• "Nous n'avions pas de recul et de visibilité quant à cette option. L'investissement en préparation et appropriation a été conséquent pour nous tous, mais cette action a permis un travail d'équipe enrichissant à tout point de vue."
• "Nous avons élargi notre horizon disciplinaire et institutionnel lors des préparations des conférences avec les intervenants extérieurs tout aussi motivés et enthousiastes."
• "Nous avions un projet peut-être trop ambitieux. Nous devions, parfois, apporter des notions théoriques assez difficiles à nos élèves, sans quoi, nous craignions, que le contenu de nos séances n'ait plus de sens."
• "Le fait de pouvoir choisir les contenus et thèmes abordés a été un indéniable plus ; les élèves ont également apprécié la diversité de fond et de forme des cours."
• "Mathématiques et Réseaux, une coexistence peu évidente : il a été assez délicat de trouver des activités en rapport avec les mathématiques pouvant s'insérer dans les thèmes abordés ; et si la cryptographie a été abordée, il a semblé difficile de trouver des applications significatives et non-redondantes avec le programme de mathématiques de Seconde."
• "Chacun a apporté un éclairage et une approche différents et complémentaires sur un même thème. Chaque enseignant a effectivement sa vision des choses, nécessairement influencée par sa discipline."
• "Nous nous sommes retrouvés sur un "terrain neutre" : le numérique. Nous avons beaucoup échangé, débattu, expliqué nos points de vue et nos mises en œuvre. Ceci fut très enrichissant, car nous avons pu également discuter, aussi bien de nos savoirs faire que de leurs mises en œuvre."
• "L'expérience a été l'occasion de la mise en place d'une approche multidisciplinaire concrète et fonctionnelle, encore assez peu développée dans les enseignements proposés au lycée. A ce titre, l'expérience est tout à fait enrichissante et encourageante."
• "Par manque de temps, nous laissions les élèves chercher et réaliser leur projet mais de façon guidée et directive."
• "Il y a une grande complexité à gérer l'hétérogénéité."
• "Nous avons eu de la difficulté pour évaluer les élèves avec les critères définis au départ."
• "À un moment on a eu besoin d'avoir des plages de travail plus longues, de deux heures, voire de trois heures."
• "Ces élèves, justes sortis de la classe de 3ième, ont appris tout doucement le travail autonome."
• " Importance de la création et de la manipulation : les élèves ont beaucoup “conçu” tout au long de l'année, en laissant libre cours (dans la mesure du raisonnable) à leur imagination."
• "Il semble nécessaire d'avoir quelques connaissances de bases
en programmation/algorithmique, rien de bien développé, même
s'il paraît raisonnable qu'au moins un des enseignants ait des
compétences solides sur le sujet (et que les autres s’attellent
à développer les leurs). Il peut aussi être
intéressant qu'un des collègues ait des compétences
techniques (un peu d'électronique, capteurs, fonctionnement physique d'un
ordinateur, etc.), même si ce n'est pas indispensable. Autre
compétence très utile, la gestion quotidienne de l'informatique :
gestion correcte d'un OS (Linux ou/et Windows), gestion d'un réseau,
bureautique, etc. ; cela permet de fluidifier le déroulement de
l'année et en particulier le passage sur machine.
Plus que tout, il
faut de la curiosité sur tout ce qui touche au numérique. Cela
permet d'éclairer les séances en se raccrochant à
l'actualité et donc d'acquérir une certaine
crédibilité aux yeux des élèves. Cela permet aussi
d'orienter les élèves lors de la mise en place des projets."
• "C'est une préparation à ma vie professionnelle car je veux faire concepteur de jeux vidéo"
• "On sait mieux se servir d'un ordinateur, on arrive à programmer facilement"
• "La présence de l'outil informatique est essentielle dans la vie de tous les jours et de ce fait, dans la poursuite de nos études."
• "L'utilisation de logiciels informatiques, les connaissances générales ou plus ciblées, comme le fonctionnement des serveurs, des PC, d'internet est un plus pour la suite."
• "Atmosphère plus détendue et cours plus libre"
• "En ISI / ISP on peut plus facilement se servir de l'ordinateur"
• "C'est ma matière préférée : l'ambiance est agréable et les TP sont très intéressants"
• "Cela n'est pas ennuyeux comme dans d'autres cours car les TP sont intéressants et interactifs"
• "C'est plus ludique, on s'ennuie moins qu'en Français ou en Histoire"
• "Moi qui ne m'y connaissais pas trop en informatique, je trouve ce cours très intéressant"
• "Cela dépend du sujet traité ; les notions théoriques de début d'année étaient parfois assez difficiles. En revanche, l'apprentissage de la législation, comme le droit à l'image, l'utilisation d'internet et ses dangers étaient des notions nouvelles importantes et intéressantes pour notre propre vie."
• "J'ai appris à faire un site et je suis en train d'en faire un"
• "La pratique à la maison se fait par soi-même sans trop d'explications, tandis qu'ici on nous donne plusieurs explications"
• "Cela nous apporte un avancement dans la programmation ce qui permet de créer des programmes chez nous"
• "En ISN on apprend, à la maison on exécute"
• "L'utilisation de logiciels permettant de travailler sur les images, la compression et la notion de format."
• "Nous avons vu les dangers d'internet, l'hameçonnage, les sites sécurisés, comme le symbole du verrou, le cryptage et naviguerons différemment sur le net."
• Intéressant/Excellent/Meilleur cours/Enrichissant/Agréable/Pédagogique/Informatique/Binaire
• "Horaires mal placés, à revoir","Avoir des horaires comme les autres cours","Plus d'exemples","Plus d'animation","Plus de démonstrations par l'enseignant","Plus de pratique, effectif réduit pour la proximité et les nombreux échanges professeurs-élèves."
1 dite réforme Darcos
2 On trouvera un bon exemple de ce type d'action sur le site du SEPIA de Lille : http://www4b.ac-lille.fr/~pasi/spip.php?article56
3 C'est le cas du premier "i" dans le Brevet Informatique et Internet.
4 Par commodité nous avons écrit systématiquement B2i ; cette appellation est incorrecte car il s'agit d'une marque déposée : on devrait écrire B2i®.
5 L'ensemble du dispositif du B2i Lycée est présenté sur le site EduScol à l'adresse suivante : http://eduscol.education.fr/textes/reglementaires/competences/b2i/lycee
6 Même si certaines ont effectivement envisagé de l'octroyer en fin d'année, ce qui ne présentait d'ailleurs pas de difficulté majeure
7 Dans ce domaine, les Suisses ont été précurseurs ; on pourra à ce sujet consulter le site suivant : http://ef-informatik.ch/efi/index
8 La représentation binaire des nombres entiers est un bon exemple d'un tel apport.
9 Au-delà d'un enseignement d'initiation, la limitation des apports théoriques pourrait entraîner des blocages conceptuels et des difficultés face à l'abstraction croissante des notions propres à la science informatique.
10 Voir http://www.bebras.org/en/welcome et http://castor-informatique.fr
11 Système de gestion de contenus (Content Management System), comme SPIP, Drupal, Jimdo, etc.
12 Cet aspect est renforcé par le fait qu'une majorité de documentations se trouvent principalement "en ligne" et non sur papier.
13 Ces élèves pourront néanmoins réutiliser les compétences acquises dans le cadre de leur futur TPE.
Robert CABANE, Bilan des expérimentations pédagogiques menées en 2009-2010, Rubrique de la Revue STICEF, Volume 18, 2011, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 31/01/2012, http://sticef.org
© Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2011