Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 14, 2007
Article de recherche

Proposition d'un traitement émotionnel
pour un STI "conscient"

Mohamed GAHA, Daniel DUBOIS, Roger NKAMBOU UQAM, Montréal

RÉSUMÉ : De récentes études ont montré que les émotions jouent un rôle important dans tout processus d’apprentissage. Dans le but d’optimiser de tels processus, nous faisons l’hypothèse que les Systèmes Tuteurs Intelligents (STI) gagnent à prendre en considération les émotions. Nous présentons ici l'architecture d’un agent cognitif appliqué au tutorat, CTS. Le fonctionnement du système CTS s’apparente à celui du cerveau humain selon la théorie neuro-psychologique de Baars sur l'esprit et la conscience. Ses compétences hautement distribuées lui permettent de tenir compte de multiples sources d'information et d'analyser la situation à partir de plusieurs points de vue. Dans cette analyse, notre apport central est de proposer une extension aux capacités émotionnelles de CTS. Nous décrivons une extension à CTS dont l’objectif est de permettre à l’agent à la fois de tenir compte de l'évolution cognitive de l'apprenant pour sélectionner et moduler les actions déployées et gérer l'état émotionnel de l'apprenant afin d'optimiser son apprentissage.

MOTS CLÉS : agent cognitif, émotion, conscience, modèle de l'apprenant, cognition, décision, adaptation.

ABSTRACT : Recent studies reveal that emotions have much to do with learner's performances. Consequently, e-learning systems should integrate emotional capabilities in order to optimize learners' experience. This paper presents CTS, our cognitive agent as it is applied to tutoring. Based on Baars' Global Workspace theory on mind and consciousness, CTS mimics the processing accomplished by the brain. Its highly distributed competence lets the agent consider concurrently multiple information sources and analyse a situation from various points of view. Central to this paper is a proposed extension to CTS' emotional processing. It should allow CTS to take into consideration manifestations of learners' emotions along with his evolving knowledge. This aims both at adapting its pedagogical or didactical interventions, and at playing on learner's emotional state to obtain better proficiency.

KEYWORDS : cognitive agent, emotion, consciousness, learner model, cognition, decision, adaptation.

1. Introduction

2. Émotions et cognition

3. Exemples de systèmes STI

4. CTS, notre agent cognitif "conscient"

5. Les aspects architecturaux spécifiques aux émotions

6. Description fonctionnelle

7. Conclusion

BIBLIOGRAPHIE

1. Introduction

Pour les théoriciens interactionnistes, le succès de tout processus d’apprentissage dépend grandement des prédispositions émotionnelles de l’apprenant. En effet, selon eux, l’intelligence dépend étroitement de l’émotion. Daniel Goleman (Goleman, 1995) fut l'un des premiers à attirer l'attention du grand public sur la théorie de l'intelligence émotionnelle et à soutenir que les émotions nous pilotent jour après jour. Les émotions tiennent ainsi un rôle fondamental dans tout processus cognitif et se révèlent primordiales lors de l’apprentissage. Elles influencent les états psychologiques et biologiques de l’individu et, comme le soutiennent Alvarado et ses collègues (Alvarado et al., 2002), elles agissent sur l’attention de l’apprenant et sur ses capacités de compréhension et de mémorisation. Un apprenant vivant une détresse émotionnelle (craintes d'échouer, peur, pressions psychologiques de diverses natures, sentiment d'incompétence, etc.) voit ses performances d’apprentissage réduites (Thomas et al., 2001). Par contre, s’il est émotionnellement soutenu, l’apprentissage fonctionne mieux et l’apprenant présente des résultats meilleurs.

Pour toutes ces raisons, plusieurs Systèmes Tuteurs Intelligents (STI) prennent aujourd’hui en considération les aspects émotionnels de l’apprenant. Des systèmes tuteurs tels que STEVE (Elliott et al., 1999), COSMO (Lester et al., 1999), PAT (Augustin et al., 2004) et DARWAR (Johnson et al., 2006) prennent appui sur des recherches en psychologie et/ou en neurologie pour dispenser des enseignements qui tiennent compte de la dimension émotionnelle. Notre agent CTS (Conscious Tutoring System) (Dubois et al., 2007), développé au laboratoire GDAC de l'université du Québec à Montréal, s’inscrit dans la même perspective et se présente comme un agent cognitif "générique", capable de multiples applications et extensible. Flexible, l’architecture de CTS permet le traitement des données émotionnelles. Il lui manquait cependant la définition de mécanismes modélisant les états émotionnels de l'apprenant et affectant les décisions de l'agent. Nous proposons ici une telle extension.

Le présent article se fixe comme objectif premier de répondre à la question de recherche suivante : comment étendre l’architecture de CTS afin de dispenser un apprentissage personnalisé qui tienne compte des aspects émotionnels ? Pour les besoins de l’analyse, nous examinons dans la prochaine section le lien entre émotion et cognition. Nous étudions dans la section 3 comment certains systèmes tuteurs utilisent actuellement les émotions pour améliorer leurs interactions avec l'apprenant. Dans la section 4, nous présentons l’agent CTS et décrivons ses opérations internes. Par la suite, nous présentons notre proposition d'extension de l'aspect émotionnel chez CTS, pour enchaîner, dans une section finale, avec l'explication des interactions internes entre processus cognitifs et processus émotionnels.

2. Émotions et cognition

2.1. L’émotion et la cognition : des liens dialectiques continus

Historiquement, les émotions et la cognition ont souvent été considérées comme deux notions indépendantes. Pour plusieurs philosophes et auteurs classiques, les émotions sont plutôt récusables ;  elles affectent négativement la cognition et altèrent l’exercice de la raison. Platon, décrivait les émotions comme des désirs irrationnels qui doivent être contrôlés lors de l’utilisation de la raison puisqu’elles affectent négativement la cognition et altèrent l’exercice de la raison. Ce point de vue est resté dominant. On le retrouve chez Kant, qui affirme que les émotions sont une maladie du cerveau −d’après (O'Regan, 2003). Cette acception négative des émotions est toujours présente dans la littérature. Elle a caractérisé les recherches et les théories afférentes à l’éducation jusqu'à très récemment.

Or, de récentes recherches menées en sciences cognitives et en neurosciences ont démontré que les émotions jouent un rôle central dans l’apprentissage et dans la prise de décision (Ahn et al., 2005), (Adam et Evrard, 2005), (Chaffar et al., 2006), (Ahn et al., 2005). Bechara et ses collègues (Bechara et al., 1997) soutiennent que l’acteur raisonne, décide et agit à partir et à la lumière des expériences émotionnelles vécues. Dans la même perspective, Postle (Postle, 1993) développe un modèle multimodal où les actions à entreprendre et l’apprentissage à réaliser dépendent de l’état émotionnel de l’acteur. En neurobiologie, LeDoux (LeDoux, 1996) démontre, à travers des tests cliniques, la relation entre l’émotion et certains aspects de la cognition. Enfin, les travaux de Lisetti (Lisetti, 2004) confirment, de manière empirique, l’étroite relation entre cognition et émotion ;  ils recensent neuf aspects où la cognition serait directement influencée par les émotions, parmi lesquels l’apprentissage. Lisetti affirme que la qualité de l’apprentissage est fortement liée à l'état émotionnel. Augustin et ses collègues (Augustin et al., 2004) ajoutent que l’induction d’émotions plutôt “favorables” autorise un meilleur déroulement des processus d’apprentissage et une efficience plus élevée en relation avec des objectifs cognitifs. Ainsi, un système tuteur capable de tenir compte de l’état affectif de l’apprenant pour ajuster et construire une approche pédagogique appropriée serait à même de mieux soutenir l’apprenant dans la réussite de son apprentissage

Aujourd’hui, plusieurs systèmes d’apprentissage cherchent à inclure dans leur mode opératoire une telle dimension. Nous en rappelons les plus significatifs mais, auparavant, nous définissons brièvement ce que nous entendons par émotion.

2.2. Qu’est-ce qu’une émotion ? 

L’émotion est une notion floue, difficilement définissable (Alvarado et al., 2002). Elle est idiosyncrasique et socio-historiquement caractérisée. En d'autres termes, elle est particulière à chaque individu et propre à un espace-temps donné (Picard, 2003). Ainsi, l’émotion est approchée de plusieurs façons et, selon les auteurs, plusieurs définitions, rôles et attributions lui sont donnés (Michaud et al., 2001), (O'Regan, 2003).

Selon des études neurobiologiques, les émotions sont à la base de nos réactions physiologiques et comportementales et impliquent plusieurs facteurs biochimiques, socioculturels et neurologiques (O'Regan, 2003). Elles se traduisent par des réactions spécifiques : motrices (tonus musculaire, tremblements,  etc.), comportementales (agitation, fuite, agression, incapacité à bouger etc.), et physiologiques (pâleur, rougissement, accélération du pouls, palpitations, sensation de malaise,  etc.). Selon Damasio (Damasio, 2002), les émotions représentent respectivement le début et le terme d’une progression. Émouvoir, c’est mettre en mouvement, changer d’attitude. Ainsi, ajoute-t-il, l’émotion serait l’ensemble des modifications transitoires de l’état de l’organisme. Elle serait indispensable à tout système intelligent, qu’il soit naturel ou artificiel. Bien que cette approche ait fait l’objets de critiques, entre autres par Sloman (Sloman, 1999), qui soutient que les émotions sont non requises au contrôle et à l’intelligence, l’approche de Damasio tend à se vérifier dans de récentes études (Alvarado et al., 2002). De ces idées, nous retenons, d’une part, la possibilité de détecter les émotions par des manifestations comportementales et, d’autre part, le pouvoir des émotions, qui “changent l’attitude et mettent en mouvement”.

3. Exemples de systèmes STI

L’un des premiers systèmes d’apprentissage qui intègre un agent virtuel doté d’émotion est STEVE (SOAR Training Expert for Virtual Environments) (Elliott et al., 1999). C’est un agent virtuel pédagogique qui a pour principal objectif d’aider les apprenants à réaliser des tâches physiques et procédurales. L’agent STEVE est appelé à contrôler et à agir sur l’état émotionnel de l’apprenant dans la formation à la maintenance d’équipements navals complexes. Pour ce faire, il dispose de 26 types d’émotions et de 70 expressions faciales. Il peut démontrer des tâches, répondre à des questions et fournir de l’aide pour résoudre certains problèmes. Les membres de l’équipe de Conati (Conati, 2002) utilisent, quant à eux, un modèle probabilisable de réseau de décision dynamique (Dynamic Decision Network) pour décider quand intervenir en tenant compte de l’apprenant et de son état émotionnel. Cette approche trouve application dans les jeux éducatifs et se présente comme un modèle évolué d'OCC1 (Ortony et al., 1988). Le laboratoire multimédia de l’Université de la Caroline du Nord a créé un agent pédagogique virtuel qui se nomme COSMO (Lester et al., 1999). Pour aider l’utilisateur dans des activités de résolution de problèmes, COSMO affiche différents comportements émotifs. Ceux-ci proviennent d’une série de comportements préenregistrés touchant sa posture, son visage et sa voix. L’équipe d'Augustin (Augustin et al., 2004) a développé, quant à elle, un agent de médiation qui a pour mission de motiver l’apprenant en lui octroyant un comportement émotif “favorable”. À la lumière des manifestations émotionnelles exprimées, le système prend connaissance de l’état affectif de l’apprenant puis choisit une approche pédagogique conséquente. En 2002, Faivre, Nkambou et Frasson ont développé un système composé de deux agents émotionnels. L’agent Émilie-1 exhibe l’émotion du tuteur exprimé par un mannequin, et le second agent, Émilie-2, tente d'inférer l'émotion de l'apprenant par le biais de réseaux de neurones (Faivre et al., 2002). Tout récemment, Johnson (Johnson et al., 2006) a développé un STI nommé DARWAR destiné à l’apprentissage d’une langue étrangère. L’apprenant pratique les concepts linguistiques nouvellement appris dans un environnement virtuel.. Tout au long de son apprentissage, un agent virtuel l’aide, le conseille et le soutient émotionnellement en le motivant (Johnson et al., 2005).

Tous ces systèmes visent à mettre à l’épreuve l’hypothèse que des STI tenant compte des émotions des apprenants augmentent les performances d’apprentissage. Toutefois, à ce jour, il n’existe pas un système capable de remettre en cause sa manière d’opérer au regard des émotions exprimées par l'apprenant. Les systèmes actuels agissent d’une manière prédéfinie vis-à-vis d’une classe d’états émotionnels préformés. Pour pallier cette insuffisance majeure, nous avons cherché à développer un STI ayant certaines capacités de délibération, un STI capable de détecter certains échecs relatifs à l’approche pédagogique adoptée et, surtout, de mettre en action une approche alternative d’apprentissage mieux adaptée aux conditions émotionnelles spécifiques de l’apprenant.

4. CTS, notre agent cognitif "conscient"

CTS est fondamentalement appuyé sur la théorie de l'atelier global (Global Workspace theory) proposée par Baars (Baars, 1988), (Baars, 1997). Cette théorie psycho-neurologique propose un cadre général décrivant l'esprit humain et le rôle essentiel qu'y jouent l'attention et la conscience. Afin de comprendre l'architecture de CTS et son fonctionnement, nous rappelons les principaux éléments de cette théorie.

4.1. La théorie de l'atelier global

Dans sa théorie, Baars explique que la conscience est l'aboutissement de l'évolution, en accord avec d'autres auteurs tels Sloman et Chrisley (Sloman et Chrisley, 2003). Il soutient d'autre part qu'il existe dans le cerveau un "espace de rencontre" pour l'ensemble des processus et des informations, un mécanisme capable de lier les ressources de manière pertinente permettant ainsi de recourir à des processus complémentaires si des situations imprévues se présentent (Dehaene et Naccache, 2001)(Crick et Koch, 2003)(Tononi et Edelman, 1998). L’apport essentiel de Baars consiste en l'organisation d'un cadre complet expliquant le fonctionnement de l'esprit de manière simple et uniforme. Sa théorie propose une structure qui assemble diverses hypothèses en un tout cohérent.

La base de la théorie de l'atelier global tient dans le traitement réparti effectué par une vaste collection de processeurs neuronaux très efficaces, mais spécialisés et aux capacités limitées. Parce que la tâche pouvant être accomplie par chacun reste très simple, élémentaire même, il leur faut habituellement collaborer entre eux, s’organiser en coalition, pour traiter les divers aspects d'une situation. Chacun des processeurs accomplit "silencieusement", dans l'inconscient de l'esprit, la tâche spécialisée qu'il sait accomplir, puis il rapporte ses conclusions en mémoire de travail. L'attention est attirée par le groupe neuronal le plus actif dans la mémoire de travail. Nous arrivons ici au cœur de la théorie. En émergeant au niveau de la conscience, l’information sélectionnée se voit “publiée” globalement au vaste auditoire que forment les processeurs inconscients. Certains reconnaissant l'information, la traitent ou font savoir en mémoire de travail qu'ils ont besoin de l'assistance d'autres processeurs pour traiter l'information. De nouveau, l'information la plus importante se voit sélectionnée par l'attention, puis publiée. Ce mécanisme est celui qui permet les mouvements volontaires, qui autorise à faire bouger un doigt, à ouvrir la bouche, à diriger un regard ou à effectuer le rappel d'une information. De fait, nous ignorons exactement comment nos muscles se trouvent activés, comment chacun des éléments qui les composent se met en action, mais il suffit de "mettre dans notre esprit" la volonté d'effectuer l'une de ces actions pour que celle-ci s’accomplisse normalement.

Selon Baars, la conscience rend possible des opérations mentales de multiples natures. Il dénombre, à cet effet, un grand nombre de rôles et fonctions auxquelles elle participe : fournir accès aux ressources inconscientes (les activateurs des muscles, nos mémoires déclaratives, nos mémoires procédurales, nos capacités d'analyse et de création, etc.) ;  gérer la priorité des informations (par le mécanisme complémentaire de l'attention) ;  compléter l'interprétation des stimuli (proposer le problème au reste de l'audience des processus inconscients lorsque les mécanismes perceptuels ne suffisent pas) ;  compléter la détection et la correction inconsciente des erreurs (lorsque le stimulus se révèle en porte-à-faux aux attentes) ;  résoudre des problèmes, créer et éditer des plans (adaptation des plans selon le contexte et modification des étapes inappropriées) ;  permettre l'abstraction ;  rendre possible la réflexion et la référence au Soi, soutenir le contrôle volontaire. Sans la conscience, ces opérations (et plusieurs autres non énumérées ici) ne peuvent se produire.

Franklin a sélectionné la riche théorie de Baars comme fondation pour cons-truire les agents cognitifs Conscious Mattie (Zhang et al., 1998), IDA (Franklin et al., 1998) et LIDA (Franklin et Patterson, 2006). Profitant du tremplin, nous avons choisi d'utiliser IDA comme point de départ pour notre propre agent tuto-riel, CTS (Conscious Tutoring System). Calquée sur cette description du cerveau humain et les fonctions qu'il inclut, l'architecture de CTS reproduit et utilise plu-sieurs de ces rôles et processus (nous en abordons certains dans les sections 4.2 et 4.4). La section 5 décrit comment plusieurs de ces processus (appel aux res-sources "inconscientes", priorisation des informations, réflexion, référence au Soi, délibération et perception) se voient impliqués dans la gestion émotionnelle de CTS. Des expériences menées en psychologie ainsi que de nombreuses recherches entreprises en neurosciences confirment les rôles que nous venons d'énoncer (voir par exemple (Crick, 1993), (Debner et Jacoby, 1994), et le livre de Baars (Baars, 1997)). Elles démontrent l'utilité de la conscience dans l'adaptation de l'humain à son environnement et dans la gestion de sa complexité. Nous présen-tons ci-après l'architecture qui en résulte, son domaine d'application actuel et les possibilités qu'elle autorise.

4.2. L'architecture conceptuelle de CTS

Nous allons tout d'abord décrire l'architecture conceptuelle globale du système ainsi que ses mécanismes2. Nous reviendrons sur les aspects spécifiques aux émotions de l'apprenant dans la section 5.

Le fonctionnement global de l'architecture repose sur deux éléments : les microprocessus, et le triplet [Mémoire de travail-Attention-Conscience d'accès]3. Les microprocessus tiennent le rôle des processeurs de la théorie de Baars. Ils accomplissent des fonctions diverses : perception, représentation, transport d'information, recherche d'informations spécifiques entrant dans la Mémoire de travail (MT), actions motrices, gestion métacognitive, etc. Certains tiennent leur rôle isolément, mais généralement, du fait de leurs capacités limitées, ils s'associent avec d'autres. D'autres encore peuvent collaborer séquentiellement d'une manière automatisée. Les microprocessus travaillent toujours dans "l'inconscient", à l'exception des microprocessus d'information. Ces derniers échappent à cette règle puisqu'ils représentent et contiennent l'information qui transite entre les divers modules et la Mémoire de travail, d'où ils peuvent éventuellement être élevés au niveau de la Conscience. La Conscience d'accès4 publie et communique à toutes les ressources de l'architecture (microprocessus et modules) l'information sélectionnée par l'Attention dans la Mémoire de travail. Le passage à la conscience est ainsi transitoire.

Figure 1 Architecture conceptuelle de CTS

Quoique cette description simple, mécaniste et de haut niveau des opérations ne puisse rendre compte d'aspects difficiles liés à la conscience (Chalmers, 1995), elle semble néanmoins coller aux phénomènes observés, et s'avère en harmonie avec les recherches en neurosciences (voir par exemple (Crick et Koch, 2003)). Elle nous fournit un mode opératoire reproductible dans un agent artificiel et utilisable pour former, par exemple, un agent tuteur sensible à divers aspects et hautement adaptatif. Revenons, à présent, à notre architecture pour en présenter les autres modules.

La Mémoire de travail (MT) se trouve au cœur des communications. Toute source d'information (microprocessus et modules) y dépose ce qu'elle souhaite faire connaître. Par exemple, les percepts construits par les microprocessus perceptuels y rencontrent les informations proposées par le Modèle de l'apprenant (qui renferme les sous modules Connaissances de l'apprenant et le Modèle psychologique et émotionnel de l'apprenant) et par l'Expert du domaine. Des informations proviennnent aussi des mémoires déclaratives. La MT constitue ainsi un “lieu” de rencontre, un point de convergence où se tissent des liens entre microprocessus d'information pour former une description plus riche et plus complète sur un état ou sur une décision en élaboration.

Des fonctions de haut niveau s'ajoutent au travail des microprocessus sous la forme de modules autonomes, principalement : la Perception, la Mémoire de travail (MT), la Conscience d'accès, le Réseau des Actes (RA), le Modèle de l'apprenant (MA), l'Expert du domaine (ED), et les mémoires déclaratives (sémantique, autobiographique et épisodique transitoire). Le RA équivaut au recueil du savoir-faire de l'agent. Il s'agit d'un réseau plus ou moins hiérarchique de séquences d'actes partiellement spécifiés.

Chaque séquence vise l'atteinte d'un but et/ou le traitement d'une Émotion de l'agent. Les Actes qui composent les séquences précisent les préconditions requises à leur déclenchement et les effets attendus suite à leur exécution, d'une manière similaire à un système de règles de production (Figure 2). Ils apparaissent dans le diagramme sous forme de rectangles arrondis.

Des liens relient les Actes, allant des effets de l'un aux préconditions de l'autre, et réciproquement (les liens sont doubles). Ces liens n’indiquent pas seulement la logique du réseau ; ils servent aussi à la circulation d'énergie (une valeur numérique) entre nœuds interconnectés. La circulation d'énergie différencie notre réseau d'un système conventionnel de règles de productions. Le prochain Acte à déclencher s'établit à la fois sur la base des préconditions présentes, et selon l'accumulation de l'énergie dans les nœuds d'acte.

Cette énergie provient d'une part de nœuds particuliers qui représentent soit les "émotions" de l'agent, soit ses "désirs professionnels" (tous deux schématisés ici sous forme de ronds) ; l'énergie provient d'autre part des nœuds d'état (les États) qui représentent les préconditions à satisfaire (schématisées par des triangles).

La structure de prise de décision est donc influencée par deux aspects complémentaires : les Désirs et Émotions pilotent la prise de décision en fonction des aspects propres à l'agent, et les États, parallèlement, pilotent la prise de décision en pure réaction à l'état de la situation (état de l'environnement et faits internes à l'agent). Les décisions prises dans le Réseau des Actes résultent ainsi d'une combinaison des buts poursuivis par l'agent, de ses "émotions", et de l'état de l'environnement. Les Émotions et les États “écoutent” les publications de la Conscience d'accès. Ceux qui reconnaissent une information les concernant s'activent plus ou moins intensément selon leur sensibilité préformée aux diverses informations reçues.

Figure 2 : Une séquence du Réseau des Actes

Les nœuds d'acte produisent leurs effets grâce aux microprocessus qui les composent. En effet, faisant partie d'une structure de prise de décision, ils n'effectuent aucune opération par eux-mêmes, hormis le transfert d'énergie. Chaque acte est donc relié à un ou plusieurs microprocessus. Par exemple, la tâche "Choose manipulation task" contient un microprocessus d'information qui amène en Mémoire de travail la sollicitation pour une tâche de manipulation à offrir à l’apprenant. Comme tout nœud d'acte, il contient aussi au moins un microprocessus de confirmation dont le rôle est de surveiller si les effets attendus adviennent tel que prévu, et dans les délais spécifiés. Si les effets ne surviennent pas ou divergent des attentes, ce microprocessus dépose dans la MT un microprocessus d’information indiquant cet état de fait afin de solliciter la collaboration d'autres processus.

Dans la section 5, nous analysons les émotions et décrivons leurs rôles. Auparavant, nous illustrons le domaine d'application de CTS, l'utilité de cet agent, et les défis que son architecture relève.

4.3. Le domaine d'application de CTS et les services fournis

Notre agent CTS a reçu comme premier domaine d'application l'encadrement des astronautes qui doivent s'entraîner à la manipulation du bras robotique Canadarm2 (voir Figure 3). Déplacer des charges ou simplement manipuler le Bras implique une liste imposante de connaissances factuelles et procédurales ainsi que l'acquisition de nombreuses habiletés. L'astronaute doit atteindre un grande habilité perceptuelle de la situation. Il doit savoir utiliser au mieux la dizaine de caméras fixes qui lui permettent d'observer le Bras et la station spatiale sur trois écrans d'ordinateur.

Les consignes de sécurité et les procédures exigent un respect des procédures et une attention sans faille. Considérant les enjeux (le risque de heurter un module et d'occasionner sa dépressurisation ou même sa destruction), l’apprentissage et la maîtrise de l’ensemble des consignes s'avèrent primordiaux. Un tel apprentissage s'effectue présentement sous l’œil vigilant d'entraîneurs humains. L'offre d'un STI aux astronautes vient leur permettre de s'entraîner en dehors de l’enclos des simulateurs et en tout temps. Ces raisons nous ont poussés au développement d’un CTS qui reprend les fonctions présentement remplies par les tuteurs : sélection d'exercices théoriques et pratiques, réponse aux questions factuelles et procédurales, conseils et suggestions lors des entraînements pratiques (Figure 4), évaluation des manipulations et résultats.

Figure 3 : Situation d’opération réelle que reproduit le simulateur

Figure 4 : CTS intervient (fenêtre du bas) lors d’une procédure incorrecte

Conçu au sein de notre laboratoire, CTS analyse les opérations de l'astronaute, construit une représentation de ses connaissances et compétences, sélectionne la prochaine activité sur la base des succès et échecs observés chez l'apprenant (Dubois et al., 2006), (Dubois et al., 2007). La présente proposition vise à y inclure une prise en compte de l’état émotionnel des astronautes

4.4. Le cycle cognitif de CTS

Le cycle cognitif de CTS ressemble à celui d'IDA5. CTS effectue le traitement de ce qu'il capte de l'environnement par les étapes globales Sentir-Traiter-Agir avec un découpage cependant plus nuancé de ces trois blocs globaux (voir Figure 5). Pour les besoins de la compréhension, nous décrivons ci-après les étapes 4 à 8 du cycle.

Toutes les informations provenant des diverses sources (Perception, Expert du domaine, Modèle de l'apprenant, mémoires, Réseau des Actes, microprocessus attentionnels, etc.) se retrouvent en Mémoire de travail (étapes 2, 3b et 4a) en un ou plusieurs microprocessus d’information organisés en structures appelées coalitions. Selon l’importance de l'information qu'elle représente, chacune d’elles se trouve plus ou moins activée. Les émotions du tuteur, lorsque nous aurons développé cet aspect complémentaire de la gestion émotionnelle, pourront venir ici s'attacher à une coalition (4a)6, la renforcer et augmenter la probabilité qu'elle soit sélectionnée par l'Attention (4b). À l'étape 5, la Conscience d'accès transmet à toutes les ressources l'information sélectionnée par l'Attention parmi toutes celles se trouvant dans la Mémoire de travail.

Cette phase de publication crée des réactions chez les ressources qui reconnaissent l'information. Entre autres, dans le Réseau des Actes, certaines Émotions s'activent et versent de l'énergie (ou en versent davantage, si elles étaient déjà actives) dans les séquences qui leur correspondent (étape 6). Certains États de même reconnaissent l'information et se déclarent satisfaits (en devenant actifs), puis transmettent de l'énergie à l'Acte (ou aux Actes) dont ils sont préconditions.

Figure 5 : Cycle cognitif de CTS

Cette énergie favorise certaines séquences, exerçant ainsi une pression, par exemple, pour la sélection d’un choix didactique plutôt qu'un autre. L'Acte le plus activé du réseau et dont tous les États préconditions sont vérifiés est choisi (étape 7) et déclenche ainsi tous les microprocessus qu’il contient (étape 8).

5. Les aspects architecturaux spécifiques aux émotions

Afin d’optimiser le processus d’apprentissage, CTS tente d’induire des émotions opportunes chez l'apprenant, des émotions de nature à l'aider à mieux apprendre. Pour ce faire, notre système opte pour une approche pédagogique/didactique appropriée qui s’adapte au mieux à l’état émotionnel de l’apprenant. En outre, il est en mesure de délibérer quant à la pertinence d'appliquer l’approche pédagogique/didactique adoptée, et éventuellement en considérer une autre, plus adaptée.

Dans CTS, la prise en compte des émotions revêt deux aspects : la détection de l’état émotionnel de l’apprenant et l'adaptation à cet état. En premier lieu, nous décryptons l’état émotionnel de l’apprenant via une modélisation de l’apprenant ainsi qu'à l'aide du modèle OCC (Ortony et al., 1988). En deuxième lieu, nous positionnons une collection d’Émotions qui s'impliquent dans le choix des actions du tuteur au niveau du planificateur qu’est le Réseau des Actes. De l’interaction entre la représentation de l’état émotionnel de l’apprenant et des Émotions du planificateur de tâche résulte un schéma d’apprentissage conséquent en même temps que plus personnalisé. Pour mieux comprendre cette approche, nous analysons en premier lieu, les fondements théoriques du système émotionnel. Dans un second lieu, nous donnons un exemple d’exécution en citant les avantages de cette approche en comparaison à CTS dans son état original, sans la gestion émotionnelle.

5.1. Description théorique

Pour tenir compte de l’aspect émotif de l'apprenant, CTS est appelé à traiter deux ensembles d’excitateurs à l'aide d'une mécanique émotionnelle qui se compose (1) des Émotions du tuteur CTS, implémentées sous forme de nœuds spéciaux dans le Réseau des Actes (RA) (voir la description du RA de la section 4.2), et (2) du Modèle de l'apprenant (MA). Ces excitateurs couvrent deux champs : les excitateurs externes, qui sont des événements émotionnels/cognitifs captés de l’apprenant (Ahn et al., 2006), et les excitateurs internes provenant des conclusions inférées par le Modèle de l’apprenant.

5.1.1. Excitateurs externes

Les excitateurs externes apparaissent habituellement en conséquence directe de la stratégie pédagogique ou du soutien émotionnel adopté par le tuteur. Ils représentent alors les signes d'un état émotionnel/cognitif particulier attendu chez l’apprenant. En effet, certaines actions de CTS prévoient l’apparition des manifestations d’un état émotionnel/cognitif particulier chez l’apprenant (telles que l’augmentation du taux de succès dans les manœuvres de l'astronaute, une séquence de réponses majoritairement justes sur un sujet qui semblait mal maitrisé au départ, ou l'accélération des prises de décision). Dans le cas où cet excitateur externe attendu est détecté, le tuteur se reconnaît satisfait et conforte l’action qu’il a prise. Par contre, en l’absence de l’effet escompté, le tuteur est insatisfait. L’état d’insatisfaction du tuteur peut le mener à la recherche soit d’une autre stratégie pédagogique pour atteindre l’état cognitif attendu, soit d’une nouvelle manière de faire en vue d’induire un état émotionnel plus approprié. Pour mieux expliciter cette idée, prenons le cas où le Modèle de l’apprenant amène le tuteur à supporter l’apprenant en favorisant, dans le RA, l’exécution des sous séquences d’Actes pour motiver l’apprenant. Des microprocessus de confirmation sont alors lancés et viennent à l’affût d’événements extérieurs spécifiques. Ces événements de nature émotionnelle ou cognitive représentent les excitateurs externes attendus. Ils sont des manifestations révélant que l’apprenant a été correctement soutenu. En l’absence de ces excitateurs externes après exécution de la séquence d’actes prévus dans le réseau, le tuteur conclut que la stratégie s'avère inefficace, inappropriée ou incomplète. De ce constat d’absence découle un état émotionnel d’insatisfaction chez CTS. Si cet état atteint un seuil prédéfini, CTS peut alors amorcer une phase de délibération afin d'identifier la cause probable de l'échec, puis modifier son comportement futur et mettre en œuvre une nouvelle manière de faire pour s’adapter à l’apprenant. Ainsi, le tuteur peut décider, après analyse, d’opter pour trois actions possibles : il peut (1) décider de s’y prendre autrement pour tenter d'induire un autre état émotionnel, (2) décider de ne plus chercher à induire un état émotionnel particulier, car il ne fonctionne pas, ou (3) décider de rester sur les mêmes conclusions, en signalant l’échec de l’approche.

Bien entendu, en l'absence de détecteurs biométriques ou de systèmes d'interprétation visuelle des expressions faciales de l’apprenant, la détection des manifestations émotionnelles demeure limitée. Pour ces raisons nous préconisons d’utiliser le modèle OCC pour approximer les états émotionnels de l’apprenant. Ces conclusions serviront d’entrées au Modèle de l’apprenant, qui détient des informations plus complètes sur l’apprenant (son profil psychologique, l’historique de ses émotions, ses forces et faiblesses, ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, les connaissances qu'il possède sur le domaine, le succès des interventions passées, et ainsi de suite). Ainsi, c’est au Modèle de l’apprenant que reviendra la délicate tâche de déterminer dans quel état émotionnel se trouve l’apprenant. Ce module n’étant pas encore implémenté dans CTS, il reste sujet à exploration.

5.1.2. Excitateurs internes

Les excitateurs internes trouvent leur source dans les modules de CTS, principalement dans le MA et parfois dans les microprocessus métacognitifs. Au fur et à mesure de l’avancement de la séance d’apprentissage, le MA a comme responsabilité première de faire connaître ses conclusions sur l’état émotionnel de l'utilisateur ainsi que sur son état cognitif, sur les causes probables de ces états et sur les tendances vers un état émotionnel. Les excitateurs internes proviennent à la fois d'un traitement statistique, d'une analyse causale (diagnostic) et de perceptions immédiates de l’état émotionnel/cognitif de l’apprenant. Le fait que le Modèle de l’apprenant crée et dépose en continu dans la MT des microprocessus d’information est un processus indispensable. Il cherche à informer aussitôt que possible le Réseau des Actes de ses constats et conclusions. La certitude de l'information, son importance ou la répétition d'un constat établissent l'urgence d’exécuter les actes correctifs. Les émotions de l’apprenant se répercutent ainsi sur le réseau des actes et par conséquent sur les décisions du tuteur.

Pour illustrer ce fonctionnement, supposons que l’apprenant ait connu plusieurs revers et difficultés (selon les observations d'erreurs récentes accumulées par le MA), que son comportement révèle un état émotionnel qualifié de « Affligé » (selon l'évaluation effectuée par le modèle OCC du MA) et que cet état d'esprit fait obstacle à son apprentissage (selon des observations historiques et selon la tendance déterminée par le MA7). Tous ces microprocessus d’informations soumis en MT forment des excitateurs internes qui résultent d'analyses effectuées par les modules de CTS. Ils pourront amener le tuteur à décider de fournir un soutien émotionnel. Pour ce faire, le RA dispose de plusieurs sous séquences d’Actes. Le fait que le RA soit à l’écoute des différentes informations a pour conséquence d’activer variablement diverses portions du réseau. Ainsi, certaines sous séquences se retrouvent plus activées que d’autres, selon l'état de stimulation des diverses Émotions et des divers nœuds d'état dans le réseau. Si le Réseau "conclut" qu'il faut apporter davantage de soutien affectif à l’apprenant, il opte pour l'option la plus favorisée (la sous séquence la plus activée) dont les préconditions sont toutes satisfaites. Les observations sur les court et moyen termes et les évaluations statistiques du MA auront ainsi généré des excitateurs internes valables pour soutenir l'apprenant. Ainsi, le traitement émotionnel que nous proposons pour CTS vise autant l'induction d'émotions favorables chez l'apprenant que l’exécution d’actes pédagogiques appropriés à l’état émotionnel de celui-ci.

6. Description fonctionnelle

6.1. Prise d’action

Dans cette section, nous analysons le mode de fonctionnement du système ainsi que l’interaction de certains modules qui composent CTS.

Les informations, sous forme de microprocessus d'information, transitent habituellement par la Mémoire de travail, où elles forment éventuellement des coalitions. Selon leur importance, les coalitions peuvent ou non accéder à la Conscience. Dès l’instant où une information devient consciente, elle se voit diffusée (publiée) et, de ce fait, connue de l’ensemble des modules et microprocessus formant CTS. Prenons un exemple de l'effet d'une publication. Au fur et à mesure des actions et du cheminement de l’apprenant, le Modèle de l’apprenant prend connaissance des informations publiées. Celui-ci traduit cette information en état émotionnel/cognitif de l’apprenant ainsi qu'en intensité de cet état. À travers l’étude des actions passées de l’utilisateur, le Modèle de l’apprenant détermine si l’état émotionnel/cognitif actuel de l’apprenant est opportun ou non à l’apprentissage. Le MA transmute cette conclusion en une coalition de microprocessus d’information qu'il dépose dans la Mémoire de travail. Ceux-ci renferment les informations relatives à l’état émotionnel/cognitif ainsi qu’à l’intensité de celui-ci, et forment ainsi des excitateurs internes. Dans le cas où elle est sélectionnée pour devenir consciente, cette coalition d’informations est publiée à tous les modules qui composent notre système. Par cette action de publication et de diffusion, tout le système prend connaissance de cette information, dont le Réseau des Actes.

Tous les Désirs et toutes les Émotions du Réseau des Actes qui reconnaissent l’information publiée deviennent excités, élèvent leur niveau d'activation puis déversent de l’énergie proportionnellement à leur niveau d'activation. L'énergie se transmet de nœud en nœud et s'accumule progressivement dans ceux-ci. Les Désirs déversent leur énergie en passant nécessairement par les Buts (qui peuvent ne chapeauter qu’un seul Acte), mais les Émotions peuvent viser directement des Actes. Il faut voir l’énergie comme un critère de discrimination qui favorise l’exécution d'une séquence ou d’un Acte spécifique par rapport à un autre. Ainsi, plus un nœud d'acte a accumulé de l’énergie, plus il a de chances d'être sélectionné pour exécution par rapport aux Actes d'autres séquences. Au fur et à mesure des publications, plusieurs Émotions dans le Réseau des Actes s’excitent différemment, ce qui a pour conséquence d’activer différemment les séquences. Ce principe permet de donner priorité à certains Actes par rapport à d'autres.

Or, dès l’instant où le tuteur (plus spécifiquement, le RA) "décide" comme prochaine action pédagogique d’apporter du support émotionnel à l’apprenant, il doit choisir entre plusieurs approches qui aboutissent à la même finalité (celle de donner du support émotionnel ;  voir figure 6). Reprenant la situation décrite à la section5.1.2, lors de la publication de l’excitateur interne qu’est le microprocessus d’information “Affligé”, tous les liens issus de l’Émotion concernée transmettent de l'énergie, favorisant en conséquence l’exécution des sous séquences auxquelles ils aboutissent.

Figure 6 : Pouvoir discriminant des émotions

Dans le cas où le tuteur décide de soutenir l’apprenant et de tenter de lui insuffler des émotions plutôt favorables, l’agent CTS s’attend à ce que son action ait un impact positif sur l’apprenant. Il revient au Modèle de l’apprenant de reconnaître les signes concernant les émotions de l'apprenant, de les interpréter et d’informer de la concrétisation ou non de l'émotion attendue chez l'apprenant. Dans le cas où l’apprenant paraît plus disposé, avec une meilleure disposition à l’apprentissage, l’agent conforte sa prise de décision et se considère comme satisfait ;  les Émotions concernées perdent rapidement leur activation. Dans le cas contraire où l’effet attendu ne se produit pas, tel que souligné par le microprocessus de confirmation qui espère l'événement, l’agent CTS augmente son niveau d’insatisfaction vis-à-vis de cette action.

Évidemment, d’autres facteurs de discrimination dans le choix de l’acte pourraient aussi entrer en jeu. Le Réseau des Actes présente la particularité d’être très flexible et permet d’intégrer des aspects tels que la personnalité du tuteur et ses émotions, les préférences de l'apprenant, son profil, ses cheminements, ses progrès, etc. (voir figure 7).

Figure 7 : pouvoir discriminant du réseau amélioré par un niveau supplémentaire d’émotions

6.2. Délibération et remise en cause

Le STI que nous avons mis en place ne se limite pas seulement au choix de la meilleure action pédagogique/didactique compte tenu de l’état émotionnel de l’apprenant. Nous avons cherché à profiter des possibilités qu’offre CTS telles que la délibération. Nous définissons la délibération comme la capacité de notre système à poursuivre explicitement un raisonnement itératif. Elle octroie à notre agent, entre autres, la capacité de rectifier ses plans et de réajuster une approche ne produisant pas les résultats attendus. Requérant des passages fréquents par la Conscience, elle  correspond bien à ce que soutient la théorie de Baars en l'occurrence.

En effet, les actions prises par le tuteur peuvent être sujettes à rectification, car elles proviennent d'inférences et de conclusions souvent incertaines Ces évaluations peuvent être inefficientes, ce qui nécessite de délibérer pour trouver une alternative plus prometteuse. Ainsi, nous conférons au tuteur une capacité de remise en question quant à la pertinence de ses propres actions et de proposer, le cas échéant, une autre manière de faire apprendre.

Les excitateurs externes prennent ainsi toute leur importance. Ils permettent de comparer les attentes aux constats, en comparant les excitateurs externes attendus aux excitateurs internes. Dans le cas où le système apporte du support émotionnel positif à l’apprenant, le système s’attend à un retour d’information de la part de l’apprenant indiquant que celui-ci présente une meilleure disposition. De même pour les choix pédagogiques, le tuteur s’attend à ce que l’apprenant démontre des compétences meilleures. Nous utilisons des microprocessus de confirmation pour surveiller l'apparition en MT de certaines informations spécifiques confirmant ou non l'effet souhaité. Dans le cas où l’excitateur attendu ne se présente pas, un message à cet effet est émis en MT par le microprocessus de confirmation concerné. La publication éventuelle du message se traduit initialement par l'augmentation de l'activation d'une ou de plusieurs Émotions concernées dans le RA. Une répétition de l'échec produit dans CTS un état d’insatisfaction grandissant. Nous confions à des microprocessus métacognitifs le rôle de superviser les performances de l'agent, et de permettre à ce dernier d'établir son niveau de satisfaction par rapport à ses processus et actions. Il leur revient de faire déclencher des mesures appropriées lorsqu’ils le jugent nécessaire. Arrivé à un certain seuil, le microprocessus métacognitif concerné n'a d'autre recours que d'enclencher une réflexion plus profonde, une délibération devant mener à de nouvelles options, voire à des modifications structurelles dans l'agent.

Tous les modules composant CTS sont appelés à participer à la délibération et à émettre leurs propositions en ce qui concerne l’état d’insatisfaction (ou tout autre objet visé par la délibération). Une délibération est un processus qui consiste à examiner avec d’autres modules (la Métacognition, le Réseau des Actes, le Modèle de l’apprenant, le Modèle du domaine, Réseau des Actes) les différents aspects d’un problème en vue de prendre une décision. Concrètement, pendant un nombre de cycles prédéfinis dans CTS, une coalition décrivant l’état d’insatisfaction effectue une boucle allant de la MT à l’ensemble des ressources par le jeu des publications de la Conscience d’accès, et revenant en MT. Itérativement, les modules enrichissent ou s’opposent à certaines informations de la coalition, et ce jusqu’à établissement d’un consensus entre les divers modules.

Au final, il peut arriver qu’aucune solution ne soit trouvée. Dans ce cas, le système signale l’échec de la délibération et l’action qui la sous-tend n’est plus exécutée. Toutefois, dans le cas où la délibération fournit une autre proposition possible pour dépasser l’insatisfaction, cette proposition est traduite en actions dans le Réseau des Actes afin de soutenir l’apprenant.

7. Conclusion

En interagissant avec l’apprenant, le tuteur cherche à faire de l’apprentissage une coaction qui produit efficacement la construction du savoir ;  il s'efforce d'obtenir une meilleure adéquation entre contenu, une méthode pédagogique et un apprenant particulier.  Pour atteindre une telle dynamique d’apprentissage prenant en compte l’état émotionnel de l’apprenant et son évolution,, nous avons cherché à concevoir un système qui, en prenant en charge les multiples manifestations émotionnelles de l’apprenant, sait réajuster conséquemment son approche et mieux finaliser son action. L’extension que nous proposons à CTS, présente l’intérêt d’intégrer les aspects émotionnels dans une architecture cognitive riche ici appliquée à l’e-formation. Les nœuds émotionnels viennent s'insérer au Réseau des Actes existant pour en moduler la prise de décision. Ils ajoutent à la richesse de l'architecture en permettant maintenant à CTS de considérer les émotions de l'apprenant dans son effort d'adaptation et d'encadrement.

Les prochaines étapes de notre recherche nous orientent vers les multiples expressions de l’émotion avec le but de mieux saisir ses significations, ses circonstances et ses mouvements pour les traduire et en faire usage. Nous souhaitons nous focaliser davantage sur l'impact des émotions dans la délibération, ainsi que sur les autres opérations cognitives connexes telles la mémorisation, les réactions d'urgence, etc. Dans une première étape, nous avons cherché à concevoir un système qui, en tenant compte des expressions émotives des agents avec lesquels il interagit, infère des solutions d’apprentissages de meilleure portée ; dans une deuxième étape nous souhaitons qu’il soit capable d'apprendre par lui-même et de s'auto-corriger. À travers ses essais et erreurs, un tel système sera amené à élargir ses possibilités et à parfaire par lui-même ses interventions tutorielles.

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1 OCC est un modèle de simulation de vingt-deux émotions. Il détermine, en fonction de trois critères et d'une variable centrale, l’état émotionnel dans lequel se trouve probablement l'agent humain observé. Par extension, on l'utilise pour déterminer l'état émotionnel qu'un agent artificiel devrait démontrer dans une situation spécifique.

2 Plusieurs modules et autres ressources constituant l'architecture n'existent actuellement qu'au niveau conceptuel, ou de manière simulée dans le prototype, ou n'ont pas encore été intégrés à CTS : Modèle de l'apprenant (simulé), Expert du domaine (reste à intégrer), mémoires déclaratives (à développer), microprocessus métacognitifs (à développer). Néanmoins, afin d'alléger la lecture et donner un aperçu plus compréhensible, nous écrivons nos descriptions au présent.

3 Pour éviter les confusions dans nos explications, qui touchent parfois aussi bien aux agents humains qu'à notre agent artificiel CTS, nous dénotons les modules de CTS avec une majuscule initiale. Par exemple, son module "mémoire de travail" se voit désigné comme "Mémoire de travail" ou l'acronyme correspondant MT.

4 Nous utilisons le terme Conscience à l'intérieur de notre agent pour désigner les mécanismes qui remplissent les rôles proposés par Baars pour la conscience. Nous visons une reproduction fonctionnelle des fonctions de la conscience, c'est-à-dire reproduire les services sans s'attacher à reproduire les éléments sous-jacents. De ce fait, nous ne prétendons pas recréer une conscience “ réelle ”

5 Les différentes améliorations et changements que nous lui avons apportés sortent du cadre du présent article.

6 En ce qui a trait aux "émotions" éprouvées par CTS, nos développements informatiques n'ont jusqu'à maintenant couvert que les mécanismes émotionnels insérés dans le Réseau des Actes sous la forme de noeuds motivateurs (Désirs) ;  ceux-ci influencent la prise de décision d'une manière qui demeure "inconsciente".

7 Le MA analyse ainsi l'apprenant de plusieurs manières et sous plusieurs angles, et non pas uniquement par le travail du modèle OCC


A propos des auteurs

Mohamed GAHA  est  un étudiant en maitrise en  informatique  à l'Université  du  Québec À Montréal depuis 2006. Il s'est spécialisé dans les Systèmes Tuteur Intelligent cognitifs. Il travaille  dans le laboratoire GDAC sur  un projet  pluridisciplinaire qui vise à produire  un  logiciel  pour  assister  les  astronautes  dans  la manipulation du bras robotisé CANADARM2. Il s'intéresse aux architectures cognitives, aux émotions durant la phase d'apprentissage et aux modules pédagogiques

Adresse : SH5717, 201, avenue du Président-Kennedy, Montréal (Québec)
 H2X 3Y7

Courriel : mohamed.gaha@gmail.com

Daniel DUBOIS a soutenu sa thèse doctorale en informatique cognitive en avril 2007. Elle portait sur le développement d'une architecture cognitive fondée sur des mécanismes de conscience, et son application à un système tuteur intelligent. Dubois s'intéresse aux mécanismes de l'esprit humain, à certains phénomènes neuropsychologiques telles les émotions, et à la modélisation de processus de haut niveau tels ceux impliqués dans le tutorat. Il poursuit leur intégration dans l'architecture CTS qu'il a développée en collaboration avec plusieurs membres du laboratoire GDAC de l'Université du Québec à Montréal.

Adresse : Laboratoire GDAC, 201, avenue du Président-Kennedy, Local PK, 4150, Montréal (Québec) Canada, H2X 3Y7

Courriel : dubois.daniel@uqam.ca

Roger NKAMBOU est professeur au département d'informatique  de l'université du Québec à Montréal et directeur du laboratoire de recherche GDAC (Gestion, Diffusion et Acquisition des Connaissances). Il est titulaire d'un doctorat en informatique de l'université de Montréal (1996).   Ces intérêts de recherche portent sur l'ingénierie des EIAH, les systèmes auteurs pour le développement des systèmes tutoriels intelligents, la représentation des connaissances, le développement et l'intégration des  architectures d'agents cognitifs en contexte de résolution de problèmes.  Depuis 2000, il s'intéresse aussi à la dimension affective des EIAH.

Adresse : UQAM, 201 avenue du Président-Kennedy, Montréal (QC) H2X 3Y7 Canada

Courriel : nkambou.roger@uqam.ca