Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 12, 2005
Rubrique

De la conception d’hypermédia à la conception d’application Web.

Gilles Halin Centre de Recherche en Architecture et Ingénierie/Nancy

RÉSUMÉ : Cet article expose les particularités du domaine de la conception d’hypermédia ainsi que l’évolution des méthodes dédiées. Après avoir identifié les concepts inhérents à la modélisation d’hypermédia par la présentation des premières méthodes, nous nous focaliserons sur les avancées proposées dans les dernières méthodes pour prendre en considération les particularités des applications web.

MOTS CLÉS : Méthode de conception, hypermédia, application web

ABSTRACT : This article presents the particularities of hypermedia design domain as well as the evolution of the dedicated methods.  First we identified the concepts used in hypermedia design through the presentation of the first methods, then we will focus on the new propositions of the last methods in order to take into account the characteristics of  Web applications.

KEYWORDS : Design method, hypermedia, web application

1. Introduction

Avec la démocratisation du Web, les applications hypermédias connaissent une large diffusion notamment dans les milieux culturels, les librairies numériques, le commerce électronique, mais aussi les EIAH (Environnements Informatiques et Apprentissage Humain). Les possibilités de navigation et la diversité du contenu font de l’hypermédia un moyen privilégié pour s’adresser à un public varié. La conception d’hypermédia s’apparente aux autres formes de conception. Elle consiste en la réalisation d’un produit conçu par un collectif d’acteurs mettant en œuvre des méthodes et modèles. L’identification de l’information pertinente nécessaire aux différents contextes de lecture, la mise en place des liens, la réalisation des mécanismes de navigation, et l’étude de l’ergonomie et des interactions demeurent les éléments critiques à étudier dans toute conception d’hypermédia.

Mais un hypermédia c’est aussi un logiciel qui possède des fonctions spécifiques destinées à des utilisateurs identifiés et qui seront réalisées avec des outils informatiques connus. L’utilisation de méthodes de conception est alors nécessaire, mais les spécificités des acteurs, des techniques et de l’audience des applications hypermédia nécessitent une adaptation des méthodes existantes. Plusieurs méthodes ont été proposées pour concevoir un hypermédia de manière incrémentale par la définition d’un ensemble de modèles. Face à la prédominance des applications web de l’hypermédia certaines méthodes ont évolué, de nouvelles sont apparues avec pour objectif la prise en compte des architectures web et/ou l’utilisation du langage UML.

Après une présentation des caractères inhérents à une application hypermédia, nous proposons une synthèse sur l’évolution des méthodes et outils de conception d’hypermédia et sur leurs capacités à intégrer le web. Puis nous tenterons d’analyser l’apport de ces méthodes, dans un avenir proche, pour la conception d’application web.

2. L’hypermédia, un objet de conception

Un hypermédia est avant tout un outil interactif destiné à un utilisateur nommé lecteur :

"Un hypertexte est un agent qui aide des humains dans une tâche de lecture active en apportant l’information pertinente selon le contexte de lecture passé et présent"

Jocelyne et Marc Nanard dans (Nanard & Nanard, 1998).

C’est Vannebar Bush qui a proposé le premier l’idée d’un outil pour assister l’homme dans sa quête d’information par un parcours non linéaire de texte (Bush, 1945). Theodor Nelson  proposa, dans les années 60, les termes d’hypertexte et d’hypermédia (Nelson, 1967). Depuis, de nombreuses applications utilisant les principes des hypermédias ont vu le jour. L’apparition des cédéroms puis ensuite du Web a amplifié le phénomène (Balpe & Al, 1996). Face à cette prolifération d’applications, des travaux sur la conception et la réalisation d’hypermédia ont vu le jour (ACM, 1995).

L’hypermédia peut être assimilé, suivant le point de vue de l’acteur impliqué dans sa conception et/ou dans sa réalisation, à un logiciel par l’informaticien chargé de le programmer, à un objet (produit) par l’industriel chargé de sa diffusion, à une création par l’artiste chargé de la charte graphique et de l’esthétique de l’interface ou encore à une composante d’un système d’information par le responsable du système d’information d’une entreprise souhaitant ouvrir son système au grand public.

L’hypermédia est aussi une 'vitrine' sur un espace à plusieurs dimensions qui doit être analysée, décrite et mise en scène. Trois dimensions sont généralement identifiées :

  • la dimension informationnelle : il s’agit ici d’analyser et de décrire l’information multimédia qui sera accessible par l’hypermédia, définir sa forme, sa structure et les liens existant entre chaque granularité d’information. L’étude de cette dimension attribue à l’information le statut de donnée, elle s’apparente aussi à une description et une représentation d’un domaine de connaissance particulier.

  • la dimension navigationnelle expose le potentiel des parcours pertinents qui peuvent être réalisés dans la dimension informationnelle. Ces parcours sont établis grâce aux liens identifiés entre les entités informationnelles identifiées dans la première dimension.

  • la dimension interactionnelle décrit la mise en scène des parcours destinés aux utilisateurs de l’hypermédia sous la forme d’un enchaînement d’interactions sur l’information multimédia présentées.

A ces dimensions généralement admises, d’autres dimensions existent et sont quelquefois évoquées : la dimension esthétique et la dimension adaptative. Ces deux dimensions complètent la dimension interactionnelle, la première 'l’habille', la seconde 'l’aménage' par une mise en scène adaptative des interactions par la prise en compte de l’utilisateur, de ses connaissances, de ses compétences et de son historique des parcours.

La conception d’hypermédia engendre alors plusieurs formes d’activité réalisées par un collectif d’acteurs que les méthodes essayent d’instrumenter. Parmi ces activités, on identifiera la conception de logiciel, la conception et la modélisation d’espace, la conception de vitrine (interface graphique), la conception d’un objet et plus globalement la conception d’un produit. Même si le domaine d’application couvert par l’hypermédia va conditionner la participation de certains types d’acteur dans la conception, un ensemble commun ou 'noyau' d’acteurs peut être identifié :

  • Le spécialiste du domaine (enseignant, documentaliste,..) : possède la connaissance du domaine à hypermédiatiser et des utilisateurs potentiels.

  • Le concepteur de l’espace : c’est souvent un informaticien mais ce peut être toute personne ayant une connaissance dans la modélisation de données et qui aura la charge de construire les modèles (dimensions) décrivant l’espace.

  • Le maître d’ouvrage, le producteur ou encore le mandataire, c’est celui qui finance, à qui il faut montrer rapidement que l’hypermédia a une chance de voir le jour.

  • Le graphiste va proposer l’habillage de la vitrine, il doit être impliqué rapidement dans le processus de développement.

  • Le programmeur, c’est certainement un informaticien qui connaît la plate-forme de développement et qui aura la charge de traduire les modèles sous une forme 'exécutable'.

  • Nombreux sont les domaines où l’outil hypermédia est utilisé avec des objectifs et des besoins différents (cf. Tableau 1). Cette étendue des domaines d’application dans laquelle l’hypermédia prend place montre bien l’importance que prend cette forme de conception de logiciel et la nécessité d’être encadré et guidé par des méthodes.

3. Les méthodes de conception d’hypermédia

Le point commun à l’ensemble des méthodes est de proposer un ensemble de modèles pour représenter toutes ou une partie des différentes dimensions d’un hypermédia : informationnelle, navigationnelle, interactionnelle, adaptative et esthétique. Associé à ces modèles, on trouvera parfois une démarche (processus) permettant de progresser d’un modèle à l’autre.

Domaines

Besoins

Objectifs

Culturel/Artistique

Présentation d’un musée, artiste, lieu, film...

Informer, susciter l’intérêt, la curiosité

Pédagogique

Apprentissage d’un domaine de connaissance, d’une langue

Apprendre, suivre l’évolution, évaluer

Professionnel

Présentation d’une activité, d’un produit, d’un catalogue

Communiquer, vendre

Documentaire

Présenter une collection de documents

Trouver une information, comparer, évaluer la pertinence

Gestion de projet

Présenter l’état d’un projet, configurer un projet

Coordonner l’activité d’un groupe

Tableau 1 : Domaines d’application des Hypermédias

Les méthodes préconisant un modèle et une démarche font leur apparition dans les années 95 (cf. Figure 1) en s’inspirant de HDM (ACM, 1995). C’est le cas de la méthode RMM 'Relationship Management Method' (Isakowitz & Al, 1995) qui repose sur le modèle E/A. Elle a été étendue ultérieurement par ses auteurs pour s’adapter aux applications complexes exigeant la combinaison d’informations issues de plusieurs entités. Elle a également servi de base pour la proposition WebArchitect (Takahashi & Ling, 1997). Cette méthode définit une version étendue des notations de RMM pour décrire l’architecture des systèmes d’information basés sur le Web.

Figure 1 : Classification des méthodes de conception hypermédia

En 1996, la proposition de la méthode OOHDM (Schwabe & Al, 1996) 'Object-Oriented Hypermedia Design Method' a été la première à utiliser les concepts orientés objet. Depuis, plusieurs autres méthodes orientées objet se sont succédées en mettant l’accent sur des aspects différents. Par exemple, HFPM 'Hypermedia Flexible Process Modeling' (Olsina, 1998) propose  un processus d’analyse qui permet de couvrir la totalité du cycle de développement. SOHDM 'Scenario-based Object-oriented Hypermedia Design Methodology' (Lee & Al, 1998) se base sur les scénarios pour établir des diagrammes d’activités déterminant les structures d’accès aux nœuds. L’approche OO/pattern (Thomson & Al, 1998) se distingue par l’introduction de patrons de conception de navigation et de présentation.

4. Les applications Web

Une application Web est une application délivrée par un serveur web sur un réseau. Elle repose sur une architecture client/serveur à plusieurs niveaux (Tiers).

L’apport essentiel de cette forme d’application est qu’elle repose sur l’utilisation d’un navigateur dit 'client léger' qui est utilisable sur de nombreux supports matériels. Le coté application, quant à lui, se complexifie, le nombre de serveurs à mettre en place augmente faisant ainsi croître le nombre de niveaux de l’architecture. L’architecture client/serveur initiale s’est alors transformée en une architecture serveur/serveur. Chacun des niveaux possède un rôle dans l’application :

  • afficher l’interface utilisateur,

  • contrôler la cohérence des actions de l’utilisateur,

  • gérer (accès, mise à jour) les données,

  • assurer la communication entre les différents niveaux.

Ainsi la dénotation des niveaux communément admise correspond aux différents rôles identifiés :

  • niveau interface utilisateur,

  • niveau contrôle ou logique,

  • niveau des données ou objets,

  • niveau 'inter-niveaux’ ou middleware,

Pour mettre en œuvre ces niveaux un ensemble de technologies et de modèles sous-jacents sont disponibles. Au niveau interface utilisateur, les technologies à utiliser sont celles des pages webs : HTML, Javascript, styles CSS. Les concepts à manipuler sont alors : le document, le style, le formulaire, le script, la balise. Le niveau contrôle est régi par les technologies de la génération dynamique de page web souvent associées à un langage de programmation : PHP, JSP (Java), ASP (C#), ... Le modèle associé décrit les composants d’une application client/serveur : le serveur, l’application, la session, la requête, et le contexte (ensemble de variables) associé à chacun de ces composants. Le niveau des données peut être objet et/ou relationnel. Les technologies objets disponibles sont celles des langages objets utilisées pour développer le niveau contrôle à savoir : Java et J2EE, ASP et .NET, la version objet de PHP. Les concepts des modèles sont ceux du paradigme 'objet' : la classe, l’opération, la propriété, l’objet, ... Lorsque les données sont persistantes une base de donnée relationnelle est alors utilisée, soit de manière transparente via un serveur d’application gérant la persistance des objets, soit de manière explicite lorsque ce type de serveur n’est pas utilisé. Les SGBD relationnels du marché constituent l’essentiel des technologies utilisées : SQL-Server, Oracle, MySQL, Sybase.. Le modèle relationnel constitue le modèle des données dans lequel les notions de relation, attribut, type, clé sont utilisées. Enfin, pour faire communiquer ces technologies, des bibliothèques de composants (API) existent dans le langage de développement choisi. Par exemple la bibliothèque nécessaire à l’utilisation d’une base de données en java se nomme JDBC (Java Data Base Connectivity) ; les concepts du modèle utilisé sont : la base de données, la connexion, la requête, le résultat, les méta-données.

Cette variété de technologies et de modèles rend l’architecture d’une application web de plus en plus complexe. Concevoir ce type d’application nécessite un ensemble de compétences informatiques allant du réseau aux bases de données en passant par la programmation objet, la syntaxe HTML et plus encore. Malgré la proposition d’infrastructure de développement (framework), tel que Struts, Jfaces, ou encore les webform de .Net qui proposent une organisation logique des composants d’une application web, la conception d’application web demande un investissement technologique important. De plus le contexte social et économique dans lequel cette forme de conception s’insère est particulier (Deshpande & Al, 2002) :

  • Temps de développement et budget comprimés

  • Evolution constante avec des cycles courts de mise à jour

  • 'Le contenu est roi', il est souvent intégré de manière inextricable dans du code

  • Spécification des besoins insuffisante

  • Technologies et méthodes émergentes

  • Petite équipe de développement

  • Manque de procédure de test

  • Importance de la satisfaction de l’utilisateur et concurrence forte

  • Management de projet minimal

  • Les performances sont un aspect critique

  • Nombreux standards et normes à utiliser

  • Variétés des disciplines à investir (hypertexte, conception graphique, ergonomie, ..)

  • La gestion de la sécurité

  • Les aspects sociaux, légaux et éthiques à considérer

  • Le contexte social de l’équipe de développement (âge, expérience, savoir-faire)

  • L’évolution rapide des environnements de développement

Face à ce contexte et à cette nouvelle forme de conception multi-niveaux les méthodes classiques du génie logiciel, conçues pour la conception de programme modulaire dans un seul langage, deviennent inadaptées.

5. Les méthodes de conception d’hypermédia et le web

La conception d’hypermédia a toujours été abordée sous un aspect multi-modèle où chaque modèle décrit un élément de l’hypermédia (données, parcours, interface). Certaines méthodes, fortes de cette structuration analogue à l’architecture des applications Web, se sont adaptées à cette nouvelle forme d’implémentation des hypermédias.

D’autres propositions de méthodes ont particulièrement visé le développement de sites Web. Par exemple WSDM 'Web Site Design Method' (DeTroyer & Leune, 1997) propose une conception d’application web en reprenant les différents niveaux de conception d’un hypermédia mais avec pour originalité de placer l’utilisateur au centre de l’approche de conception. Pour la méthode MoHyCan (Halin & Al, 1999) c’est à des concepteurs d’hypermédia non informaticiens qu’elle s’adresse. Elle préconise  l’utilisation de trois modèles d’objets, aux concepts simples, qui se superposent à la manière des calques (layer) utilisés par les architectes pour concevoir les plans d’un bâtiment. Elle permet une prise en compte, dès la modélisation des données, des différents types de média et ainsi de prendre en compte leur potentiel d’intéractivité dans la définition des parcours.

La méthode WebML (Web Modeling Language) (Ceri & Al, 2000) en 1997 représente un aboutissement de travaux effectués autour des méthodes HDM et RMM. Elle se caractérise par l’utilisation du standard XML pour décrire ses modèles. Elle propose un processus sous la forme d’une itération de constructions de plusieurs modèles. Les principaux modèles se présentent comme suit:

  • Le modèle structurel : il s’agit du modèle E/A classique comportant un héritage simple et des relations binaires sans attributs. Deux entités prédéfinies, Group et User, sont disponibles pour la gestion des droits d’accès et de la personnalisation.

  • Le modèle de composition : ce modèle a pour objectif la détermination des pages Web à construire et ce qu’elles reflètent des nœuds d’information. Le concept de page est traduit par une entité graphique et une description XML. Le contenu des pages est formalisé par l’introduction d’unités de contenu. Elles sont de divers types (listes, visites guidées ...) et sont présentées également par un graphisme et une spécification XML.

  • Le modèle de navigation : c’est le modèle qui permet d’établir les liens hypertextes entre les unités et les pages du modèle de composition. Pour modéliser les liens autres que ceux utilisés pour la consultation des données, les auteurs ont défini des concepts de saisie de données ou d’opérations de modification de contenu.

  • Le modèle de présentation : il permet de définir l’apparence des pages Web. Cette étape profite des technologies XSL qu’elle rattache au contenu XML.

  • WebML est à la base de WebRatio , un environnement pour la conception de sites Web assistée par ordinateur. Cette suite logicielle comprend un IDE permettant la saisie des modèles et leur vérification et la génération d’un système de documentation. Elle offre également un générateur de code pour XSL, SQL et la plate-forme J2EE par l’utilisation du framework Struts. WebML apporte une solution relativement efficace pour la conception d'applications Web notamment destinées au commerce électronique. La mise en œuvre  de sa démarche par l’outil WebRatio a eu un certain succès dans le milieu des entreprises (Groupe Accor, Acer Europe Inc.).

Avec le succès que connaît actuellement UML, la tendance est à l’intégration de cette notation graphique aux processus de conception. Un premier travail a été effectué dans ce sens par Conallen (Conallen, 2000). Il a permis de définir un ensemble de stéréotypes appropriés aux architectures Web et particulièrement utiles pour les aspects liés à l’implémentation sous la forme de pages dynamiques (JSP ou ASP). Cependant, ce travail ne peut pas être considéré comme une proposition de méthode puisqu’il ne couvre pas toutes les phases de la conception d’hypermédia. UML based Web Engineering Methodology, UWE, (Koch, 2001) se présente comme une proposition de conception hypermédia plus complète car elle définit une extension UML (un méta-modèle) pour la construction de modèles de conception, de navigation et de présentation. De plus, ces modèles sont complètement compatibles avec les mécanismes d’extensions préconisés par UML. La méthode OO-Hmethod (Gomez & Al , 2000) repose aussi sur l’utilisation d’UML pour la description conceptuelle des données. Elle propose aussi deux autres niveaux de conception, navigation et présentation, le tout associé à un outil 'VisualWade' dans une version alpha assez prometteuse puisqu’il est capable de générer du PHP, des JSP ou des ASP ainsi que le modèle relationnel des données vers plusieurs SGBD.

Le web est devenu le support consacré des hypermédias. La prise en compte des spécificités du Web et de ses technologies dans les méthodes de conception d’hypermédia est devenu incontournable. Les nouvelles méthodes utilisent les nouvelles technologies pour réaliser l’hypermédia tout en s’appuyant sur les concepts énoncés par les anciennes méthodes. Elles proposent toutes une modélisation du domaine, des parcours et de l’interface avec une meilleure prise en compte des différents types d’utilisateurs. Une nouvelle forme d’ingénierie est née : l’ingénierie du Web (Web Engineering) qui intègre la conception d’hypermédia dédié au web mais plus globalement la conception de Système d’Informations pour le Web (SIW ).

6. Constat et réflexion

Face au contexte économique tendu lié au développement d’application Web (temps court, technologie en constante évolution, variété sociale des équipes, ...), rares sont les équipes de développement qui utilisent une méthode de conception. Même si les méthodes de conception d’hypermédia se sont adaptées au Web leur utilisation comme méthodes alternatives de conception d’applications Web n’est pas encore une réalité, ceci pour plusieurs raisons :

  • un manque de documentation : les méthodes sont encore très "universitaires" et encore fortement illustrées par des articles scientifiques,

  • un manque d’outil opérationnel : quelques méthodes sont outillées, mais souvent par des prototypes qui ne couvrent pas l’ensemble de la méthode,

  • un manque d’enseignement dans les formations professionnelles : des infrastructures de développement (Struts, Jfaces,..) sont enseignées mais rarement les méthodes,

  • une non prise en compte de la facette multi-média : seul le texte et les images font partie des éléments de la conception, les autres formes de média, vidéo, scène 2D ou 3D, ... ne sont rarement, voire jamais, prises en compte.

  • une non prise en compte du travail de groupe : l’activité de conception et plus particulièrement celle de la conception d’hypermédia est un travail de groupe qui est encore très peu pris en compte dans les outils associés aux méthodes.  Seul l’acteur “ informaticien ” est pris en compte.

Seule la méthode WebML, avec son outil Webratio, semble réellement opérationnelle. En effet, elle est le résultat d’un transfert technologique d’une recherche universitaire vers le milieu industriel réussi. L’outil fonctionne et suit la méthode ; la documentation existe ; quelques expériences d’enseignement ont été menées. Cependant comme la méthode ne repose pas sur le langage UML, son utilisation demande un réel investissement et cela l’écarte du courant actuel d’évolution des méthodes de conception utilisant les capacités d’extension du langage UML par l’utilisation des profils.

La non-utilisation des méthodes de conception d’hypermédia (Lang, 2002) est certainement due à leur inadaptation à répondre aux besoins des concepteurs. En effet toutes les méthodes proposent la même démarche : modélisation des données puis la modélisation des parcours et enfin l’interface. Une autre démarche me semble envisageable car la réalité d’une équipe de développement est tout autre : son premier objectif n’est pas la définition des données mais plutôt la projection des besoins de l’utilisateur sur une interface graphique. Ainsi les concepteurs réalisent souvent une maquette qui sert de support de communication avec les maîtres d’ouvrages mais qui n’est pas réutilisée pour le développement de l’application finale. Une démarche innovante de conception serait alors de commencer par la conception de l’interface, celle-ci guiderait à la fois la conception des parcours et celles des données. Cette démarche aurait aussi comme avantage de ne pas s’adresser qu’au public 'informaticien' comme celles classiquement proposées dans les méthodes.

Les concepteurs des méthodes UWE et OO-Hmethod proposent une évolution commune à leurs méthodes qui s’orientent un peu vers cette voie (Cachero & Koch, 2002). Cette évolution consiste à adapter la définition des cas d’utilisation du langage UML par la prise en compte d’unité sémantique de navigation (NSU, Navigation Semantic Unit) et de lien sémantique de navigation (NSL, Navigation Semantic Link) et ceci pour chacun des utilisateurs pressentis. Un NSU contient l’ensemble des informations dont a besoin un utilisateur à un moment donné pour réaliser une fonction identifiée. Ces deux abstractions s’apparentent à une première identification des pages et des liens dont la conception pourrait certainement être assistée par l’utilisation d’un outil d’édition graphique de pages et ainsi de proposer une première forme de conception dirigée par l’interface et les besoins des utilisateurs.

Une autre raison freinant l’utilisation des méthodes et des modèles associés est la place importante qu’occupe le choix des technologies dans la conception. Cette omniprésence de la technologie, qui guide généralement dès le début la conception, limite l’utilisation de modèles de conception et ainsi l’évolution des applications réalisées. L’ingénierie dirigée par les modèles (Blanc, 2005) (MDA, Model Driven Architecture) est une voie à suivre pour s’abstraire des technologies en constante évolution et pour proposer des modèles de données, de navigation, de présentation, d’utilisateur ou encore d’adaptations durables, réutilisables, échangeables et évolutifs. Des traducteurs ou encore des compilateurs prendront les modèles en entrée pour générer les descriptions et le code des applications dans une technologie choisie.

7. Conclusion

Les méthodes de conception hypermédia ont évolué pour prendre en compte la conception d’applications Web. Les premières méthodes reposant sur le modèle Entité/Association ont permis la définition des principes de base. L’utilisation récente d’UML pour la modélisation des hypermédias s’inscrit dans le cadre d’une évolution vers une notation graphique standard. L’intérêt du langage se manifeste notamment dans son extensibilité qui lui permet de couvrir, via des profils UML, les spécificités de l’hypermédia. Cette flexibilité ne nuit pas au degré de précision des modèles grâce à l’utilisation du langage de contraintes. De plus, la possibilité d’intégrer des concepts proposés dans les premières méthodes permet de profiter de l’expérience acquise dans le domaine. Cependant l’architecture d’une application Web demeure complexe et les choix technologiques variés. Les concepteurs noyés dans un contexte économique et technologique tendu ont peu de temps à consacrer à l’abstraction et à l’utilisation de méthodes et de modèles. Les méthodes de conception d’hypermédia ou plus globalement de SIW ont certainement un rôle à jouer, mais elles doivent s’adapter à ce contexte en proposant une nouvelle démarche de conception guidée par l’interface utilisateur à produire et produisant des modèles réutilisables et traduisibles dans les technologies du moment.

Références

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A propos des auteurs

Gilles HALIN est Maître de Conférences HDR en informatique à l'Université Nancy2. Il est également chercheur au CRAI (Centre de Recherche en Architecture et Ingénierie) de l'UMR MAP. Ses travaux de recherche portent sur la définition de méthodes, de modèles et d'outils dédiés à l'assistance à la conception où l'objet de la conception peut-être un logiciel, un bâtiment ou encore un produit manufacturé.

Adresse : Centre de Recherche en Architecture et Ingénierie (CRAI), UMR CNRS/Culture MAP, 2 rue Bastien Lepage, 54000 Nancy

Courriel : halin@crai.archi.fr

Toile : www.crai.archi.fr