Sciences et Technologies
de l´Information et
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l´Éducation et la Formation
 

Volume 14, 2007
Article de recherche

Un système tutoriel intelligent inspiré des jeux vidéo pour améliorer la motivation de l’apprenant

Emmanuel G. BLANCHARD, Claude FRASSON Laboratoire HERON, Département d’Informatique et Recherche Opérationnelle, Université de Montréal

RÉSUMÉ : Dans cet article, nous discutons de recommandations dont l’objectif est de faciliter la conception et le développement de Systèmes Tutoriels Intelligents (STI) pouvant améliorer ou, tout du moins, maintenir à un niveau satisfaisant la motivation de leurs apprenants durant une activité d’apprentissage. Ces recommandations s’inspirent des recherches liées à la théorie de l’autodétermination. Cette dernière identifie trois besoins psychologiques innés dont la satisfaction conditionne la qualité de la motivation d’un individu. Ces besoins concernent les niveaux d’autonomie, de compétence et de relationnel ressentis par cet individu. Le prototype d’un STI développé en fonction de ces recommandations est ensuite décrit et les résultats d’une étude exploratoire portant sur l’appréciation de ce système par des élèves de CM2 sont présentés de manière à soutenir la pertinence de nos recommandations.

MOTS CLÉS : système tutoriel intelligent, motivation, soutien à l’autonomie, système multi-agents, environnement ludo-éducatif.

ABSTRACT : In this paper we discuss recommendations to facilitate conception and development of Intelligent Tutoring Systems (ITS) that will be able to maintain and/or enhance learners’ motivation during learning sessions. Those recommendations are based on the self determination theory. This theory proposes three basic psychological needs, whose satisfaction will determine individual’s quality of motivation. Those needs refer to the autonomy, competence and relatedness felt by an individual. An ITS inspired by these recommendations is presented and results of an exploratory evaluation of this system are provided in order to support our design recommendations.

KEYWORDS : intelligent tutoring system, motivation, autonomy support, multi-agents system, serious game.

1. Introduction

Depuis maintenant près de trente ans, la recherche sur les Systèmes Tutoriels Intelligents (STI) s’est portée sur des moyens de créer des systèmes informatiques adaptatifs pour enseigner, de manière efficace, une multitude de domaines. Le mot adaptatif réfère ici à l’utilisation intensive de méthodes d’intelligence artificielle pour, par exemple, modéliser le contenu d’apprentissage ou le profil des apprenant, et pour déduire des stratégies individualisées d’apprentissage à partir des modélisations précédentes.

O’Regan a récemment constaté que certaines activités d’apprentissage assisté par ordinateur entraînaient plus de réactions émotionnelles à caractère négatif que positif (O’Regan, 2003). Les émotions négatives alors recensées sont fréquemment associées à un manque de motivation (Eccles et Wigfield, 2002) : l’importance de considérer la motivation des apprenants n’a donc pas toujours été suffisamment prise en compte dans le développement de systèmes d’apprentissage assisté par ordinateur. Les STI, avec leur capacité d’adaptation individualisée, permettent notamment de relever les défis posés par ce genre de problème. C’est ainsi que, ces dernières années, la motivation est devenue un sujet populaire dans le cadre des recherches sur les STI. Cependant, la plupart des recherches réalisées jusqu’ici se sont surtout intéressées à la gestion de la motivation durant l’activité d’apprentissage. Cet article propose des recommandations pour promouvoir la motivation des apprenants, qui sont applicables dès la période de conception d’un STI.

Cet article est organisé de la manière suivante : dans la partie qui suit, nous présentons des travaux récents liés aux STI et ayant porté sur la motivation. La troisième partie résume les principaux éléments de la théorie de l’autodétermination (Self Determination Theory, SDT). Trois recommandations de conception pour promouvoir la motivation des apprenants ont été extraites de la SDT et sont présentées dans la quatrième partie. Suivant celles-ci, nous avons développé un prototype de STI appelé MOCAS (MOtivational and Culturally Aware System) dont nous décrivons la conception dans la cinquième partie. Les résultats d’une évaluation préliminaire de l’effet de MOCAS sur la qualité de la motivation des apprenants sont présentés et discutés dans les deux dernières parties.

2. Travaux antécédents liés aux STI et portant sur la motivation

Actuellement, l’approche qui prévaut pour traiter de la motivation dans les STI consiste à relier étroitement la motivation et les émotions dans une tendance plus générale portant le nom d’ « Affective Computing » et définie comme suit : « Computing that relates to, arises from or deliberately influence emotions » (Picard, 1997). La gestion des émotions joue un rôle prépondérant dans cette approche. Les émotions influencent fréquemment la motivation (Petri, 1996) et réciproquement (Eccles et Wigfield, 2002), (Weiner, 1985). Parmi les principaux tenants de cette approche, De Vicente a proposé une méthode permettant d’évaluer la motivation d’apprenants utilisant un STI (De Vicente, 2003). Cependant, Qu et Johnson ont montré que l’approche de De Vicente manquait de connaissances sur la tâche de l’apprenant et sur l’attention de ce dernier, d’où une détection imprécise de l’état motivationnel (Qu et Johnson, 2005). Ils ont donc proposé un autre modèle pour inférer des facteurs utiles pour déterminer cet état. En fait, il apparaît que la recherche portant sur la motivation dans les STI s’est majoritairement concentrée sur la détection de celle-ci. Récemment, M-Ecolab (Rebolledo-Mendez et al., 2006) a utilisé des informations portant sur la motivation d’un apprenant de manière à adapter les stratégies pédagogiques mises en oeuvre. Une évaluation pré test / post test a mis en évidence une amélioration du niveau de motivation des apprenants.

La motivation peut être définie comme l’ensemble des forces et énergies agissant sur un individu pour, soit provoquer des comportements, soit aider cet individu à contrôler ses comportements (Petri, 1996), (Ryan et Deci, 2000a). Dans certaines occasions, les émotions peuvent justement être ces forces, c'est-à-dire les éléments provoquant ou régulant des comportements. Dans d’autres cas, les émotions n’agissent pas sur la motivation d’un individu (Eccles et Wigfield, 2002). De ce fait, d’autres facteurs tels que l’intérêt intrinsèque pour une activité, les buts individuels, les représentations de soi (espérances quant à son efficacité, sa valeur ou encore perception de ses compétence), l’importance d’une tâche en fonction des buts personnels d’un individu, peuvent fournir des indications précieuses (Eccles et Wigfield, 2002).

Un certain nombre d’études récentes illustrent cette approche. McQuiggan et Lester ont utilisé des modèles dynamiques en conjonction avec des données physiologiques pour prédire la confiance qu’a un apprenant dans sa capacité à réussir dans une tâche (Mc Quiggan et Lester, 2006). Des travaux sur les buts des apprenants ont été effectués par Martinez-Mirón et ses collègues (Martinez-Mirón et al., 2005). Baylor et Kim se sont quant à eux intéressés à l’impact que produisait la représentation d’un agent pédagogique personnifié (sexe, ethnie, aspect réaliste, rôle) sur le sentiment d’efficacité d’un apprenant ainsi que sur la manière dont il régulait ses comportements (Baylor et Kim, 2004). Nous avons également proposé de considérer le soutien à l’autonomie pour améliorer la qualité de motivation des apprenants (Blanchard et Frasson, 2004).

Cette dernière approche est basée sur de récents travaux dans le domaine de la théorie de l’autodétermination (Self Determination Theory, SDT), une théorie moderne de plus en plus populaire chez les psychologues de la motivation (Chirkov et al., 2003), (Levesque et al., 2004), (Reeve, 2006), (Reeve et al., 2004), (Ryan et Deci, 2000a), (Ryan et Deci, 2000b), (Ryan et Grolnick, 1986), (Ryan et al., 2006), (Sheldon et al., 2004). Il nous apparaît que la SDT présente beaucoup d’aspects intéressants et tout à fait intégrables dans des STI en vue d’accroître leur capacité à entrenir la motivation des apprenants.

3. La théorie de l’autodétermination

Dans la SDT, Ryan et Deci distinguent tout d’abord différents « types » de motivation (Ryan et Deci, 2002). Un comportement est plus ou moins efficace selon le type de motivation qui le provoque/régule. La SDT détermine également trois besoins psychologiques fondamentaux dont la satisfaction conditionne la qualité de la motivation.

Dans ce qui suit, nous décrivons plus en détail ces deux principes.

3.1. Différents types de motivation

Les recherches distinguent motivation intrinsèque et extrinsèque. Ainsi :

- si un individu est motivé intrinsèquement pour une activité, il fait cette activité pour le plaisir que lui procure son exécution;

- s’il est motivé extrinsèquement, il fait cette activité parce qu’il y est poussé par une cause extérieure, pour obtenir une récompense ou encore pour éviter une punition (Ryan et Deci, 2000a).

La SDT précise ces types de motivation : elle considère l’amotivation (l’absence totale de motivation), et elle segmente la motivation extrinsèque en quatre sous-catégories. Ces dernières se différencient par la forme de la régulation du comportement lié à l’activité et par la perception qu’a l’individu du contrôle exercé sur cette activité : plus il aura la sensation d’être en contrôle de l’activité, meilleure sera la qualité de la motivation.

Le tableau 1, traduit de (Ryan et Deci, 2000b), présente les différentes formes de motivation décrites dans la SDT ainsi que des processus psychologiques s’y rapportant. De nombreuses recherches ont montré qu’un individu s’avère plus efficace lorsque son comportement est motivé intrinsèquement que lorsqu’il est motivé extrinsèquement (Eccles et Wigfield, 2002), y compris dans les tâches d’apprentissage (Reeve et al., 2004). En d’autres termes, la qualité de la motivation, c’est à dire la force de l’engagement et la persévérance dans une activité, augmente quand celle-ci est motivée intrinsèquement (haut du tableau).

Tableau 1. Formes de motivation selon la théorie de l’autodétermination

Selon la SDT, les quatre types de régulation de la motivation extrinsèque sont :

- la régulation intégrée : non seulement l’activité a de la valeur en soi mais cette activité est également en concordance avec les besoins, valeurs et buts personnels de l’individu. Il ne s’agit pas encore de motivation intrinsèque car l’activité n’est pas effectuée pour le plaisir qu’elle procure. Cependant, les niveaux d’engagement et de persévérance liée à une régulation intégrée se rapprochent très fortement de ceux associés à la motivation intrinsèque.

- la régulation identifiée : l’utilité de l’activité est reconnue, ce qui confère une certaine valeur à cette activité. Cependant, elle est avant tout vue comme un moyen d’atteindre un but externe.

- la régulation introjectée : l’activité est effectuée pour éviter d’avoir un sentiment de culpabilité, de l’anxiété ou encore pour améliorer son ego.

- la régulation externe : aucune utilité n’est reconnue à l’activité. Elle est effectuée uniquement dans le but de satisfaire une demande extérieure ou d’obtenir une récompense.

3.2. Trois besoins psychologiques de bases

La SDT identifie trois besoins psychologiques fondamentaux : les besoins de compétence, de relationnel et d’autonomie. Ce sont des besoins partagés universellement, c'est-à-dire indépendants des cultures (Ryan et Deci, 2002), (Chirkov et al., 2003), (Sheldon et al., 2004), ce dernier point apparaissant très intéressant dans le contexte du développement de STI pour l’enseignement à distance.

3.2.1. Le besoin de compétence 

La SDT avance que les évènements socio-contextuels qui amènent à un sentiment de compétence durant une action améliorent la qualité de la motivation pour l’activité en cours. Cela signifie que plus un individu se sent compétent, plus il va s’intéresser à l’activité (Ryan et Deci, 2000b). Ce sentiment est notamment lié au niveau de défi que procure l’activité et se manifeste par la confiance de pouvoir être performant dans l’activité ou d’être influent sur son environnement (Ryan et Deci, 2002).

3.2.2. Le besoin de relationnel

D’après la SDT, la qualité de la motivation est améliorée par la sensation psychologique d’être en relation avec les autres, dans une communion sécuritaire ou empathique (Ryan et Deci, 2002). Par exemple, les élèves sont moins bien motivés quand l’enseignant a une attitude froide et ne semble pas s’intéresser au succès de ses étudiants (Ryan et Grolnick, 1986).

3.2.3. Le besoin d’autonomie 

Avant toute chose, dans le contexte de la SDT, l’autonomie ne doit en aucun cas être confondue avec l’individualisme. Guay et ses collègues définissent l’autonomie comme le sentiment d’être libre de pression et d’avoir la possibilité de faire des choix parmi plusieurs plans d’actions possibles (Guay et al., 2000). Dans le même ordre d’idée, Reeve voit l’autonomie comme le sentiment d’être l’auteur, l’origine d’un comportement (Reeve, 2006). De ce fait, en SDT, le contrôle externe est l’opposé de l’autonomie.

Des recherches ont mis en évidence que des élèves dont l’enseignant encourage l’autonomie montrent une plus forte motivation à la maîtrise (faire une activité dans le but d’acquérir de nouvelles compétences), perçoivent mieux leurs compétences, ont une motivation intrinsèque pour l’activité d’apprentissage plus élevée (Reeve et al., 2004). Ils réussissent mieux, comprennent mieux les concepts et persistent plus à l’école, comparativement aux élèves d’un enseignant plus directif (Reeve et al., 2004), (Flink et al., 1990). Les étudiants autonomes apparaissent également plus engagés dans les tâches d’apprentissage (Reeve et al., 2004). Des résultats similaires ont été mis en évidence dans de nombreuses cultures (Ryan et Deci, 2002), (Chirkov et al., 2003).

4. Recommandations pour une conception des STI considérant la motivation

Les jeux, notamment vidéo, sont fondés sur le concept de plaisir et fréquemment associés à une forte motivation intrinsèque (Fenouillet, 1998), (Wagner, 1999) dont certains logiciels d’apprentissage ludiques ont cherché à profiter (Tan et al., 2005), (Johnson et al., 2005). Cependant, les précédents systèmes développés se sont relativement peu appuyés sur une conception théorique de la motivation.

Ryan et ses collègues ont récemment mis en évidence que la qualité de la motivation pour un jeu vidéo, la satisfaction que celui-ci procure aux joueurs de même que leur envie d’y rejouer dans le futur vont de paire avec la satisfaction des besoins psychologiques qu’il procure (Ryan et al., 2006). L’objectif de notre travail est de créer des environnements ludiques d’apprentissage qui aide à satisfaire les trois besoins psychologiques présentés dans la SDT.

Pour ce faire, nous proposons trois recommandations : (1) encourager la liberté de l’apprenant et leur prise de décision, (2) fournir de l’encadrement pédagogique pour guider l’apprenant et maintenir un niveau de défi optimal et (3) donner la possibilité à plusieurs apprenants de partager une même expérience d’apprentissage. Dans ce qui suit, nous illustrons ces recommandations en établissant un parallèle avec la satisfaction des besoins psychologiques dans les jeux vidéo (Ryan et al., 2006) Pour autant, du fait que la SDT est une théorie générale et inteculturelle de motivation, ces trois recommandations pourraient être adaptées à des STI ayant une tout autre conception.

4.1. Encourager la liberté des apprenants et leur prise de décision (autonomie)

Dans un environnement ludique, les joueurs peuvent souvent évoluer sans être contraints de suivre un chemin prédéterminé. Ils interagissent à leur guise avec des avatars contrôlés par d’autres humains ou par le système et qui disposent de connaissances diverses et variées. Les joueurs possèdent ainsi une capacité de décision sur la forme que prendra leur expérience virtuelle et sur la manière d’atteindre un objectif du jeu.

Fournir des choix à quelqu’un, lui permettre de prendre des décisions quant à la suite de son activité est en effet une méthode recommandée par la SDT pour améliorer le sentiment d’autonomie (Levesque et al., 2004).

Allant dans ce sens, nous recommandons de développer des STI fournissant une grande liberté aux apprenants et encourageant leur prise de décision, ceci dans le but d’améliorer leur sentiment d’autonomie. L’apprenant doit contrôler la vitesse de progression et la forme de son apprentissage (Blanchard et Frasson, 2004).

4.2. Fournir de l’encadrement pédagogique à l’apprenant pour le guider, maintenir un niveau de défi optimal et améliorer sa confiance (compétence) sans pour autant affecter son autonomie

Dans certains jeux vidéo, des avatars contrôlés par le système fournissent à un joueur toute sorte de renseignements dans le but de faciliter la réalisation de ses objectifs à court ou moyen terme, de lui enseigner de nouvelles techniques ou de le guider vers une nouvelle étape de l’aventure. Cela permet d’éviter à ce joueur de se sentir perdu. L’aide est graduelle pour permettre d’élever la difficulté du jeu tout maintenant le défi proposé au joueur à un haut niveau. Cette aide est rarement imposée mais plutôt suggérée au joueur.

Dans les sessions d’apprentissage, les apprenants ont également besoin d’être confrontés à un niveau de défi adapté à leurs capacités du moment, de manière à affecter positivement leur sentiment de compétence. Des modules d’encadrement pédagogique, en plus de guider et d’enseigner, peuvent également féliciter l’apprenant quand celui-ci obtient du succès : s’il est bien utilisé, un commentaire positif ou de guidage permet en effet d’améliorer la confiance en soi d’un apprenant et donc son sentiment de compétence (Ryan et al., 2006).

Cependant, un système qui fournirait trop d’encadrement pourrait être perçu comme contrôlant l’apprenant. Cela contreviendrait à notre première recommandation et il en résulterait une baisse du sentiment d’autonomie de l’apprenant. Cela pourrait également réduire le niveau de défi proposé et affecter le sentiment de compétence. Dans leur manière d’interagir avec un apprenant, les modules d’encadrement doivent ainsi éviter de restreindre son autonomie (Reeve et al., 2004).

En résumé, un STI doit, par l’intermédiaire de modules d’encadrement pédagogique, guider un apprenant, maintenir un niveau de défi cohérent avec les connaissances de celui-ci et le féliciter quand cela s’avère utile. Ceci a pour but de maintenir la concentration de l’apprenant, d’augmenter sa confiance et d’améliorer ainsi son sentiment de compétence. Les interactions de ces modules avec l’apprenant doivent cependant toujours se faire dans le respect de la première recommandation et ne pas affecter le sentiment d’autonomie. D’autres chercheurs ont par ailleurs proposé d’encourager le sentiment de compétence en portant une attention particulière à la facilité d’utilisation du système d’enseignement assisté par ordinateur (Denis et Jouvelot, 2005), ce qui est également en accord avec les constatations de Ryan et ses collègues (Ryan et al., 2006).

4.3. Donner la possibilité à plusieurs apprenants de partager une même expérience d’apprentissage (relationnel)

Les interactions humain-humain existant dans les plus récents jeux de rôle en ligne, ont un impact majeur dans l’intérêt que produisent ces jeux (Delwiche, 2003). Ceci peut naturellement être relié au besoin de relationnel tel qu’exprimé par la SDT. Ryan et ses collègues ont mis en évidence que l’option multi-joueurs d’un jeu vidéo, améliore sensiblement la motivation des utilisateurs du fait de la satisfaction du besoin de relationnel, certaines joueurs recherchant principalement l’interaction avec d’autres humains sous forme de socialisation, coopération et/ou compétition (Ryan et al., 2006), (Yee, 2007). Cependant, beaucoup de jeux se pratiquent seuls. Ryan et ses collègues ont observé que ceux-ci peuvent également se révéler très motivants s’ils satisfont suffisamment les besoins de compétence et d’autonomie (Ryan et al., 2006).

Il apparaît ainsi souhaitable qu’un STI permette à plusieurs apprenants de partager un même environnement d’apprentissage et leur fournisse des moyens d’interagir les uns avec les autres dans le cadre d’activités collaboratives ou compétitives, selon les préférences de chacun.

5. Description de MOCAS

5.1. Architecture modulaire de MOCAS pour la prise en compte de la motivation

Le système MOCAS (Motivational and Culturally-Aware System) aborde deux problématiques : comment prendre en compte les différences culturelles des apprenants et comment améliorer la motivation des apprenants pour une activité d’apprentissage. Dans cet article, nous ne traitons que de ce dernier point. L’adaptation culturelle est traitée dans (Blanchard, 2007).

L’architecture de MOCAS dérive de l’architecture modulaire classique d’un Système Tutoriel Intelligent (Figure 1). Un module se charge de gérer le curriculum et un autre de modéliser les apprenants. Les informations issues de ces deux modules sont utilisées par un module de planification des sessions d’apprentissage. En suivant les indications de ce dernier, des modules Tuteur dispensent l’enseignement.

La figure 1 présente l’architecture modulaire de MOCAS.

Figure 1. Architecture modulaire du système MOCAS

5.1.1. Prise en compte de nos trois recommandations de conception dans MOCAS

Première recommandation (liberté et prise de décision). Pour satisfaire notre première recommandation liée au besoin d’autonomie, nous avons organisé MOCAS autour d’un environnement virtuel non contraignant, au sens que les apprenants sont libres d’y circuler et d’y interagir comme bon leur semble. Dans notre système, plusieurs modules tuteurs différents dispensent l’enseignement. Ces tuteurs varient dans leur manière d’enseigner et/ou dans les concepts qu’ils sont habilités à présenter en fonction d’un rôle attribué au moment de la création de l’environnement virtuel. Par exemple, dans le cadre d’un cours prévu pour des étudiants en médecine, l’action peut prendre place dans une représentation virtuelle d’un hôpital. L’apprenant interagit alors avec des tuteurs ayant un rôle de médecin (enseignant de gestes chirurgicaux), d’infirmière (enseignant des soins mais des gestes chirurgicaux), de patient (rapportant différents symptômes), de technicien en radiologie etc.

La possibilité est ainsi donnée à l’apprenant de choisir en toute liberté la manière dont il désire être confronté au domaine d’enseignement, en fonction des possibilités variées offertes par les différents modules tuteur présents.

Deuxième recommandation (encadrement pédagogique). Les tuteurs de notre architecture modulaire mettent en œuvre l’encadrement pédagogique de la deuxième recommandation. Toute la difficulté pour satisfaire le besoin de compétence réside dans leur manière d’interagir avec l’apprenant. Pour ne pas affecter l’autonomie de l’apprenant, les tuteurs adoptent en priorité une attitude réactive plutôt que proactive. Ils réagissent à une demande d’information, félicitent l’apprenant lorsqu’il vient de compléter une activité de manière à encourager sa confiance.

Mais dans certains cas (échecs répétés, absence d’investissement dans l’activité d’apprentissage...), les tuteurs prennent l’initiative de proposer une assistance. L’analyse en continu du modèle de l’apprenant par le module de stratégie générale permet à ce dernier de déterminer quand enclencher une action proactive, quelle information transmettre et de quelle manière de façon à maintenir une concentration et un niveau de défi élevés. Des solutions ont déjà été proposées pour permettre une telle analyse (Qu et al., 2004). De notre côté, nous étudions la prise en compte des données physiologiques des apprenants en vue d’atteindre cet objectif (Blanchard et al., 2007).

Lorsque le module de stratégie générale a déterminé la marche à suivre, il contacte les modules tuteurs qui sont alors en charge de mettre en œuvre la stratégie d’interaction proactive décidée. Celle-ci peut, par exemple, prendre la forme d’un scénario pédagogique (Labat et al., 2006).

Troisième recommandation (partage d’une même expérience d’apprentissage). En vue de satisfaire la dernière de nos recommandations, MOCAS permet à plusieurs apprenants d’être connectés et d’interagir en même temps, dans un même environnement d’apprentissage. Des outils de communication humain-humain sont également disponibles. A terme, les tuteurs doivent également pouvoir servir de facilitateur pour des activités collaboratives ou compétitives en lien avec le domaine d’enseignement.

5.1.2. MOCAS : une implémentation multi-agents

L’implémentation d’une architecture modulaire se fait très fréquemment sous la forme d’un système multi-agents (Wooldridge, 2002). Jennings note par ailleurs que les systèmes multi-agents servent, dans certains systèmes, à représenter des centres de contrôle multiples, des intérêts en compétition, en d’autres termes des perspectives variées sur un problème (Jennings, 2001). Ces systèmes nous semblent adaptés pour implémenter notre première recommandation relative à la satisfaction du besoin d’autonomie. MOCAS a donc été développé sous la forme d’un système multi-« agents pédagogiques », les agents pédagogiques étant définis comme des agents autonomes et/ou d’interface qui encouragent l’apprentissage humain en interagissant avec les apprenants dans le cadre d’un environnement virtuel (Johnson, 1998). Le développement s’est fait par l’intermédiaire de la plateforme multi-agents JADE (http://jade.tilab.com) qui suit les normes édictées par l’organisme FIPA (http://www.fipa.org). La figure 2 illustre les liens existant entre les différents éléments de MOCAS répartis selon une architecture client-serveur.

Figure 2. Liens unissant les différents éléments de MOCAS

5.1.2.1. L’aspect SERVEUR

L’agent de monde est l’élément central de l’aspect serveur de notre système. Cet agent a la charge de régir le monde virtuel dans lequel l’apprentissage prend place. Dans les paramètres qui lui sont fournis pour son initialisation se trouve l’ensemble des informations nécessaires au lancement d’une activité d’apprentissage dans MOCAS :

- La structure du curriculum du domaine, c'est-à-dire la répartition des différentes unités d’apprentissage de même que la description des ressources disponibles pour les enseigner.

- Les données pour générer la représentation du monde virtuel dans lequel pourront évoluer les apprenants.

- Les descriptions des agents pédagogiques qui peuplent ce monde virtuel et qu’il se charge d’initialiser.

A l’inverse des modules tuteurs qui ont une action très localisée, ce module a une vision d’ensemble de la session d’apprentissage, ce qui lui permet la création de stratégies plus générales.

Le serveur. Suite à la phase d’initialisation, l’agent de monde lance un serveur qui contient la « logique » du monde 3D, c'est-à-dire la position des avatars des apprenants et agents pédagogiques, leur état (sont-ils animés en ce moment? si oui, de quelle manière?). Il reçoit et transmet en continu des informations venant des applications clients de manière à actualiser en temps réel les positions et états des différents avatars peuplant le monde virtuel.

Les agents pédagogiques personnifiés. Après avoir lancé le serveur, l’agent de monde génère les agents pédagogiques qui interagissent avec l’apprenant et il leur affecte un avatar. Ces agents pédagogiques ayant une représentation 3D sont appelés agents pédagogiques personnifiés. Ce sont les tuteurs décrits dans notre architecture modulaire. Ils ont ainsi la charge, via leur propre avatar, d’interagir avec les apprenants (qui eux-mêmes disposent d’un avatar dans le monde 3D) de manière à les guider, les féliciter ou les instruire, conformément à notre seconde recommandation.

Ces agents sont initialisés avec des connaissances différentes (capacité limitée d’accès au curriculum). Dans des travaux futurs, nous prévoyons de leur allouer un « caractère artificiel » différent de manière à accentuer les choix offerts aux apprenants. Par exemple, pour suivre un apprentissage, les apprenants pourront se référer à un agent perturbateur, plutôt conflictuel, ou un agent compagnon plus classique (Aimeur et al., 2001).

L’agent modèle des apprenants. Enfin, le dernier agent du côté serveur de notre application est l’agent modèle des apprenants. Celui-ci tient à jour les profils des apprenants en fonction de leur interaction avec le système. Pour représenter les connaissances de l’apprenant, il a donc accès à la structure du curriculum. Le profil de connaissances d’un nouvel apprenant est initialisé en fonction de cette structure. Au cours de la session, ce module appose des labels aux différentes unités d’apprentissage pour caractériser dynamiquement le niveau de connaissances de l’apprenant sur ces unités (modèle de l’apprenant de type « recouvrement »).

L’agent modèle des apprenants tient également à jour l’ensemble des caractéristiques d’un apprenant : des données classiques telles que son âge, son sexe mais également des attributs mis à jour dynamiquement décrivant ses particularismes (aime-t-il les activités de groupe ? a-t-il une attitude volontaire ou plutôt réservée, etc).

5.1.2.2. L’aspect CLIENT

L’interface graphique. L’élément central de l’application client est l’interface graphique qui crée un pont entre le monde réel où évolue l’apprenant et l’environnement virtuel que nous avons défini. Cette interface est composée de trois panneaux comme le montrent les deux captures d’écran de la figure 3 :

Figure 3. Deux configurations de l’interface client de MOCAS

Le premier panneau (a) représente la vue qu’a l’apprenant de l’environnement 3D en fonction de la position et de l’orientation de son avatar personnel (d). Ce dernier, placé au centre de ce panneau, est contrôlé au moyen des flèches de direction et peut être déplacé dans tout l’environnement selon le bon vouloir de l’apprenant (première recommandation). Par l’intermédiaire de ce panneau, l’apprenant a également moyen de contacter un agent pédagogique (e). Pour cela, il clique avec la souris sur l’avatar de cet agent.

Le second panneau (b) permet aux apprenants de dialoguer les uns avec les autres. C’est l’élément de base lié à notre troisième recommandation.

Suite aux interactions avec les agents pédagogiques, des données s’affichent dans le troisième panneau. C’est un panneau qui peut présenter différents types d’information comme du contenu d’apprentissage (c1), des questionnaires, des choix entre diverses activités (c2) ou encore, dans certaines simulations, une console de commande pour contrôler une machine présente dans l’environnement.

L’agent de scrutation. C’est un agent d’interface. Son rôle est d’une part de transmettre à l’agent de modélisation des apprenants, les informations permettant la mise à jour du profil de l’apprenant. Ces informations sont obtenues en scrutant les interactions de l’apprenant dans l’interface graphique (clics de souris, activité de l’avatar, réponses à des questionnaires...) ou par l’intermédiaire de modules extérieurs permettant, par exemple, la prise en compte de données provenant de capteurs physiologiques (Blanchard et al., 2007).

D’autre part, le rôle de notre agent de scrutation est de répercuter les ordres provenant notamment des agents pédagogiques et visant à afficher des données d’apprentissage.

6. Évaluation de l’impact de MOCAS sur la motivation d’apprenants

6.1. Principe et objectif de l’évaluation

Nous avons créé un environnement MOCAS dont le sujet portait sur la révolution française et l’avons soumis à des élèves d’une classe de CM2.

Figure 4 : Configuration de l’environnement MOCAS d’évaluation

Cet environnement est divisé en six salles et dans chacune d’elles se trouve un agent pédagogique personnifié comme le présente la figure 4.

Quatre de ces agents font office d’enseignants et disposent chacun de connaissances sur un domaine d’expertise spécifique (respectivement « les causes de la révolution », « le déroulement de la révolution », « les personnages importants de la révolution » et « les changements dans la société »). Un autre agent a un rôle d’examinateur et a donc la capacité d’évaluer les connaissances des apprenants dans chacun de ces domaines via des QCM. Enfin, un dernier agent peut renseigner les élèves sur les compétences de chaque agent : il sert en quelque sorte de guide et permet aux élèves de déterminer eux-mêmes quel agent ils désirent rencontrer à un moment donné en fonction de leurs besoins.

Pour développer les ressources d’apprentissages qui ont servi dans MOCAS (pages HTML et questionnaires), nous nous sommes inspiré des livres que l’enseignant utilise pour la préparation de ses cours.

La tâche des élèves consiste à parcourir l’environnement à leur guise pour acquérir des connaissances. Lorsqu’ils s’en sentent capable, ils peuvent se confronter à un questionnaire et être évalués sur ce qu’ils ont appris. Ils peuvent par ailleurs interrompre cette évaluation s’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas la solution à une question, repartir interroger un agent « enseignant » et revenir par la suite terminer leur évaluation. Ils ont donc un contrôle total sur la progression de leur apprentissage.

L’objectif de cette évaluation est de valider notre hypothèse selon laquelle la conception de MOCAS, et plus particulièrement l’attention mise à encourager la liberté et la prise de décision de l’apprenant (recommandation 1), a un impact positif sur la qualité de la motivation des apprenants (c’est-à-dire l’intérêt et la force de l’engagement dans l’activité). Nous n’avons pas directement mesuré les améliorations potentielles des résultats scolaires des apprenants. Dans cette étude exploratoire, notre objectif était avant tout d’étudier des moyens d’encourager des apprenants à utiliser un STI. Reeve et ses collègues ont mis en évidence que l’amélioration des résultats scolaires se produit dès lors que la qualité de la motivation est bonne, c'est-à-dire quand les comportements des apprenants sont régulés par l’intermédiaire de motivation intrinsèque ou de régulation identifiée (Reeve et al., 2004). Pearce insiste cependant sur le fait que cette motivation doit être liée à l’activité d’apprentissage et non aux spécificités du système en soi (Pearce, 2005). Bien que l’observation des élèves nous rassure sur ce point, il nous faudra donc confirmer dans une autre étude que cette motivation ne porte pas principalement sur l’aspect ludique de MOCAS mais également sur son aspect éducatif.

6.2. L’échelle de motivation situationnelle (the Situational Motivation Scale (SIMS)

Pour évaluer la qualité de la motivation, nous avons transcrit en français l’échelle de motivation situationnelle (the Situational Motivation Scale, SIMS) créée et validée par Guay et ses collègues (Guay et al., 2000). L’objectif de la SIMS est de déterminer quel type de motivation régule les comportements d’un individu durant une activité. C’est un questionnaire composé de 16 affirmations. En utilisant une échelle donnée, l’individu détermine son niveau d’ accord avec chacune de ces 16 affirmations. La figure 5 présente la SIMS. Dans celle-ci :

- les items 1, 5, 9 et 13 se rapportent à la motivation intrinsèque (meilleur type de régulation, grand sentiment d’autonomie),

- les items 2, 6, 10 et 14 se rapportent à la régulation identifiée (bon type de régulation, sentiment d’autonomie élevé),

- les items 3, 7, 11 et 15 se rapportent à la régulation externe (mauvais type de régulation, sentiment d’autonomie faible),

- les items 4, 8, 12 et 16 se rapportent à l’amotivation (aucune régulation).

Figure 5. Traduction utilisée de la SIMS

Le tableau 2 présente des corrélations significatives mises en évidence par Guay et ses collègues entre les items de l’echelle SIMS illustrant les différents types de régulation du comportement et les sentiments de compétence, d’autonomie, l’intérêt pour la tâche ainsi que le niveau des émotions positives (Guay et al., 2000).

Les items relevant de la motivation intrinsèque et de la régulation identifiée sont positivement reliés à tous les éléments cités auparavant alors que les affirmations illustrant la régulation externe et l’amotivation y sont négativement reliées. En d’autres termes, quand les items mettant en évidence la motivation intrinsèque ou la régulation identifiée présentent un fort résultat, cela s’explique notamment par le fait de ressentir de la compétence et de l’autonomie et s’illustre par des émotions positives et un fort intérêt pour la tâche. Par contre, un fort résultat sur les items reliés à la régulation externe et à l’amotivation s’explique par une sensation de manque de compétence et d’autonomie. Les émotions positives sont peu exprimées et l’intérêt pour la tâche est faible.

Tableau 2. Corrélations entre les items de la SIMS, la satisfaction des besoins fondamentaux et les conséquences de la motivation

6.3. Description de l’échantillon

Cette évaluation a eu lieu au mois de septembre 2006, au début de l’année scolaire française. Le cours sur la révolution française développé pour MOCAS a été présenté à 32 élèves de 10 ans d’âge moyen (écart type = 0.45). Ceux-ci n’avaient pas encore étudié ce sujet. Le tableau 3 présente le profil du groupe interrogé dans cette étude.

Tableau 3. Profil du groupe d’élèves interrogés.

La différence la plus significative se situe au niveau de l’utilisation de jeux vidéo. 12 des 15 garçons (80% des garçons) reconnaissent y jouer régulièrement mais seules 5 des 17 filles (29% des filles) sont dans le même cas.

6.4. Protocole expérimental

Durant une phase de pré test, les élèves avaient à compléter le SIMS en pensant à au début de phrase suivant : en général, quand je suis un cours d’histoire. Notre objectif était de caractériser la motivation habituelle pour un cours d’histoire. Nous leur avions précisé oralement que nous attendions leur opinion et non « une bonne réponse ».

Après avoir répondu au pré test, les élèves ont suivi un cours d’histoire par l’intermédiaire de MOCAS dans la salle d’ordinateurs de l’école, par groupe de quatre. La durée moyenne d’une session a été d’environ 25 minutes. Le cours portait sur la révolution française, domaine qui figure dans le programme des élèves pour cette période de l’année. La figure 6 présente des élèves pendant une session d’apprentissage avec MOCAS.

Figure 6. Élèves utilisant MOCAS dans le cadre d’un cours d’histoire

Après la session d’utilisation de MOCAS, chaque élève a répondu de nouveau au SIMS mais, cette fois ci, en s’inspirant du début de phrase : si je devais utiliser un tel système dans un cours d’histoire...

Le post test contenait des questions supplémentaires visant surtout à confirmer le soutien à l’autonomie ressenti par les élèves dans le but d’expliquer nos résultats.

7. Résultats et discussion

Le tableau 4 présente l’évolution des scores moyens obtenus au moment du pré test et du post test pour chacune des seize affirmations de la SIMS. L’écart type est également indiqué. Les affirmations sont groupées quatre par quatre en fonction du type de motivation auquel elles font référence (régulations intrinsèque et identifiée : bons types de régulation; régulations externe et amotivation : mauvais types de régulation). Les moyennes au pré test et post test des scores des affirmations liés à chacun de ces regroupements sont également présentées.

Tableau 4. Evolution des scores moyens des affirmations de la SIMS entre pré test et post test

7.1. Analyse des résultats

7.1.1. Résultats au pré test

Les résultats au pré test montrent que, par défaut, la motivation pour un cours d’histoire est de bonne qualité au sein du groupe d’élèves : la moyenne des affirmations reliées à la motivation intrinsèque est très élevée (5,46). Celle de la régulation identifiée est également plus élevée que celle liée à la régulation externe, un mauvais type de motivation (respectivement 4.66 contre 4.10). La moyenne des affirmations liées à l’amotivation est quant à elle faible (2,87).

7.1.2. Résultats au post test

Les valeurs moyennes de 7 des 8 affirmations liées à une forme de régulation positive ont augmenté par rapport au pré test. Cette augmentation est particulièrement marquée au niveau de la motivation intrinsèque. L’affirmation 2 est la seule liée à une forme de régulation positive qui ait régressée : un certain nombre de discussions que nous avons eu par la suite avec les élèves nous amènent à penser qu’il y a eu une mauvaise compréhension de cette affirmation par ces derniers. 3 des 4 affirmations liées à la régulation externe ont vu leur score baisser. La moyenne des affirmations liées a cette régulation de mauvaise qualité a ainsi diminué. Les scores des affirmations liées à une absence de motivation sont demeurés relativement stables et faibles.

En d’autres termes, l’écart entre les scores des bons types de régulation (qui ont augmenté) et mauvais types de régulation (qui ont régressé) s’est nettement accru.

De manière à analyser plus précisément ces résultats, nous avons étudié l’évolution « pré test/ post test » des réponses de chaque élève pour chacune des 16 affirmations de la SIMS, en fonction du type de régulation que ces dernières caractérisaient. Ainsi, un élève répond à 4 affirmations pour chaque type de régulation, ce qui fait qu’avec nos 32 élèves, nous obtenons 128 réponses par type de régulation. La figure 7 présente, pour chaque type de régulation, la répartition des 128 réponses qui y sont associées en fonction de leur évolution entre le pré test et le post test (augmentation, stagnation ou diminution).

Figure 7. Évolution des items en fonction du type de régulation

La figure 7 met en évidence le fait que beaucoup des affirmations liées à un type de régulation intrinsèque ont augmenté entre le pré test ou le post test. Beaucoup sont également restées stables à un haut niveau et très peu d’items ont baissé. L’amélioration de la motivation intrinsèque est donc bien un phénomène généralisé et non limité à une petite fraction d’individus.

Au niveau de la régulation identifiée, même s’ils sont satisfaisants, les résultats sont moins flagrants. Ainsi, nous pensons que l’affirmation 2 a été mal comprise. Or elle influence fortement sur les résultats (pour 18 élèves sur 32, le score de l’affirmation 2 a baissé). En ne tenant pas compte de cette question, les proportions des réponses aux trois autres affirmations apparaissent plus en accord avec nos hypothèses (41% d’augmentation, 38% de stagnation et 21% de baisse sur les 96 items restant).

Les réponses aux affirmations relatives à la régulation externe (mauvaise forme de régulation) tendent principalement à diminuer ou à demeurer stable à un niveau moyen-faible, ce qui semble montrer que les élèves verraient moins comme une contrainte le fait de suivre un cours d’histoire dans le futur en utilisant MOCAS comparativement à suivre un cours d’histoire d’une manière plus classique.

Enfin les réponses liées à l’amotivation sont principalement restées stables.

7.1.3. Comparaison en fonction du sexe

Nous avons également étudié séparément les résultats des garçons et des filles. Nous avons noté que la motivation initiale (au moment du pré test) était d’un peu moins bonne qualité chez les filles par rapport à celle des garçons (moyennes de la motivation intrinsèque généralement moins élevées et celles de la régulation externe légèrement plus élevées).

Cependant, suite à l’utilisation de notre prototype de MOCAS, un effet positif sur la motivation intrinsèque et la régulation identifiée a été mis en évidence quel que soit le sexe et ce, malgré le fait que les filles semblaient de prime abord moins intéressées par les jeux vidéo (voir tableau 3). La baisse du sentiment de régulation externe de l’activité est par ailleurs sensiblement plus marquée chez les filles de notre groupe que chez les garçons.

7.2. Discussion

7.2.1. Validité de la méthodologie exploratoire

Nous avons choisi d’effectuer notre évaluation sur une classe dans son ensemble. Aucune présélection n’a été menée. Ainsi nous estimons que des élèves de tout niveau ont participé à cette étude. Si ces resultats doivent être mis en perspective du nombre limité d'élèves évalués, ils sont cependant un indicateur non négligeable que l’utilisation de MOCAS a eu un effet sur la qualité de la motivation pour un cours d’histoire. Cela devra cependant être confirmé par des évaluations complémentaires. Il pourra alors être intéressant de voir si le niveau général des élèves influe sur leur appréciation de notre système.

Comme nous l’avons dit auparavant, nous pensons fortement que l’affirmation 2 du SIMS a été mal comprise malgré que son sens, comme celui de toutes les affirmations de la SIMS a été expliqué clairement en classe par l’enseignant. Si nous ne considérions pas cette question et ne traitions donc que les trois autres affirmations liées à la régulation identifiée, nos résultats auraient été encore plus proches de nos hypothèses (voir 7.1.2.).

Par ailleurs, nous pensons que d’autres configurations de test (pays, accès à l’informatique, etc) pourront faire apparaître des variations dans les résultats sans pour autant remettre en cause la capacité de notre prototype à améliorer la qualité de motivation des apprenants.

7.2.2. Relations entre nos résultats et les sentiments d’encouragement de la compétence et de l’autonomie

Les résultats présentés confirment que l’utilisation de notre prototype de MOCAS pour un cours d’histoire améliore la qualité de la motivation à s’engager dans cette activité car cela augmente la qualité de la motivation comme nous l’espérions, c'est-à-dire que les comportements des apprenants sont régulés de manière intrinsèque ou identifiée. De plus, l’utilisation de notre système semble avoir un léger effet réducteur sur les formes négatives de régulation (le fait de se sentir contraint de suivre le cours ou totalement désintéressé par celui-ci). Cependant, des tests supplémentaires sur un plus grand nombre d’individus et à plus long terme seraient souhaitables.

Les corrélations clairement établies entre les items de la SIMS et le niveau de satisfaction des besoins d’autonomie et de compétence ainsi que certaines des conséquences de la motivation (voir tableau 2), indiquent que notre prototype de MOCAS semble affecter positivement les sentiments de compétence et d’autonomie des apprenants, conformément à nos attentes. L’effort de conception visant à développer un prototype de système soutenant le besoin d’autonomie par l’encouragement de la liberté des apprenants (recommandation 1) aurait donc porté ses fruits même si, comme nous l’avons déjà fait remarquer, du fait du nombre restreint d’élèves évalués, ces résultats nécessiteront d’être à nouveau confirmés.

7.2.3. Remarques complémentaires

Lors de la découverte de MOCAS, beaucoup d’élèves ont prononcé des commentaires positifs (« cool »). Certains ont même été jusqu’à demander à l’issue de la session si le système pouvait être acheté dans le commerce ou téléchargé alors que la version qui leur a été présentée n’est qu’un prototype.

Un bon nombre d’élèves se sont d’ailleurs remis spontanément à utiliser le système et à interroger les agents pédagogiques, après avoir complété le post test et en attendant de devoir retourner en classe. Ce genre de comportement, appelé libre choix (Deci, 1972), est fréquemment vu comme un indicateur non négligeable de motivation intrinsèque pour l’activité.

8. Conclusion et travaux futurs

Dans cet article, nous avons présenté un STI multi agents appelé MOCAS. Nous avons conçu MOCAS de manière à ce qu’il encourage les besoins psychologiques fondamentaux des apprenants proposés dans la théorie de l’autodétermination. D’après cette théorie, encourager les sentiments d’autonomie, de compétence et de relationnel permet d’améliorer la qualité de motivation pour effectuer une activité. Le prototype actuel de MOCAS s’est surtout attaché à satisfaire la recommandation relative au besoin d’autonomie. En effet, ce besoin est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre de recherches jusqu’à présent et est donc le plus documenté. La satisfaction des besoins de compétence et de relationnel au sein de notre prototype au sein de notre prototype MOCAS est l’objectif de nos prochains travaux.

Les propositions que nous avons détaillées dans cet article sont des recommandations et non des prescriptions. A ce titre, il n’est pas nécessaire qu’elles soient complètement satisfaites pour qu’un STI puisse avoir un effet positif sur la motivation. Ryan et ses collègues ont montré, par exemple, que des jeux vidéo qui n’avaient pas d’option multi-joueurs (donc aucune satisfaction du besoin de relationnel) pouvaient tout de même se révéler très motivants dès lors qu’ils encourageaient correctement l’autonomie et la compétence de leurs utilisateurs (Ryan et al., 2006).

Les résultats obtenus dans une évaluation de ce prototype montrent que son utilisation semble effectivement avoir un effet positif sur la motivation des élèves pour un cours d’histoire. Cependant, vu le nombre restreint d’élèves ayant pris part à cette évaluation, ces résultats devront être confirmés dans d’autres études.

9. Remerciements

Cette étude a été financée avec l’aide du Fond Québecois pour la Recherche sur la Société et la Culture (FQRSC). Nous voulons adresser un remerciement particulier aux élèves de l’école primaire St Joseph, aux Herbiers, en Vendée et à leur maître, pour leur participation à cette étude.

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A propos des auteurs

Emmanuel G. BLANCHARD a obtenu son Ph.D. en informatique du Département d’Informatique et Recherche Opérationnelle de l’Université de Montréal en 2007. Le sujet de sa thèse portait sur la prise en compte de la motivation et de la culture dans le e-Learning. Ses intérêts de recherche comprennent les Systèmes Tutoriels Intelligents, les systèmes multi-agents et les agents pédagogiques, l’adaptation culturelle, l’enseignement collaboratif, les interactions homme-machine ainsi que les ontologies.

Adresse : Département d’Informatique et de recherche opérationnelle, Université de Montréal, Pavillon André-Aisenstadt, CP 6128 succ Centre-Ville, Montréal QC, H3C 3J7 Canada

Courriel : blanchae@iro.umontreal.ca

Claude FRASSON est professeur titulaire au Département d’Informatique et Recherche Opérationnelle de l’Université de Montréal. Il y dirige le laboratoire HERON et est également directeur du GRITI (Groupe de Recherche Interuniversitaire en Tutoriels Intelligents, regroupement de laboratoires provenant de sept universités québécoises). Ses recherches se concentrent sur les Systèmes Tutoriels Intelligents et sont notamment liées, par ce fait, à l’intelligence artificielle, l’éducation, la pédagogie, les méthodes d’apprentissage, l’ingénierie des connaissances, la gestion des émotions, le e-Learning et l’apprentissage machine. Claude Frasson est le fondateur et le président du comité de direction de la conférence internationale ITS qui a lieu tous les deux ans.

Adresse : Département d’Informatique et de recherche opérationnelle, Université de Montréal, Pavillon André-Aisenstadt, CP 6128 succ Centre-Ville, Montréal QC, H3C 3J7 Canada

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