Conception d’outils de communication spécifiques
au contexte éducatif
Sébastien
GEORGE LIESP,
INSA-Lyon
Cécile BOTHOREL
TECH/EASY,
France Telecom R&D
Lannion
RÉSUMÉ : Dans
un contexte de formation à distance, le simple fait de fournir des outils
classiques de communication (forum, chat, ...) n’est pas toujours
suffisant pour faire émerger des interactions entre apprenants et ainsi
favoriser la construction collective de connaissances. Une solution consiste
alors à proposer des activités collectives qui incitent les
apprenants à communiquer. Mais, même dans ce cas, les outils
peuvent parfois devenir un frein à la communication. Nous
présentons dans cet article des expériences de conception
d’outils de communication particuliers qui ont pour but de faciliter ou
d’orienter les communications dans un contexte éducatif, voire
même d’inciter les interactions en dehors de toute activité
collective prescrite. Nous décrivons des outils de communication
synchrone (chats semi-structurés) et asynchrone (forum temporellement
structuré, forum contextuel), ainsi qu’un système facilitant
l’entraide entre apprenants d’une formation en ligne.
MOTS CLÉS : conversation
synchrone et asynchrone, chat, forum, formation en ligne, structuration des
discussions, réseau d’entraide.
ABSTRACT : In
a distance learning context, providing usual communication tools (forum, chat,
...) is not always enough to create efficient interactions between learners and
to favour collective knowledge building. A solution consists in setting-up
collective activities which encourage learners to communicate. But, even in that
case, tools can sometimes become a barrier to communication. We present in this
paper examples of specific tools that are designed in order to favour and to
guide communications in an educational context, but also to foster interactions
during learning activities that are not inherently collaborative. We describe
synchronous communication tools (semi-structured chat), asynchronous tools
(temporally structured forum, contextual forum) and a system which promotes
mutual aid between learners.
MOTS CLÉS : synchronous
and asynchronous discussion, chat, forum, online learning, discussion
structuring, mutual aid network.
1. Introduction
L'émergence et le
développement des apprentissages à distance entraînent de
nouveaux enjeux à la fois éducatifs et sociaux. À travers
les plates-formes de formation à distance, les acteurs (apprenants,
tuteurs, concepteurs, administrateurs) partagent des ressources (contenus de
formations), des outils de communication (courrier électronique, forum,
chat, etc.) et éventuellement d'autres services (agenda, outils de
travail collaboratif).
Les expériences de dispositifs informatiques fournis aux apprenants
montrent bien souvent que ces derniers ne parviennent pas à en tirer tout
le bénéfice escompté par les concepteurs ou les
enseignants. En particulier, les possibilités d’interactions sont
la plupart du temps surestimées. Les conversations qui sont
médiatisées ne se créent pas de manière aussi
spontanée qu’en présence. Les communications et interactions
réellement collaboratives et riches d’un point de vue apprentissage
ne sont pas si fréquentes
(Gommer et Visser, 2001),
(Hotte et Pierre, 2002).
Dans cet article, partant de l’hypothèse qu’une partie des
difficultés peut provenir des outils eux-mêmes, nous discutons de
recherches visant la conception d’outils d’interactions
spécifiques offrant des fonctionnalités adaptées à
la problématique de l’enseignement ou de la formation à
distance.
2. Les problématiques de recherche en lien avec les interactions
pédagogiques en ligne
D’une manière générale,
nous considérons que les recherches dans le domaine des interactions
pédagogiques en ligne ont des spécificités par rapport aux
recherches dans le domaine de la CMO (Communication Médiatisée par
Ordinateur ou son équivalent anglais CMC-Computer-Mediated
Communication). Comme signalé par Dejean-Thircuir et Mangenot
(Dejean-Thircuir et Mangenot, 2006),
« des questions spécifiques, d’ordre éducatif, viennent
complexifier le tableau, celle des outils développés à des
fins pédagogiques [...], celle des tâches données à
réaliser aux apprenants, celle enfin des modalités de
réalisation de ces tâches, pouvant aller de la simple mutualisation
à la collaboration par petits groupes ». Bien entendu, il est
possible de s’appuyer sur les études et les résultats du
domaine de la CMO mais les recherches menées dans le domaine des
interactions pédagogiques en ligne ont aussi leurs
caractéristiques propres.
Les interactions pédagogiques en ligne constituent un objet
d’étude auxquels s’intéressent plusieurs disciplines.
A l’instar de Mangenot
(Mangenot, 2006),
lui-même s’appuyant sur Gagné et al.
(Gagné et al., 1989),
nous pouvons distinguer quatre grands types de recherche concernant les
interactions pédagogiques en ligne :
- Type 1 : théoriser,
- Type 2 : observer/décrire,
- Type 3 : expliquer/prouver,
- Type 4 : transformer/développer des outils de
communication.
Les quatre types ne sont pas cloisonnés. Par exemple, une recherche
peut tout à fait tenter de théoriser un phénomène
(type 1) puis tenter de l’expliquer avec une expérience (type 3).
Cependant une recherche aura le plus souvent un type dominant.
La théorisation des situations d’interactions en ligne consiste
par exemple à définir/étudier des modèles
d’interactions
(Peraya et Ott, 2001)
ou à expliciter des notions particulières (dispositif,
rôles, distance, etc.). La plupart du temps, ce type de recherche
théorique ne s’appuie pas sur des analyses concrètes
d’interactions.
Le deuxième type de recherche vise à observer et décrire
des nouvelles pratiques en relation avec les outils qui les instrumentent. Les
recherches de ce type adoptent le plus souvent une démarche qualitative.
Les principales disciplines concernées sont les sciences du langage, les
didactiques, la sociologie et les sciences de l’information et de la
communication. L’objectif est de mener des études à partir
de situations écologiques, c'est-à-dire non
réalisées pour le besoin d’une expérimentation. Par
exemple, un certain nombre de travaux tentent d’observer et de
décrire les impacts des dispositifs techniques sur la communication dans
un contexte éducatif
(Herring, 2004) ;
(Dejean-Thircuir et Mangenot, 2006).
D’autres recherches tentent d’analyser les forums
électroniques pour identifier les constructions collaboratives de
connaissances
(Desjardins, 2002).
Le troisième type fait référence à des recherches
que nous pouvons qualifier d’expérimentales. L’objectif
principal de ce type de recherche est d’obtenir des résultats
mesurables à partir de traitements quantitatifs (contrôle de
variables, catégorisation, etc.). Le but final est d’expliquer un
phénomène ou de prouver une théorie. La plupart du temps,
les données traitées ne sont pas issues d’un milieu
écologique mais proviennent d’un dispositif expérimental.
Par exemple, la mise en place d’une expérimentation visant
l’étude des représentations des connaissances dans un forum,
est décrite dans
(Gettliffe-Grant, 2003).
Enfin, le quatrième type de recherche, celui qui retient notre
attention dans cet article, concerne la conception et le développement
d’outils de communication spécifiques au contexte éducatif.
Ce type regroupe des recherches qui peuvent être considérées
comme des recherches-actions ou des recherches-développements qui
s’appuient en général sur des conclusions ou recommandations
issues des types précédents. Les travaux qui rentrent dans cette
dernière catégorie concernent principalement des chercheurs en
informatique dont l’objectif principal est de modéliser et de
concevoir des systèmes de communication particuliers. Nous pouvons
répertorier quatre principaux axes dans ce type de recherche :
- faciliter le déroulement des interactions : par
exemple des outils avec des présentations alternatives des fils de
discussion,
- orienter les interactions vers des formes particulières, ce
qui revient à contraindre pour atteindre des objectifs
pédagogiques spécifiques (par exemple : apprendre à
argumenter),
- inciter la création d’interactions,
c’est-à-dire chercher à provoquer des mises en relation
entre acteurs,
- faciliter l’analyse automatique des interactions, les outils
de communication étant alors développés pour permettre un
type d’analyse particulier.
Les outils issus de ces recherches ne sont pas neutres, si tant est
qu’il y en ait de neutre, dans les discussions car l’objectif mis en
avant est d’influencer les interactions dans une finalité
pédagogique. Même les outils provenant du quatrième axe
influent sur les interactions car l’analyse des discussions peut par
exemple servir à de l’assistance cognitive ou metacognitive
(Jermann et al., 2001) ;
(Dimitracopoulou et Bruillard, 2007).
Dans cet article, nous nous intéressons aux recherches visant le
développement d’outils de communication spécifiques en nous
focalisant particulièrement sur les structurations particulières
proposées dans les outils (structuration des messages les uns par rapport
aux autres, structuration des visualisations, etc.). Les travaux que nous
présentons dans cet article illustrent les principales approches de ce
type de recherches. Comme ces recherches sur la conception d’outils
couvrent le plus souvent plusieurs des quatre axes présentés
ci-dessus, nous avons choisi comme plan de présentation un autre niveau :
la temporalité des échanges. En effet, les discussions synchrones
et asynchrones n’ont pas les mêmes contraintes et les structurations
proposées s’en trouvent bien différentes. Ainsi, dans la
partie 3 de cet article, nous décrivons deux outils de communication
synchrone utilisant une interface structurée par des actes de langage. La
partie 4 traite des forums de discussions asynchrones et présente deux
outils structurant les discussions, d’une part, de manière
temporelle et, d’autre part, en fonction du contexte. Enfin, la partie 5
va au-delà des aspects communications en se préoccupant des outils
de type social networking. Cette partie est notamment illustrée
par un exemple de système visant à favoriser
l’émergence de réseaux d’entraide.
Dans cet article, nous limitons notre étude aux outils informatiques
pour les conversations écrites seulement et non pour les communications
orales ou audiovisuelles. Les raisons de ce choix sont multiples. Tout
d’abord, l’écrit est encore le mode de communication le plus
utilisé dans le contexte de la formation en ligne. Même si les
configurations matérielles et les connexions réseaux permettent
désormais des communications audiovisuelles, l’écrit
possède des avantages dans un contexte éducatif. Ainsi, une
étude menée pour comparer les modes de communication écrite
et orale lors de collaborations à distance synchrone entre
étudiants
(Vera et al., 1998)
montre que des étudiants utilisant uniquement la communication
écrite ont des discussions plus « réfléchies »
que ceux qui utilisaient la vidéoconférence. Dans le même
sens, il a été montré que la communication écrite
permet davantage de réflexion de la part des apprenants en impliquant un
processus cognitif plus profond : « one advantage of text-based
communication is that written communication tends to be more reflective than
spoken interaction »
(Sherry, 1998).
Enfin, l’écrit est un moyen bien adapté aux apprenants
timides, pensifs ou hésitants
(Berge, 1997).
3. Conception d’outils de communication synchrone
structurée
Cette partie concerne la conception d’outils
informatiques qui permettent l'échange instantané de messages
entre plusieurs personnes engagées dans une activité
éducative. Ce moyen de communication est caractérisé par le
fait que les messages s'affichent en temps réel. Nous commençons
cette partie en mettant en évidence des problèmes
récurrents survenant avec des outils standards.
3.1. La structuration des communications pour améliorer les
chats
Un grand nombre d’outils de communication synchrone existent sur le
marché. Ces outils sont plus communément nommés
« chat ». Cependant, ces outils de chat n’ont
pas beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années et
demeurent peu adaptés pour des conversations soutenues. Leur
fonctionnement repose sur un empilement des messages des utilisateurs de
façon temporelle. Nous pouvons formuler des critiques à ce
fonctionnement. Tout d’abord, cet empilement de messages les uns à
la suite des autres selon leur ordre d’arrivée pose deux
problèmes majeurs dans un contexte de conversation synchrone. Le premier
problème provient du temps nécessaire à la composition des
textes (temps de frappe) qui ne permet pas de répondre de façon
immédiate à un message. De ce fait, les temps de latence
provoquent des imbrications des interventions qui rendent le suivi de la
discussion difficile. Le second problème se situe ainsi dans la lecture
des chats, deux messages pouvant se retrouver proches à l’interface
alors qu’ils ne sont pas forcément liés et, à
l’inverse, deux messages en relation peuvent être
séparés par d’autres messages. Ce phénomène
s’accentue quand le nombre de personnes participant à la discussion
augmente.
La conséquence de cette difficulté de lecture dans les chats
classiques est que la conversation est délicate à suivre et
à mener. Des résultats d’analyse de discussions
médiatisées par des outils de chats ont montré que
celles-ci étaient très souvent incohérentes et qu’on
trouvait de nombreux messages de « réparation » de la
discussion
(Herring, 1999).
Pourtant, les chats sont des outils très populaires. En fait, les
utilisateurs tentent de s’adapter au médium par exemple en
abrégeant au maximum les temps de composition des messages (au
détriment de l’orthographe bien souvent) ou en se
définissant des signes pour coordonner les tours de paroles
(Herring, 1999).
Nous présentons dans cette partie deux travaux de recherche ayant
abouti à la conception d’outils de communication synchrone visant
entre autres à réduire le problème décrit ci-dessus
à l’aide d’une structuration des messages. Comme nous le
montrons par la suite, la structuration peut également avoir une vocation
pédagogique en incitant des types particuliers d’interactions.
Ainsi, en repartant de la classification présentée dans la partie
2, les deux outils présentés couvrent trois des quatre axes :
d’une part « orienter vers des formes d’interactions
particulières » pour l’outil C-chene (partie 3.3) et,
d’autre part « faciliter le déroulement des
interactions » et « faciliter l’analyse automatique
des interactions » pour l’outil SPLACH (partie 3.4).
Dans les deux cas qui vont être présentés, la
structuration repose sur la définition d’actes de langage, concept
que nous décrivons ici de manière synthétique.
3.2. Discussion et actes de langage
L’étude de la fonction du langage a fait l’objet de
nombreuses recherches. Pendant longtemps, le langage a été
perçu comme étant un moyen de rendre compte et de décrire
le monde. Austin
(Austin, 1962)
présente une autre vision du langage en considérant les
énoncés d’une conversation comme étant non plus
seulement descriptifs mais comme des actes en soi. Les énoncés
sont eux-mêmes des actions et possèdent une force illocutoire,
c’est-à-dire une certaine valeur (question, proposition, etc.).
Ainsi, une conversation peut être considérée comme une
succession d’échanges composés d’interventions de
locuteurs, constituées elles-mêmes d’actes de langage dont
l’un est l’acte directeur qui détermine la force illocutoire
de l’intervention
(Roulet et al., 1985).
Il est toutefois très difficile d’analyser le contenu des
interventions d’une discussion pour tenter de déterminer ces actes
de langage. Malgré les progrès effectués dans le domaine du
traitement automatique du langage naturel, les résultats ne sont pas
toujours très fiables. Afin de déterminer l’acte de langage
directeur dans une intervention, une solution consiste à le demander
à l’utilisateur. C’est un principe de base qui est notamment
utilisé dans le domaine des EIAH : si le système ne sait
reconnaître l’information nécessaire pour son analyse alors
il faut la demander à l’utilisateur : « avoid guessing, get
the student to tell you what you need to know »
(Self, 1988). Cette
solution amène alors à utiliser une interface structurée
pour demander un acte de langage à l’utilisateur avant que celui-ci
ne saisisse le contenu de son message de manière libre.
Les deux exemples de systèmes présentés ci-dessous sont
fondés sur une interface structurée utilisant des actes de
langage. Le premier vise essentiellement à favoriser les interactions
entre apprenants et le second intègre également une analyse
automatique des conversations.
3.3. C-Chene : un outil orientant la communication
Baker et Lund
(Baker et Lund, 1997)
se sont intéressés aux interactions épistémiques
dans les environnements d’apprentissage coopératif. Leurs travaux
de recherche les ont amenés à concevoir différents
prototypes pour étudier la mobilisation et l’élaboration de
notions scientifiques par des élèves.
En particulier, ces chercheurs ont étudié la résolution
de problèmes entre élèves dans le domaine de la physique,
plus précisément dans la construction de chaînes
cinématiques. Dans ce cadre, un environnement support à
l’apprentissage coopératif, nommé C-CHENE, a
été conçu. Cet environnement comporte un espace de travail,
dans lequel les élèves peuvent construire une chaîne
énergétique, et un espace de communication (Figure 1). Deux
interfaces de communication différentes ont été
développées. La première interface permet de communiquer en
tapant du texte librement (outil de chat classique) alors que la deuxième
interface structure les communications aux moyens d’« actes
communicatifs ». L’interface structurée (en bas de la
figure 1) comporte vingt-quatre actes communicatifs divisés en quatre
sections : faire la chaîne cinématique (« Je propose de
... », « Pourquoi ? », etc.), se mettre
d’accord (« D’accord », « Es-tu
d’accord ? », etc.), gérer l’interaction
(« Attends », « Par quoi on commence ?
», etc.) et faire autre chose (« Regarde
l’expérience », « Lis la feuille » ).
Figure 1 • L'interface de
communication structurée dans C-Chene
Des expérimentations ont été effectuées en
laboratoire avec des binômes d’élèves de
1ère scientifique pour comparer l’utilisation de
l’interface contenant des actes communicatifs à celle d’un
chat classique. Il est ressorti de cette expérimentation que
l’interface structurée facilitait et encourageait des interactions
plus exploratoires et davantage centrées sur la tâche à
réaliser
(Baker et Lund, 1997).
Le fait de contraindre la communication peut donc avoir des effets positifs :
« Un juste degré de contrainte sur la communication
médiatisée par ordinateur favorise des interactions plus
focalisées sur la réflexion et les concepts fondamentaux en
jeu »
(Baker et al., 2001).
En observant l’interface de communication proposée, nous pouvons
cependant voir que les actes communicatifs proposés sont très
liés au domaine (« quel est son nom... ») ou à
la tâche (« regarde l’expérience »,
« vas-y toi »). Cette interface ne peut donc être
utilisée de manière générique et nécessite de
redéfinir les « ouvreurs de phrase » en fonction
d’une activité pédagogique cible.
3.4. SPLACH : un outil de conversation structurée analysable
Une recherche sur le support à l’apprentissage par projet
à distance
(George, 2001) a
abouti à la conception d’un environnement informatique
spécifique nommé SPLACH (Support d’une pédagogie de
Projet pour l’Apprentissage Collectif Humain). Cet environnement
intègre des outils nécessaires aux activités de projets
collectifs (outils de communication asynchrones et synchrones, outil de partage
d'application, outil de planification, outil de documentation). En particulier,
l’outil de conversation synchrone de SPLACH a été
spécialement conçu pour répondre à deux besoins :
faciliter les discussions et permettre l’analyse automatique de celles-ci.
Les spécificités tiennent dans une présentation
arborescente des messages et dans une interface structurée par des actes
de langage.
Les actes de langage intégrés dans l’outil de
conversation structuré de SPLACH se répartissent en cinq
catégories. Trois de ces catégories se trouvent par exemple dans
les travaux de
(Bilange, 1991)
à savoir : les actes « initiatifs », les actes
« réactifs » et les actes
« évaluatifs ». Deux autres catégories ont
été ajoutées à ces trois catégories de bases
: les actes de « salutation » et les actes «
auto-réactifs ». Au final, dix actes de langage se
répartissent dans ces cinq catégories. Par ailleurs, l’outil
de conversation proposé dans SPLACH tente de respecter les contraintes
d’enchaînement qui existent entre les actes de langage.
L’outil repose en particulier sur l’idée de « paire
adjacente » introduite par Clark et Shaefer (1989). Selon ces auteurs, une
paire adjacente se compose de deux expressions ordonnées produites par
deux locuteurs, la forme et le contenu de la deuxième partie de la paire
étant dépendante de la première partie. Dans SPLACH, les
paires adjacentes peuvent être représentées sous forme
d’un graphe de successions (Figure 2) qui définit une structure
arborescente pour une conversation. Le choix de l’ensemble de ces actes
est le résultat d’un processus itératif incluant des
expérimentations auprès d’utilisateurs. Le nœud de
gauche représente l’initiation d’une nouvelle discussion.
Ainsi, un utilisateur peut commencer une discussion par une salutation («
saluer ») ou par un acte initiatif (« demander »,
« proposer » ou « affirmer »). À
partir d’un acte initiatif, un utilisateur peut par exemple
« répondre » à une demande,
« questionner » une affirmation ou bien encore
évaluer une proposition (« approuver » ou
« désapprouver »). Lorsqu’un utilisateur a fait
une intervention, quel que soit son type, il peut réagir à sa
propre intervention (actes auto-réactifs) en
« précisant » ou « rectifiant ».
Nous pouvons par ailleurs remarquer que le graphe de successions ne
présente pas de nœud de fin. Cette caractéristique vise
à permettre aux débats de se dérouler. Cet aspect est
important dans un contexte d’apprentissage pour favoriser
l’approfondissement des idées (ici l’objectif n’est pas
que les utilisateurs trouvent un accord le plus rapidement possible mais
qu’ils puissent échanger et partager leurs connaissances).
Figure 2 • Graphe de successions des
actes de langage dans SPLACH
L’outil de conversation de SPLACH est présenté sur la
figure 3. Il se présente sous la forme d’une arborescence
d’interventions. Le principe est de lier chaque message à celui
auquel il répond ou réagit. Les nouveaux sujets de discussion sont
placés à la racine de l’arbre, les autres se raccrochant aux
messages existants. L’avantage de cette représentation est de tenir
compte des fils de discussion et donc des sujets de conversation. Sur la figure
3, nous pouvons voir un fil de discussion contenant six interventions. Chaque
intervention commence par une icône symbolisant l’acte de langage
sélectionné par l’utilisateur. Pour intervenir,
l’utilisateur clique soit sur un message existant, soit à la fin de
la conversation sur la ligne « cliquer ici pour commencer une nouvelle
discussion ». Dans les deux cas un menu apparaît près de
la souris et propose la liste des actes possibles (d’après les
enchaînements spécifiés ci-dessus). L’utilisateur
sélectionne alors l’acte souhaité puis saisit le texte de
son intervention de façon libre. Le message est alors
inséré à la bonne place dans l’arborescence. Dans
l’exemple ci-dessous, un clic sur une question de Michel a fait
apparaître un menu déroulant permettant de
« répondre » ou de
« questionner ».
Figure 3 • L'outil de conversation
textuelle synchrone structurée
L’un des objectifs de cet outil est de pouvoir l’utiliser pour
l’analyse automatique des conversations. Dans le cas de SPLACH, un agent
informatique recueille les données afin de déterminer
automatiquement quatre profils types de comportement sociaux : animateur,
vérificateur, quêteur et indépendant
(Pléty, 1996).
Des formules heuristiques permettent de calculer un profil pour chaque
utilisateur en fonction de sa participation et des actes langages qu’il
utilise. Cette recherche et en particulier des résultats
d’expérimentation de l’outil sont détaillés
dans
(George, 2001).
Cet outil et l’utilisation qui en est faite posent cependant quelques
questions. En effet, l’outil informatique support des discussions
n’est pas neutre dans l’activité des utilisateurs et de ce
fait cela entraîne un biais dans le calcul des profils comportementaux. De
ce fait, l’analyse qui est faite ici est celle d’une conversation
médiatisée par un outil. Le calcul est effectué par rapport
à l’activité de conversation dans un contexte précis
et ne peut prétendre refléter les comportements des utilisateurs
d’une façon générale.
3.5. Les atouts pédagogiques de la structuration des
communications médiatisées synchrones
En reprenant les quatre axes définis dans la partie 2, nous pouvons
classer l’outil C-Chene dans les outils visant à orienter vers des
formes d’interactions particulières. En effet, l’objectif
premier est de faciliter la gestion de l’interaction en orientant la
discussion à l’aide d’ouvreurs de phrases spécifiques
à l’activité. Le chat de l’environnement SPLACH se
classe quant à lui dans les outils proposant une présentation
particulière des fils de discussion (en l’occurrence un chat avec
une structuration arborescente) ainsi que dans les outils cherchant à
faciliter l’analyse automatique des discussions (utilisation
d’ouvreurs de phrase qui sont analysés pour déterminer des
profils de comportement).
Nous pouvons regretter que ce type d’outil reste à
l’état expérimental. Les causes sont certainement multiples
mais la principale vient du fait que ces outils sont conçus dans le cadre
d’une recherche ciblée ayant un objectif défini. Une fois la
recherche terminée, l’outil n’est alors plus utilisé.
Une exception existe cependant car le chat structuré de
l’environnement SPLACH a été repris dans un outil autonome
nommé Oscar
(Delium, 2003).
Dans cet outil, les actes de langage et les grammaires
d’enchaînement sont entièrement paramétrables. De
plus, Oscar permet à la fois les discussions synchrones et asynchrones.
L’outil téléchargeable
(Oscar, 2006) est
régulièrement utilisé.
Les deux exemples présentés montrent les possibilités
offertes par la conception d’outils spécifiques structurant les
discussions entre apprenants. Nous pouvons retenir qu’une structuration de
la conversation par une interface peut être considérée comme
utile dans un contexte d’apprentissage pour les raisons suivantes :
- le fait de typer un message amène l’utilisateur
à se demander ce qu’il veut dire et a donc une valeur
éducative (Winograd, 1987),
(Flores et al., 1988)
;
- une interface structurée encourage les utilisateurs
à se centrer davantage sur la tâche (Baker et Lund, 1997),
(Jermann et Schneider, 1997)
;
- l’utilisation d’ouvreurs permet de concevoir des
systèmes d’analyse automatique de discussions (McManus et Aiken, 1995),
(George, 2001).
Pour que les actes de langage soient facilement utilisables, il ne faut pas
en définir un trop grand nombre. Si ce nombre d’actes est
raisonnable (une douzaine), ils sont souvent choisis à bon escient par
les utilisateurs. Par exemple, dans une expérimentation de SPLACH
(George, 2001),
seuls 10 à 15% des actes sélectionnés ne correspondent pas
au contenu du message. Par ailleurs, la structuration avec des actes doit
être ergonomique. Les contraintes imposées sont cependant
inévitables mais doivent être contrebalancées par les atouts
engendrés. Par exemple, les effets positifs attendus peuvent être
de favoriser certaines formes d’interactions entre étudiants,
interactions pouvant conduire à des apprentissages tels
qu’apprendre à argumenter ou à développer la
réflexion.
Dans cette partie, nous nous sommes uniquement intéressés
à des modèles et outils de communication pour des échanges
synchrones. Certaines caractéristiques sont bien spécifiques
à la modalité synchrone, comme le fait d’avoir des messages
assez courts (le plus souvent, envoi d’une seule phrase) qui se
prêtent bien à la structuration par des actes de langage. Pour des
communications médiatisées asynchrones, les modèles et
structurations ne peuvent être les mêmes car il y a rarement
unicité d’un acte de langage pour un message. Nous explorons dans
la prochaine partie des recherches sur la conception, pour un contexte
éducatif, d’outils de communication asynchrone.
4. Conception d’outils de communication asynchrone : les forums
structurés
Dans cette partie, nous nous
focalisons sur les forums de discussions et plus particulièrement dans un
contexte de formation en ligne. Les forums sont des outils qui supportent les
communications écrites asynchrones. Cette possibilité de
communication asynchrone est nécessaire en formation en ligne car bien
souvent la distance entre les personnes n’est pas seulement physique mais
également temporelle (fuseaux horaires ou moments de connexions
différents).
4.1. La surestimation du potentiel éducatif des forums
Toutes les plates-formes de formation en ligne intègrent des outils de
type forum. Ces outils ne sont pas spécifiques à
l’éducation mais des bénéfices pédagogiques
sont attendus comme, par exemple, stimuler la participation active des
apprenants, augmenter leur motivation, créer le sentiment
d’appartenance à un groupe, permettre le monitorat entre pairs.
Dans les domaines du Computer Supported Collaborative Learning (CSCL) et
des sciences de l’éducation, de nombreux travaux ont tenté
de démontrer le potentiel de ces outils de communication comme support
à l’apprentissage collectif. Nous n’avons qu’à
citer le symposium Symfonic
(Symfonic, 2005)
qui s’est tenu à Amiens sur le thème des forums en
éducation. Ce symposium a eu pour objectif de faire un point sur les
modes d’étude et d’analyse des forums utilisés dans
des contextes d’apprentissage. Les expériences relatées
montrent que l’outil forum à lui seul ne peut être le
déclencheur d’une dynamique collective. La mise en place
d’une situation pédagogique favorisant les interactions est bien
souvent nécessaire. Ainsi, lors d’activités
pédagogiques individuelles, le simple fait de fournir des outils
classiques de communication à distance n’est pas suffisant pour
faire émerger des interactions entre apprenants et ainsi favoriser la
construction collective de connaissances
(Gommer et Visser, 2001),
(Hotte et Pierre, 2002).
Les interactions qui émergent de façon naturelle en
présence n’apparaissent pas de manière aussi
spontanée à distance.
Nous présentons dans les sous-parties suivantes deux approches de
conception d’outils de forum, Mailgroup et CONFOR, qui ont pour objectif
de pallier certains problèmes récurrents et notamment la
difficulté à mettre en évidence la dynamique temporelle des
échanges et la difficulté à pouvoir discuter de
façon contextuelle. En reprenant la classification de la partie 2, les
deux outils visent à « faciliter le déroulement des
interactions » et l’outil CONFOR (partie 4.3) cherche de plus
à « inciter à la création
d’interactions ».
4.2. Mailgroup : un forum temporellement structuré
La recherche sur les interactions sociales tient une place importante dans
les études concernant l’utilisation des forums par les
communautés d’apprentissage. En particulier, en observant de telles
interactions,
(Reyes et Tchounikine, 2004)
ont fait ressortir certains comportements temporels d’étudiants
utilisant les forums : dans un laps de temps relativement court, les
étudiants répondent généralement à plusieurs
messages situés dans des fils de discussion différents. Ainsi, une
analyse de différents newsgroups a fait ressortir qu’un quart des
messages sont envoyés de manière consécutives (dans
différents fils de discussion). Partant de ce constat, ces chercheurs ont
conçu un outil permettant de faire ressortir ce phénomène
dans les forums.
L’outil proposé se nomme « Mailgroup ». Il a la
particularité de faire ressortir visuellement les messages envoyés
par un étudiant lors d’une même période de connexion.
Reyes
(Reyes, 2005)
définit ainsi la notion de « session » qui correspond
à un groupe de messages envoyés consécutivement par une
même personne. La figure 4 montre l’interface du forum Mailgroup.
Sur la partie supérieure, un graphe permet aux utilisateurs de voir la
structure des fils de discussion qui évoluent linéairement et en
parallèle les uns par rapport aux autres. Si un utilisateur contribue
dans une session à plusieurs fils de discussion, ses messages sont
placés dans une même colonne. De cette façon, les
utilisateurs peuvent percevoir l’ordonnancement temporel et les fils de
discussion avec une seule et même visualisation. Avec cette
représentation, les utilisateurs sont davantage conscients de la
structure des interactions de leur communauté.
Figure 4 • L'interface du forum
« Mailgroup »
(Reyes, 2005)
L’objectif de l’outil Mailgroup est d’améliorer et
de faciliter l’émergence d’interactions d’apprentissage
dans les forums de discussion. En effet, la mise en évidence des tours de
parole doit pouvoir contribuer à une meilleure gestion de ceux-ci.
L’objectif final est de dépasser l’échange
d’information entre les participants et de provoquer des connexions entre
des idées qui n’avaient pas de lien a priori
(Bellamy et Woolsey, 1998).
Dans Mailgroup, la structuration en sessions va dans ce sens en regroupant des
messages qui auraient été dispersés dans différents
fils de discussion avec des outils de forum classique. La notion de session
tente également de mettre en évidence les tours de paroles pour
une meilleure coordination des participants.
Une expérimentation du prototype Mailgroup s’est
déroulée avec 15 personnes
(Reyes et Tchounikine, 2004).
Les participants étaient des enseignants qui réalisaient une
activité collaborative à distance durant un mois et demi dans le
cadre d’une formation sur les technologies de l’information et de la
communication (TIC). La tâche concernait l’analyse collaborative
d’intégration des TIC dans le milieu éducatif.
L’objectif de l’expérimentation était d’avoir un
retour de la part des utilisateurs. Les contributions sur le forum ont
été étudiées afin d’examiner l’impact de
la visualisation sous forme de sessions. Par ailleurs, les impressions des
utilisateurs ont été recueillies grâce à des
questionnaires. L’expérience montre tout d’abord que le
logiciel n’a pas changé le comportement temporel des utilisateurs :
un quart des messages sont écrits de manière consécutive.
L’expérience ne fournit pas de résultat précis sur
l’aide qu’apporte la structuration des messages en session.
Néanmoins, les questionnaires indiquent que trois quarts des 15
participants considèrent que la visualisation et l’organisation
temporelle des messages permettent de mieux suivre le développement des
conversations.
Une des limites que l’on peut trouver à ce système est
que deux messages d’une même session ne sont pas forcément
liés par leur contenu. MailGroup met ainsi davantage en avant les
participants plutôt que les sujets de discussion. D’autres tests
seraient nécessaires pour montrer l’impact positif de l’outil
sur la gestion des discussions.
4.3. CONFOR : un forum contextuel
Les forums utilisés dans un contexte pédagogique sont dans la
plupart du temps utilisés comme outil de communication des apprenants
avec leurs enseignants. Les relations verticales apprenant-enseignant sont
nettement prédominantes dans les formations en ligne
(Hotte, 1998). Une
des causes principales provient des outils mêmes et plus
particulièrement de leurs faibles liens avec les activités
d’apprentissage
(Looi, 2001). Une
des conséquences est que cette séparation n’incite pas
à utiliser ces outils de discussion : « The problem with
content-related communication often is, that it doesn’t occur because it
is a separate activity that is not integrated in the course »
(Gommer et Visser, 2001).
Le projet CONFOR (CONtextual FORum) vise à déterminer
comment rapprocher les activités de discussion des activités
d’apprentissage avec des outils de communication adaptés
(George, 2003).
Le modèle de forum CONFOR proposé est fondé sur deux
caractéristiques :
- une contextualisation du forum qui se traduit par un affichage
automatique de la partie du forum qui contient les messages pertinents par
rapport à l’activité de l’apprenant ;
- une structuration du forum qui permet d’organiser les
messages entre eux mais aussi par rapport aux contenus et aux activités.
Deux structurations possibles du forum ont été
étudiées, celles-ci étant complémentaires :
• selon la structuration pédagogique d’un cours en ligne (George, 2003).
Typiquement, la structure du forum reprend par exemple le scénario
pédagogique d’un cours divisés en parties et
sous-parties.
• selon des connaissances abordées par un objet
pédagogique (George, 2004).
Les messages du forum sont dans ce cas reliés à des
éléments de connaissances organisés entre eux (structure
conceptuelle d’un cours).
La version actuelle du logiciel CONFOR articule les deux structurations
décrites ci-dessus (Figure 5). Ainsi, quand un étudiant consulte
un objet pédagogique, le forum contextuel lui présente (1) les
messages en lien avec son activité et (2) les messages en lien avec les
connaissances abordées par la ressource. L’apprenant est ainsi
à même de discuter sur l’activité (pour parler de
l’organisation du cours par exemple) ou sur le contenu (pour discuter du
fond). Bien sûr, ce type de forum n’exclut pas l’utilisation
d’autres forums plus généraux qui permettent par exemple la
socialisation ou la résolution de problèmes techniques.
Figure 5 • L'interface du forum
CONFOR
Sur la figure 5, la partie supérieure de la fenêtre
représente un objet pédagogique d’un cours en ligne. En bas
de ce cours se trouve l’affichage contextuel du forum. Ainsi, sur
l’écran ci-dessus, l’utilisateur réalise une
activité de son cours et il voit en même temps les messages du
forum correspondant à cette activité (onglet «
activité » du forum). En cliquant sur l’onglet « contenu
» du forum (en bas à gauche), il voit alors les discussions
liées aux connaissances abordées dans l’objet
pédagogique. Dans les deux cas, la vue contextuelle du forum
représente une partie d’un forum global. D’un point de vue
utilisation, le forum contextuel peut être redimensionné par
l’utilisateur ou bien mis dans une fenêtre flottante toujours
visible.
D’un point de vue technique, l’outil s’appuie sur les
normes actuelles. Ainsi, la spécification SCORM
(Dodds et Thropp, 2004)
est utilisée pour détecter l’ouverture des objets
pédagogiques. Par ailleurs, les meta-données de type LOM
(Learning Object Metadata) sont utilisées pour retrouver les
éléments de connaissances abordés par un objet
pédagogique. L’utilisation de ces normes a entre autres pour
avantage de rendre l’outil CONFOR facilement interopérable avec
toute plate-forme qui respecte celles-ci.
Une expérimentation de CONFOR s’est déroulée sur 8
mois auprès de 70 étudiants encadrés par 2 tuteurs à
la Télé-université du Québec. Le but de
l’évaluation était d’étudier
l’utilisabilité et l’utilité de CONFOR en ayant
recours à des questionnaires, des entrevues et des observations
régulières du forum couplés avec l’analyse de traces
informatiques. D’un point de vue quantitatif, les traces montrent une
utilisation importante de la vue contextuelle du forum par rapport à une
vue globale qui était aussi proposée. Ainsi, 4.5 fois plus de
messages ont été ouverts en mode contextuel qu’en mode
global. Par ailleurs, la vue contextuelle semble favoriser l’envoi de
messages (7.5 fois plus de messages envoyés en mode contextuel
qu’en mode global). D’un point de vue qualitatif, les
réponses aux questionnaires indiquent que les étudiants ont
globalement apprécié le forum contextuel. Ils pensent que cet
outil incite vraiment la lecture de messages postés par d’autres
étudiants. Il ressort également que CONFOR aide les
étudiants à mieux cibler les messages pertinents pour leurs
activités.
Une nouvelle version de CONFOR est actuellement en cours de
développement dans le cadre d’un projet franco-québecois
entre l’INSA de Lyon et la télé-université du
Québec - UQAM. L’idée est de proposer CONFOR comme un web
service pouvant être appelé par les plates-formes
d’e-learning. Un des objectifs est de pouvoir
l’expérimenter à plus grande échelle.
4.4. Les bénéfices de la structuration des fils de discussion
Les deux outils de forums présentés dans cette partie ont la
particularité de structurer et de présenter les fils de discussion
selon différents points de vue : le moment de
l’écriture, le contexte du message ou bien encore les connaissances
abordées. L’utilisation de présentations alternatives des
discussions a clairement pour objectif de faciliter le déroulement des
interactions. En effet, les structurations habituelles des forums, sous
forme chronologique (en tableau) ou hiérarchique (en arbre)
(Dimitracopoulou et Bruillard, 2007),
ne permettent pas aisément de relier entre eux des messages qui sont
« proches » d’un point de vue contenu ou écrit
dans une même période de temps (donc proches du point de vue de
l’auteur). Pour l’outil CONFOR, un deuxième objectif est mis
en avant : celui d’inciter la création
d’interactions. En effet, la présentation contextuelle des
messages permet d’afficher automatiquement les messages pertinents par
rapport à l’activité de l’utilisateur. En affichant
ces messages, l’utilisateur est incité à les lire et
à réagir.
Au-delà des bénéfices avancés par les
concepteurs, nous pouvons cependant nous demander si le morcellement des
discussions ne peut en contrepartie être source de problèmes. En
effet, la structuration oblige à découper les échanges pour
les relier à des références (une référence au
temps, une référence à un contenu, etc.). La question qui
se pose alors est de savoir si le fait de morceler les discussions
n’enlève pas la vision globale des échanges, vision qui est
souvent nécessaire pour comprendre le sens général
d’un ensemble d’idées émises. Le fait de faire
ressortir certaines dépendances va par la même occasion en
supprimer d’autres. Comme bien souvent en EIAH, c’est la question de
la granularité qui se pose ici. Jusqu’où devons-nous
structurer les discussions ? Plus la structuration est fine et plus les
échanges seront morcelés et inversement aucune structuration
rendra un outil difficilement exploitable. Il est bien évidemment
impossible d’apporter une réponse générale sur la
bonne granularité à choisir. Le contexte de la formation,
l’activité à réaliser, le type de public, le nombre
d’utilisateurs sont autant de paramètres à prendre en compte
pour choisir le niveau de structuration et le retour d’usage sera bien
souvent le seul moyen de vérifier la justesse du choix. Par ailleurs, une
même structuration ne convient pas forcément aux deux
modalités de lecture et d’écriture dans un forum. Il faut
donc bien analyser l’utilisation réelle des utilisateurs et ne pas
hésiter à proposer des représentations multiples d’un
même forum.
5. Conception de systèmes de mise en relation
interpersonnelle
Les différents outils décrits
précédemment, aussi bien synchrones qu‘asynchrones, vont
dans le sens d’améliorer la qualité des échanges
entre apprenants et de donner à des conversations une dimension
pédagogique. Cependant, parfois, la problématique se situe en
amont : les utilisateurs n’ont pas forcément l’idée de
communiquer, voire la motivation nécessaire. Nous décrivons dans
cette partie un outil particulier, qui vient en support à la formation
proprement dite, dédié au développement de réseaux
d’entraide. L’idée principale est de faciliter les
rapprochements entre apprenants dans leur recherche d’aide pour une
situation particulière, par exemple pour la manipulation des outils.
L’objectif est donc ici d’inciter et d’assister la mise en
relation entre apprenants.
5.1. Les réseaux d’entraide pour briser l’isolement
Les observations réalisées au sein de plusieurs environnements
de formations à distance (formation continue, campus numérique,
formation intra-entreprise) ont mis en évidence trois formes de collectif
: l'anomie qui est la conséquence d'une insuffisance d'interaction
(Cusson, 1992),
le réseau qui permet la transmission de ressources matérielles ou
informationnelles portées par des ressources relationnelles
(Lemieux, 1999)
et la communauté dont les membres partagent un « ensemble
d'évidences et de pratiques culturelles communes »
(Zarifian, 1996).
Il a été montré que l’apparition de réseaux
d’entraide et de formes communautaires vient consolider le processus
d'apprentissage dans des contextes de formation universitaire et de formation
professionnelle
(Foucault et al., 2002).
Ainsi, l'analyse des interactions entre apprenants (via les traces
laissées sur les forums de discussion) confirme l’existence de
pratiques d’échanges qui relèvent de l'entraide, pour
compenser le sentiment d'isolement et le manque de réactivité
et/ou de disponibilité des tuteurs
(Foucault et al., 2003a),
(Foucault et al., 2003b).
L'analyse de ces traces peut également mettre en évidence
différents types de relations de type communautaire qu’il est
possible de corréler aux différentes situations d'apprentissage
(Haythornthwaite, 1998).
Aujourd'hui, la constitution de réseaux d'entraide ou de
communauté demeure une initiative informelle provenant des apprenants et
qui semble encore insuffisamment prise en compte par les dispositifs de
e-formation. Dans un contexte plus général, des sites comme
Friendster, LinkedIn, Flickr, etc. connaissent un vif
succès et permettent aux internautes de développer des liens
sociaux. Dans le monde de l’éducation et de la formation en ligne,
nous pouvons citer elgg.net qui propose un ePortfolio social
où l’apprenant peut détailler son CV en ligne et se
constituer des communautés d’amis ou de contacts.
L’initiave Formatis décrite dans la partie 5.2 montre
l’opportunité de créer des réseaux d’entraide
autour de la formation à proprement parler, et montre que la constitution
de réseaux sociaux peut aider à raviver la motivation des
apprenants, à stimuler leur participation, à leur faire prendre
conscience de la composante sociale inhérente à
l’apprentissage et ainsi favoriser l’enrichissement mutuel. Formatis
n’a pas pour objectif de supporter une communauté durable
d’apprenants dans le sens défini ci-dessus. Le but est de favoriser
l’émergence de regroupements d’apprenants de façon
moins structurée, ce qui rentre dans la définition des
réseaux d’entraide. Il est évident que ces réseaux
d’entraide seuls n’ont pas de sens, et il convient de bien les
intégrer à des environnements pédagogiques offrant des
outils de communication comme ceux décrits dans les parties
précédentes.
5.2. Formatis : faciliter l’émergence de réseaux
d’entraide
Les réseaux d'entraide sont le reflet d'interactions entre apprenants
suscitées par un besoin de soutien. Ils se matérialisent par des
échanges de conseils, sur et autour de la formation (compréhension
d’un cours, ou encore soutien pour l’utilisation des outils
informatiques) mais aussi, plus simplement, des discussions (un exemple qui
revient souvent dans les résultats d’enquête cités en
introduction est la possibilité d’interagir autour des questions
d’organisation de son travail à distance).
Le prototype Formatis, basé sur la mise en relation interpersonnelle,
a pour but de réifier ces réseaux d’entraide, d’en
faciliter le développement et de créer ainsi une dynamique
d’échanges visant à mobiliser les apprenants. Il
s’agit en quelque sorte de recréer certaines
caractéristiques d'une classe en présentiel. L’un des points
essentiels pour l’apprenant est avant tout de pouvoir se situer par
rapport aux autres apprenants. Formatis propose ainsi la visualisation graphique
de son avancée dans le parcours de formation, mais aussi la
possibilité de consulter l’identité des autres ou encore de
rechercher les apprenants présentant des profils similaires.
Figure 6 : Visualiser ses pairs avec Formatis
Sur la figure 6, nous voyons la fenêtre principale de l’outil
Formatis. La partie gauche permet de décrire une requête ou
l’objet sélectionné, et la partie graphique à droite
représente « l’espace » de la formation, avec les pairs
répondant à une requête. Dans notre exemple, l'utilisateur
recherche des personnes ayant les mêmes compétences que lui. Des
codes de couleurs donnent des indications (la figure en couleur peut être
consultée sur le site www.sticef.org). Ainsi, les noms sur fond
orange représentent les personnes connectées
(« moi » et Anna sur la figure 6). Les personnes en
écriture rose sur fond jaune sont des contacts personnels de
l'utilisateur mais ils ne sont pas connectés (Cécile,
Frédérique, Guillaume). Les personnes en écriture noire
sont celles qui peuvent être intéressantes vis à vis de la
requête mais qui ne sont pas dans la liste des contacts de l'utilisateur
(Catherine, Marie). Marie est sur fond mauve car la souris est placée au
dessus d'elle, ce qui fait qu'une note apparaît contenant ses informations
principales. Par ailleurs, des documents peuvent aussi être pertinents
vis-à-vis de la requête et ils sont alors indiqués en rouge
sur fond jaune (« km.doc »,
« bilan.pps », ...).
Dans une logique gagnant-gagnant, et afin d'impliquer chacun, un onglet
« Mes offres » permet de définir en quoi la personne
utilisatrice peut aider ses pairs (Figure 7). Au-delà du choix qui est
fait, cet onglet permet une prise de conscience de l'appartenance au groupe et
du rôle potentiel que l’on peut y jouer. L'onglet « Fiche
contact » permet de voir le détail du profil d'une personne.
Une autre version permet de voir le positionnement dans les formations, les
compétences et diplômes.
Figure 7 : Se faire aider, mais aussi aider les
autres
Formatis a vocation à être proposé comme un outil annexe
d’un dispositif d’apprentissage, accessible depuis d’autres
outils dédiés à la formation, tels que des forums). Dans
cette perspective, Formatis se veut potentiellement utilisable par
différentes plates-formes d’e-learning et interopérable avec
d’autres outils, tels que des forums.
L’interopérabilité est assurée par
l’utilisation de technologies telles que Jabber pour les
interactions entre le module de mise en relation et les outils de communication,
ou encore SOAP pour les échanges de données entre le module de
visualisation et la base de données. L’interface est en Flash
(Macromedia) ce qui la rend compatible avec les navigateurs web du moment.
L’outil Formatis n’a par encore été testé
sur des populations réelles d’apprenants. Toutefois, il a
été décliné au monde professionnel dans une logique
de socialisation du Knowledge Management
(Bothorel et al., 2005).
Cette version de l’outil est portée par une équipe projet de
grande taille (50 collaborateurs avec des compétences différentes)
dans une société de R&D et a pour vocation de favoriser
l’établissement de réseaux d’entraide, voire de
communautés de pratique. Dans cette version l’analyse de traces a
été mise en œuvre (logs de manipulation de documents) et
l’automatisation d’un processus basé sur les graphes
générant des profils d’intérêts présente
graphiquement les proximités entre collaborateurs selon une
thématique donnée. Les perspectives à moyen terme sont
d’introduire des algorithmes du domaine des réseaux sociaux pour
qualifier au mieux les positions dans le graphe et faire émerger des
communautés de pratique.
5.3. Assister la mise en relation inter-apprenants
Nous avons décrit dans cette partie un système permettant de
rechercher les personnes les plus à mêmes d’aider ou de
conseiller un apprenant pour une situation particulière. Ce type de
système s’inscrit complètement dans la catégorie des
outils incitant la création d’interactions. La
difficulté première dans cette catégorie d’outil est
de trouver des algorithmes fournissant des résultats pertinents lors
d’une requête. Pour une description plus détaillée des
différents algorithmes possibles, le lecteur pourra se
référer par exemple à
(Becks et al., 2003).
Le système Formatis présenté n’intervient pas
directement dans le processus d’apprentissage, mais apparaît comme
un support intéressant pour tout dispositif de formation en ligne de par
la facilitation de création de liens sociaux. Ce point devient
d’autant plus pertinent que la formation en ligne s’intéresse
à présent aux situations de mobilité.
6. Conclusion et perspectives
Au travers des différents exemples
donnés dans cet article, nous avons cherché à montrer que
des outils de communication médiatisée pouvaient être
spécifiquement conçus dans le but de produire des effets positifs
dans un contexte éducatif. Les objectifs recherchés peuvent
être divers et nous avons identifié quatre principaux axes :
faciliter les interactions, orienter les interactions, inciter les interactions
et enfin favoriser l’analyse automatique des interactions. Dans tous les
cas, ce type d’outils impose des contraintes particulières pour
l’utilisateur mais apportent en même temps des facilités dans
la structuration des échanges, voire des impacts bénéfiques
sur l’apprentissage, même si ceux-ci restent bien souvent
difficilement mesurables. En effet, identifier de tels impacts n’est pas
trivial. Seule une utilisation des systèmes dans des situations
réelles et à une échelle importante pourrait donner des
résultats précis à ce sujet. Pour le moment, les
expérimentations menées se limitent souvent à observer
l’impact sur la communication (augmentation du nombre de messages, aspect
qualitatif des discussions,...) qui, sans donner d’indications
précises sur l’amélioration de l’apprentissage,
apporte néanmoins des informations sur l’amélioration des
conditions pour l’échange entre pairs.
Nous pouvons dégager des perspectives de cette étude. Afin de
faciliter la régulation des discussions, il faudrait pouvoir prendre en
compte non seulement les productions résultant des outils de
communication (par exemple les échanges dans un chat, les fils de
discussion d’un forum, ...) mais aussi des informations sur les processus
liés qui ne laissent pas d’information dans la discussion
elle-même (par exemple l’ouverture d’un message par un
utilisateur ou bien encore le parcours dans un forum arborescent). Cette
préoccupation rejoint la question des « traces » qui
est d’actualité dans le domaine des EIAH. La capacité
à produire des traces pertinentes et exploitables des activités de
communication peut être utile aux différents acteurs de la
formation en ligne. Par exemple, les apprenants pourraient disposer
d’informations synthétiques sur le comportement des autres (notion
d’awareness) et sur leur propre comportement. Pour
l’enseignant, l’enjeu est de l’aider dans son activité
de suivi de situations d’apprentissage collective à distance.
Enfin, pour le chercheur, il s’agit d’améliorer les
observations de l’usage des outils. Selon nous, il faudrait bien
distinguer deux types de traces : les traces comme produits de
l’activité et les traces des actions effectuées sur les
outils d’interaction. Les premières peuvent conduire à
l’analyse automatique des contenus alors que les deuxièmes peuvent
être utiles pour analyser des comportements. Dans les deux cas, cela
nécessite de définir des indicateurs pertinents. Pour une
étude plus précise à ce sujet, le lecteur pourra se
référer à l’article de Dimitracopoulou et Bruillard
(Dimitracopoulou et Bruillard, 2007)
dans ce numéro.
Pour conclure, nous pouvons émettre le souhait que se développe
une meilleure articulation des outils de communication entre eux. Sans aller
vers une normalisation trop stricte, des spécifications et des formats
d’échange de données pourraient aider à utiliser
conjointement des systèmes qui répondent à des besoins
particuliers. Par ailleurs, une plus grande adaptabilité des
systèmes (facilité de paramétrage,
malléabilité) serait également un avantage pour une
meilleure adoption des outils par les systèmes éducatifs, ce qui
se traduirait par des utilisations à plus grande échelle.
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A
propos des auteurs
Sébastien GEORGE est maître de
conférences au département informatique de l’INSA de
Lyon depuis 2002. Il est rattaché au laboratoire LIESP dans
l’axe Interaction Collaborative, Médiatisée.
Après l’obtention d’un doctorat en informatique
à l’Université du Maine, il a travaillé au centre de
recherche LICEF de la Télé-université du Québec dans
le cadre d’un post-doctorat. Ses travaux portent sur les environnements
informatiques support à l’apprentissage collectif.
Adresse : Laboratoire LIESP, 21, avenue
Jean Capelle, bat. Léonard de Vinci (401) 69621 Villeurbanne Cedex
– France
Courriel : Sebastien.George@insa-lyon.fr
Toile : http://www.ictt.insa-lyon.fr/george/
Cécile BOTHOREL détient un doctorat en
informatique. Elle est ingénieur R&D à France Telecom
R&D, membre du laboratoire EASY du centre de R&D de Lannion depuis 1999.
Elle anime l'axe de recherche "circulation de la connaissance" dans l'un des 5
macropôles du groupe Orange France Telecom et participe au groupe breton
Web Bzh 2.0 de chercheurs travaillant notamment dans le domaine des
communautés en ligne et réseaux socio-sémantiques. Ses
travaux portent sur l'accompagnement des utilisateurs de NTIC dans leur
accès et au partage de la connaissance. Apprentissage de profils,
analyse de traces, génération de réseaux
socio-sémantiques, détection de communautés et analyse de
leur dynamique, recommandation de contenus et contacts sont parmi les
thèmes de ses travaux.
Adresse : France Telecom R&D, CRD
Technologies, Laboratoire EASY
Technopole Anticipa - 2 av. Pierre Marzin - 22307 LANNION CEDEX - France
Courriel : cecile.bothorel@orange-ftgroup.com |