Approche ontologique et navigation dans un EIAH
Le cas
de l’enseignement des statistiques
Emmanuel SANDER, Jean-Marc MEUNIER, Christelle
BOSC-MINÉ Laboratoire
Cognition & Usages, CNRS/Université de Paris
8
RÉSUMÉ : Certains
résultats de travaux en psychologie cognitive invitent à la
construction d’EIAH fondés sur une représentation des
connaissances explicite de l’organisation cognitive visée. Cette
approche privilégie des formes d’acquisition qui
s’affranchissent de certaines des contraintes de linéarité
qui guident généralement les cursus d’apprentissage. La
démarche proposée ici favorise les acquisitions de relations
d’inclusion de classes entre les concepts, qui sont fondamentales dans les
apprentissages. La traduction technique de cette approche pédagogique
consiste à laisser la possibilité à l’apprenant de
naviguer à l’intérieur d’une ontologie du domaine. Un
EIAH fondé sur ces principes est en cours de développement
dans le cadre de l’enseignement à distance des statistiques en
psychologie à l’I.E.D. (Institut d’Enseignement à
Distance) de l’Université Paris 8. Il est
présenté afin d’illustrer la démarche.
MOTS
CLÉS : Ontologie, catégorisation, EIAH, apprentissage, réseau sémantique
ABSTRACT : Some
results of work in cognitive psychology invite to the construction of a
computer environment of human learning (C.E.H.L.) based on an explicit
representation of knowledge of the cognitive organization concerned. This
approach privileges forms of acquisition which are freed from some of the
constraints of linearity which generally guide the courses of training. The
method suggested here supports acquisitions of relations of class inclusion
between concepts, which are fundamental in learning situations. The technical
side of this teaching approach consists in allowing the learner to navigate
within an ontology of the field. An C.E.H.L. based on these principles is under
development within the framework of the remote teaching of the statistics in
psychology with the Distance teaching institute of the University Paris 8. It is
presented in order to illustrate the approach.
KEYWORDS : Ontology,
categorization, computer environment of human learning, learning, semantic network
1. Introduction
Les modes traditionnels de transmission des connaissances induisent des contraintes
évidentes de linéarité de présentation qui
sont à mettre en regard avec la manière dont les connaissances
sont structurées en mémoire, structuration qui est au cœur
de leur utilisation. En particulier, ces modes de transmission conduisent
l’enseignant à privilégier un point de vue et permettent
rarement d’expliciter la coexistence de plusieurs points de vue
sur la matière à enseigner. Ainsi, dans le domaine de connaissances
considéré dans cet article, les statistiques pour psychologues,
on peut aborder la matière du point de vue des concepts à
enseigner (notion de variable, de protocole, etc.) ou du point de vue des
buts et des procédures applicables à ces objets (ce qui
peut être fait et comment cela peut être fait). Les modes
traditionnels de présentation des contenus de connaissances, en
linéarisant des contenus structurés en mémoire de
l’enseignant, rendent difficile l’articulation des concepts
par un apprenant qui devra les structurer à nouveau à partir
de cette présentation linéaire sur la base de relations
pas nécessairement explicitées. Cette reconstruction est
d’autant plus difficile lorsque plusieurs points de vue coexistent,
comme c’est le cas par exemple pour les statistiques. Si le constat
de ce processus de déconstruction-reconstruction ne devrait pas
incliner à tirer des conclusions simplistes, il invite toutefois
à prendre en compte que la linéarité du parcours
n’a, du fait du développement des hypermédias, plus
caractère de nécessité et que sa structuration est
devenue une variable didactique pouvant être manipulée dans
un EIAH.
L’objectif de cet article est de montrer que les résultats
de travaux en psychologie cognitive invitent, pour certains contenus disciplinaires,
à utiliser une ontologie ou tout au moins une composante d’une
ontologie, sous la forme d’un réseau sémantique organisé
selon la relation d’inclusion de classes comme support de navigation
dans un EIAH. Cela permet tout à
la fois d’expliciter les concepts à acquérir et de
favoriser l’acquisition des relations d’inclusion de classes
qui constituent une dimension fondamentale des apprentissages car elles
sont un des éléments essentiels dans la production d’inférences
(section 2), et à ce titre constituent
un des critères distinctifs entre les novices et les experts. Ces
relations d’inclusion de classes sont également un des éléments
essentiels participants à la flexibilité cognitive de l’expert,
notamment à travers le phénomène de marquage et à
son efficacité cognitive, à travers l’articulation
entre la structuration rationnelle et la structuration fonctionnelle des
connaissances (section 2.4 et section
3).
La construction d’un tel EIAH rend
envisageable de viser un cursus d’apprentissage qui explicite et
intègre, par une navigation à l’intérieur d’une
ontologie, l’organisation cognitive visée. S’il n’est
guère probable que la seule exploration d’un réseau
sémantique soit, de manière isolée, un facteur d’apprentissage,
cela semble en revanche être une voie prometteuse que d’intégrer
de telles explicitations à un cursus d’apprentissage, pour
prendre en compte les données de la psychologie cognitive sur l’organisation
et l’utilisation des connaissances. Un EIAH
fondé sur ces principes est en cours de développement dans
le cadre de l’enseignement à distance des statistiques en
psychologie à l’I.E.D. (Institut
d’Enseignement à Distance) de l’Université Paris
8. Il sera présenté afin d’illustrer la démarche
(section 4).
2. Catégorisation et apprentissage
2.1. La catégorisation comme outil de classification et
d’inférence
Comme l’ont noté, avec d’autres, ([TverskyHemenway91],
p. 439), "le monde nous présente
un nombre incalculable de choses différentes. Une manière
pour les gens d’affronter cette diversité, tout en y mettant
de l’ordre, est de grouper les choses similaires en catégories
et les catégories en taxonomies". Outre cette fonction
de classification, la catégorisation permet d’inférer
des propriétés non observables à partir de propriétés
observables. Par exemple, catégoriser une entité comme chien,
permet d’inférer qu’il est susceptible d’aboyer,
de mordre, d’aller chercher un os, qu’il a un cerveau, un
estomac, etc. ; autant de caractéristiques qui n’auront
pourtant pas été effectivement observées sur ce chien
particulier [MurphyRoss94].
A ce titre, la catégorisation constitue un support de raisonnement
et d’action du fait de sa fonction prédictive [Anderson91].
Par exemple, [BlessingRoss96]
ont montré que les apprenants qui identifiaient une catégorie
d’appartenance au problème à résoudre (ex :
problème de mélange) avaient des comportements très
différents de ceux qui ne le faisaient pas : ils mettaient
immédiatement en œuvre les procédures de résolution
pertinentes alors que les autres se lançaient dans une analyse
laborieuse du problème. Ainsi, la construction de catégories
pertinentes et d’indices d’accès à ces catégories
constitue des dimensions fondamentales des apprentissages [Holyoak85],
[HolyoakKoh87],
[Sander00],
[Sander03].
Les traits saillants d’une situation [Vosnadiou89],
[BlessingRoss96],
[RichardSander00]
sont utilisés comme indice d’accès à une catégorie
et permettent alors d’accéder aux autres informations associées,
notamment des connaissances déclaratives, des procédures
et des mises en relation avec des catégories sémantiquement
liées [Tijus96].
2.2. Différence de catégorisation selon le niveau de
connaissance sur un domaine
Novices et experts d’un domaine diffèrent dans leurs
catégorisations : les novices, contrairement aux experts, incluent
essentiellement des informations superficielles dans leurs critères de
catégorisation, comme les objets spécifiques, les termes
utilisés, la forme de la question
[Adelson81],
[ChiAl81],
[ChiAl82],
[SchoenfeldHerrmann82],
[Silver79], [Silver81].
Dans un article classique,
[ChiAl81] ont
montré que les novices en physique regroupent des problèmes
faisant intervenir les mêmes objets, comme des problèmes de poulie
ou de plan incliné alors que les experts tiennent aussi compte de ces
traits de surface, mais regroupent les problèmes selon le principe
physique mis en jeu, par exemple la troisième loi de Newton. Des
résultats convergents ont été trouvés par
[HardimanAl89]
avec une tâche d’évaluation de similitude entre
problèmes de physique et
[Silver79], [Silver81]
a trouvé des résultats similaires pour des problèmes
mathématiques.
[SchoenfeldHerrmann82]
ont montré que des étudiants classant des problèmes en
fonction de caractéristiques de surface des objets décrits
modifiaient leur méthode de classement et prenaient en compte les
principes de résolution après avoir suivi un enseignement de
mathématiques.
[ChiAl89] ainsi que
[ChiVanLehn91]
ont montré également que les "bons
apprenants" sont ceux qui catégorisent les exercices en fonction
des buts réalisés et des conditions de réalisation de ces
buts.
D’autres travaux montrent l’influence de l’expertise sur la
catégorisation en s’inscrivant dans un paradigme différent.
Depuis les recherches princeps de Rosch
[Rosch78],
[Cordier93],
[RoschAl76],
[MedinAl00], on sait
que plusieurs mesures, qu’elles soient perceptives ou fonctionnelles,
convergent vers un niveau de catégorisation particulier : le niveau
de base, qui est le niveau le plus abstrait pour lequel les membres de la
catégorie ont des formes similaires et reconnaissables. C’est aussi
un niveau choisi préférentiellement lors de la dénomination
et également le plus informatif car les sujets donnent nettement plus
d’attributs pour définir ce niveau qu’ils ne le font pour
définir celui directement superordonné, alors qu’ils ne
donnent que peu d’attributs supplémentaires pour définir un
niveau subordonné.
[TanakaTaylor91]
montrent pourtant que le niveau privilégié de
catégorisation n’est pas obtenu par des critères
indépendants de l’observateur. Ainsi des experts en chiens et en
oiseaux catégorisent à la même vitesse au niveau
subordonné et au niveau de base, et plus lentement au niveau
superordonné, alors qu'on retrouve chez les novices une
catégorisation plus rapide au niveau de base qu’au niveau
superordonné. Le même effet est noté pour la
dénomination : les experts ont tendance à dénommer
autant au niveau subordonné qu’au niveau de base, contrairement aux
novices qui dénommeront plus rapidement au niveau de base. Ces
résultats ont été confirmés par des
expériences de
[JohnsonMervis97]
montrant que les meilleurs experts pouvaient traiter comme un niveau de base des
niveaux ayant deux degrés de subordination par rapport au niveau de base
pour un novice.
2.3. Le statut particulier de la relation d’inclusion de classes.
Les théories de la représentation des connaissances en
mémoire considèrent toutes que la relation général-spécifique,
ou relation d’inclusion de classes ("est un",
"est une sorte de") est une relation essentielle
[CollinsLoftus75].
Des travaux déjà anciens ont établi que les listes
organisées en taxonomies sont mieux rappelées que les listes
de mots non liés [BowerAl69],
[Puff70] et la
littérature sur les associations libres a indiqué que le
mot le plus fréquemment associé à de nombreux mots
est souvent un nom de catégorie superordonnée (e.g. chaise
comme stimulus donne meuble). Comme le note [Barsalou83],
c’est parce que des structures bien établies en mémoire
mettent en relation ces catégories que les catégories
superordonnées sont hautement associées. Cette relation
a un statut particulier du fait des traitements cognitifs qu’elle
autorise : l’organisation selon une hiérarchie général-spécifique
indique le nombre de points de vue qu’il est possible de prendre
sur un même objet en le considérant à différents
niveaux d’abstraction, du plus spécifique au plus général
et offre ainsi une mesure de flexibilité des points de vue qui
pourront être pris selon le contexte. Par exemple [SanderRichard98],
un même objet peut être catégorisé comme une
Nike, de tel modèle et de telle taille (par un vendeur durant l’inventaire
de sa boutique), comme une Nike (par un client au supermarché),
comme une chaussure de sport (par quelqu’un qui va courir), comme
une chaussure (par quelqu’un qui cherche des chaussures), comme
un produit manufacturé (par un statisticien qui travaille sur la
consommation des ménages) etc. [RichardSander00]
ont montré, dans le cadre de la résolution de problèmes
de mathématiques, que le niveau d’abstraction de la catégorisation
d’un problème était un déterminant essentiel
du transfert d’apprentissage (voir aussi, [BassokOlseth95],
[BassokAl95], [Bassok01]).
Ainsi, la réussite du transfert entre deux problèmes isomorphes
de mélanges [Reed87],
l’un de mélange de solutions chimiques (Une infirmière
mélange une solution de 6% d’acide borique avec une solution
de 12% d’acide borique. Combien lui faut-il de chaque solution pour
avoir 4,5 litres de mélange à 8%?), et l’autre
de "mélange" de taux d’intérêts
entre différents comptes bancaires (M. Roberts reçoit
7% d’intérêts comme revenu de ses actions et 11% d’intérêts
de ses bons du Trésor. Combien a-t-il sur chaque compte, sachant
qu’il a au total 8000 francs et qu’il a eu en moyenne 8% d’intérêts?)
semble dépendre de ce que la catégorie construite pour coder
le premier problème est ou non suffisamment abstraite pour inclure
le second (voir Figure 1).
Figure 1 : Trois niveaux de catégorisation
possibles organisés de manière hiérarchique
Ainsi si le problème de mélange d’acides boriques est
catégorisé au niveau le plus abstrait, c’est-à-dire
comme une situation de combinaison, dont le mélange avec dissolution des
composants n’est qu’un cas particulier, le transfert avec le
problème des comptes est aisé car il s’agit
d’appliquer une procédure associée à cette même
catégorie. A l’inverse, si le problème de mélange
d’acides boriques est catégorisé au niveau
subordonné, il n’y a pas de légitimité de
transférer la procédure au cas des problèmes de compte et
le transfert devrait échouer. Dans ce cas particulier, le transfert est
peu élevé car le problème donné en apprentissage est
une situation de mélange de substances liquides. Ce type de
mélange a une propriété spécifique, c’est
qu’une fois l’opération de mélange
réalisée, il n’y a plus qu’une substance, celle qui
résulte du mélange, et les composants du mélange sont
perdus. L’objet auquel s’applique la concentration moyenne est bien
identifié physiquement, c’est le résultat du mélange.
Lorsqu’on donne en situation de transfert un problème
d’intérêt moyen sur deux comptes, on n’a pas de
mélange effectif : il existe toujours deux comptes et il n’y a pas
de dissolution en un seul compte bancaire. L’objet auquel s’applique
l’intérêt moyen est purement virtuel. Il faut le construire :
c’est l’ensemble des deux comptes constituant le capital de la
personne, et ce n’est pas un compte à proprement parler. Dans ce
cas, le transfert ne se fait pas car la propriété pertinente pour
le problème cible est plus générale que celle qui a
été retenue pour le problème appris et la
récupération nécessite la construction de cette
propriété. Elle n’est pas reconnue dans le problème
appris parce que le problème appris a été
catégorisé comme un problème de mélange physique. Le
problème cible n’est pas catégorisé
spontanément comme un problème de mélange car aucun objet
résultant du mélange n’est décrit dans
l’énoncé ni naturellement inféré par le sujet.
Dans cette situation, le problème est catégorisé à
un niveau trop spécifique par la plupart des sujets, ce qui empêche
le transfert. Le niveau d’abstraction auquel se réalise la
catégorisation est donc essentiel ; à ce sujet le cas de
marquage, dans lequel un même terme du lexique est utilisé pour
désigner des catégories de niveau d’abstraction variable,
est exemplaire.
2.4. Marquage, point de vue inclusif, exclusif et apprentissage
Lune désignait originellement de
manière non ambiguë la planète en rotation autour de
la Terre et s’écrivait uniquement avec une majuscule. Avec
la découverte d’autres planètes satellites, la majuscule
a disparu et le terme a pris une acception plus générale
[Hofstadter97].
Lune peut être interprété
de manière exclusive des autres planètes satellites comme
désignant la Lune ou inclusive comme désignant une catégorie
superordonnée, si bien qu’il peut être correct de dire
que cette lune n’est pas la Lune. Si la subsistance de la majuscule
à l’écrit pour la Lune, satellite de la Terre, peut
lever l’ambiguïté, seuls les indices contextuels peuvent
départager les deux interprétations à l’oral.
Le passage d’un point de vue exclusif vers un point de vue inclusif
en conservant un même terme du lexique est notamment rendue possible
par la polysémie des étiquettes verbales : un même
terme peut désigner plusieurs catégories. En particulier,
lorsque la même étiquette verbale est utilisée pour
désigner plusieurs concepts ordonnés selon la relation d’inclusion
[Politzer91].
Ce phénomène de marquage est peu conceptualisé par
celui qui en fait usage mais très répandu dans les domaines
familiers, dans lesquels le niveau d’abstraction requis est sélectionné
en fonction du contexte si bien que la polysémie des termes est
le plus souvent ignorée. Par exemple, en fin de repas dans un restaurant,
à la question qui veut un café ? on peut
répondre thé, infusion, déca,
café serré, crème, expresso.
Dans ce contexte, un thé est un café. À un niveau
intermédiaire café désigne les boissons à
base de café. En ce sens, déca, crème,
allongé, serré sont des cafés
mais pas thé ou infusion. Au niveau spécifique,
café désigne le café servi par défaut
(que l’on commande au comptoir par exemple) et en ce sens il est
exclusif des autres : allongé, déca,
crème sont des café2 mais pas des café1
(Figure 2). Si les différents niveaux
sont conceptualisés, on peut prendre l’un ou l’autre
point de vue selon le contexte. Par exemple si on demande, au comptoir
d’un bar : 3 cafés, 1 allongé, 1 déca et 1
crème, deux interprétations sont possibles. Selon le point
de vue inclusif (Café 2), on a désigné la
catégorie superordonnée avant de spécifier ses instances
et ce sont 3 cafés au total qui ont été commandés.
Selon le point de vue exclusif (Café 1), les 3 premiers
cafés sont exclusifs des 3 autres et il y a donc 6 cafés
qui ont été commandés au total.
Figure 2 : Exemple de marquage pour
l’étiquette café
On peut citer de nombreux exemples. Ainsi, selon le contexte homme
peut inclure ou exclure femme ; animal peut inclure ou
exclure homme ; enfant peut inclure ou exclure
bébé ou adolescent; grand peut inclure
ou exclure très grand ; jour peut inclure ou exclure
nuit ; frigidaire peut inclure ou exclure une autre marque de
réfrigérateur ; Larousse peut inclure ou exclure une
autre marque de dictionnaire, etc.
Les cas de marquage sont très fréquents notamment du fait
qu’il est usuel de dénommer une catégorie
superordonnée par l’un de ses membres typiques
[GlucksbergKeysar90]
comme l’illustrent les derniers exemples.
L’identification de ce phénomène est fondamentale pour
étudier les apprentissages. En effet, l’usage d’un
terme n’est pas révélateur du fait que le concept
sous-jacent a été construit à un niveau inclusif
et il est possible que seuls les niveaux exclusifs existent. Ainsi, [SanderAl02]
ont fait l’hypothèse qu’un domaine de connaissance
se construit en privilégiant d’abord les points de vue exclusifs
pour les catégories à faible profondeur et les points de
vue inclusifs pour les catégories avec un fort degré de
profondeur. Dans la structuration la plus simple, il y a une catégorie
générale (Genre) et un ensemble de sous catégories
définies de manière exclusive (Espèces). Une
structuration simple, c’est-à-dire avec beaucoup de feuilles,
peu de nœuds, et peu de niveaux d’abstraction, est privilégiée.
En termes d’efficience cognitive, une structuration simple des connaissances
(avec peu de nœuds) permet de réaliser une fonction fondamentale
de la catégorisation, particulièrement lors de la découverte
d’un domaine : distinguer. Ainsi, un novice en figures géométriques
va organiser la catégorisation autour du genre "quadrilatères",
et d’espèces de quadrilatères : les trapèzes,
les parallélogrammes, les rectangles, les losanges, les carrés.
Cette organisation se fait au détriment des niveaux intermédiaires,
qui n’existent pas (ne sont pas conceptualisés) et/ou dont
les étiquettes servent uniquement pour des concepts spécifiques (point
de vue exclusif). Par exemple, rectangle sert d’étiquette
uniquement pour un rectangle non carré; parallélogramme
uniquement pour un parallélogramme non losange et non rectangle
(Figure 3).
Figure 3 : Réseau sémantique des
quadrilatères à deux niveaux d’abstraction
[SanderAl02] ont
cherché à montrer que, au fur et à mesure de l’acquisition
d’expertise sur un domaine, les dimensions inclusives se développent
en ajoutant des catégories intermédiaires (des genres intermédiaires),
fréquemment en lexicalisant une catégorie plus générale
par un terme utilisé pour une catégorie plus spécifique
[Politzer91].
Ainsi, à un niveau intermédiaire d’expertise pour
les quadrilatères, un apprenant est susceptible d’avoir 3
niveaux d’inclusion (Figure 4) alors que l’expert
aura structuré ses connaissances selon les 5 niveaux d’abstraction
(Figure 5).
Figure 4 : Réseau sémantique des
quadrilatères à trois niveaux d’abstraction
Figure 5 : Réseau sémantique des
quadrilatères à cinq niveaux d’abstraction
Figure 6 : Réseau sémantique des
quadrilatères faisant apparaître le marquage
En fait, en raison du marquage, rectangle peut être utilisé dans
le sens marqué de rectangle non carré (rectangle1)
ou dans le sens non marqué de rectangle (rectangle2), c’est
également le cas pour les autres figures (Figure
6). Du point de vue de l’identification et de l’acquisition
des connaissances, une conséquence du marquage est que l’identité
lexicale conduit à ce que l’absence d’une catégorie
puisse être difficile à identifier dans la mesure où
l’étiquette verbale est présente, sans que nécessairement
les concept1 et concept2 le soient. Par exemple, si seul
rectangle1 est présent, l’apprenant ou l’enseignant
n’est susceptible de se rendre compte de l’absence de rectangle2
que dans les cas de rectangle2 qui ne sont pas des rectangle1,
c’est-à-dire lorsque les carrés ne sont pas vus comme
des rectangles.
Les descriptions précédentes montrent que le nombre de
catégories n’est pas le critère essentiel : c’est
la structuration qui détermine les possibilités
d’inférences et d’actions. En termes d’efficience,
disposer de plusieurs niveaux d’abstraction offre
une plus grande flexibilité dans la mesure où
il devient possible, en fonction du contexte, de prendre différents
points de vue sur un même objet du monde ;
la possibilité de faire des inférences par
héritage de propriétés. La profondeur accroît les
possibilités d’inférences dans la mesure où une
catégorie subordonnée hérite des propriétés
des catégories superordonnées ;
la possibilité par le marquage de conserver le point
de vue exclusif quand il est pertinent, sans ajout d’étiquette
verbale.
Ainsi, dans les différents réseaux sémantiques précédents,
le nombre de catégories est constant d’un réseau à
l’autre si l’on ne prend pas en compte les catégories
marquées, alors que les inférences possibles varient grandement.
Par exemple, le carré de la Figure 3 n’hérite que
des propriétés du quadrilatère, alors que, dans le
réseau de la Figure 5, le carré hérite
du parallélogramme d’avoir ses diagonales qui se coupent
en leur milieu, du rectangle qu’elles soient de même longueur
et du losange qu’elles soient perpendiculaires.
Les résultats expérimentaux de cette recherche ont porté
sur plusieurs tâches :
Explicitation d’inclusion de classes. Par exemple,
est-ce qu'un carré est un rectangle particulier ?, Est-ce qu'un
carré est un losange particulier ? Est-ce qu'un rectangle est un
parallélogramme particulier ?
Dénomination d’instances. Par exemple, peut-on
dire de cet objet que c’est un carré, un rectangle, un losange,
etc ?
Explicitation de propriétés : quelle est
la définition d’un carré, d’un rectangle, d’un
losange, etc ?
Ils ont montré que les points de vue exclusifs dominent tant chez des
collégiens qui ont étudié récemment les
quadrilatères que chez des adultes, étudiants à
l’université : un carré est considéré
comme n’étant ni un rectangle ni un losange. Ce point de vue est
observé y compris dans les définitions des figures pour lesquelles
des propriétés sont fréquemment ajoutées, par
exemple en intégrant abusivement à la définition d’un
rectangle que ses côtés ne peuvent pas être égaux ou
à celle d’un losange qu’il n’a pas d’angle droit.
Ainsi cette recherche a montré que les relations d’inclusions de
classe ne sont pas acquises pour ces objets, pourtant considérés
comme relevant de l’enseignement élémentaire ; elle
invite à envisager des modes d’apprentissage favorisant
l’acquisition des relations entre catégories.
3. Un EIAH pour l’enseignement des statistiques
en psychologie
Quel intérêt peut avoir la prise en considération
de ces données sur la catégorisation dans la construction
d’un EIAH ? Concernant l’implication
de ce point de vue pour les acquisitions de connaissances, nous défendons
l’idée que l’explicitation et la navigation dans des
réseaux sémantiques peuvent constituer des apports décisifs
à condition bien évidemment de ne pas être dissociées
de cursus d’apprentissage adaptés. Comme le montrent les
travaux précédemment cités sur la catégorisation,
la connaissance des relations entre les concepts est essentielle pour
organiser les concepts et faire des inférences. Que la complexité
des réseaux et leur utilisation diffèrent chez les experts
et les novices suggère qu’une caractéristique essentielle
de l’expertise est la richesse des relations faites entre les concepts.
On observe en effet souvent, notamment chez les étudiants en statistiques
en début de cursus, des difficultés à mettre en relation
les concepts qui leur sont présentés. Il leur est par exemple
difficile de percevoir les relations entre différents types de
variables comme le fait que les procédures applicables aux variables
nominales le sont également pour les variables ordinales et numériques
et que les procédures applicables aux variables ordinales le sont
également pour les variables numériques. A l’issue
d’un cours de statistiques, l'étudiant ne doit pas seulement
acquérir des procédures, mais également des connaissances
conceptuelles sur ces procédures et les objets sur lesquels il
travaille. On peut bien sûr présenter ces relations dans
un cours oral ou sur papier comme on le fait [GhiglioneRichard98]
dans le cours utilisé à l’Institut d’Enseignement
à Distance de l’Université de Paris 8, mais notre
expérience d’enseignant nous montre que les étudiants
ont malgré tout des difficultés à intégrer
ces relations. Dans un test que nous avons fait passer à des étudiants
n’ayant eu à travailler que sur le cours papier, nous avons
demandé aux étudiants de juger de la véracité
de propositions comme "normaliser une distribution
est une façon de transformer une distribution sur une variable
ordonnée". Les résultats font apparaître
un taux de réussite relativement faible et montrent une prédominance
du point de vue exclusif au détriment du point de vue inclusif,
autrement dit les relations d’inclusions de classe ne sont que minoritairement
acquises. Nous ne détaillerons pas les résultats de cette
étude qui sont en cours d’analyse, mais ce résultat
souligne la nécessité d’expliciter les relations entre
les concepts dans la construction d’un cursus de statistique pour
psychologues.
3.1. La statistique vue comme un apprentissage procédural
Cette nécessité est plus impérative encore si on
appréhende l’enseignement des statistiques à partir des
données précédemment exposées et des
résultats de travaux sur l’acquisition de connaissances techniques
et sur l’organisation de ces connaissances. Dans le cadre de
l'enseignement à distance où la transmission des connaissances
méthodologiques passe pour l'essentiel par l'étude d'un cours
écrit, les cours de méthodologie, comme les statistiques, peuvent
être assimilés à des textes procéduraux. Il s'agit
pour les étudiants à la fois d’identifier les
procédures à mettre en œuvre, les contextes de mise en
œuvre et les objets sur lesquels elles portent. Or de nombreuses recherches
en psychologie cognitive ont montré que les textes procéduraux
sont bien plus difficiles à appréhender que les textes de
récits ou les textes expositifs
[Chaiklin84] et
notamment qu'on peut très bien en avoir une compréhension de
surface sans être pour autant capable de réaliser l'action
décrite par le texte
[KholerAl00],
[KotovskiAl85].
Considérer un cours de statistiques, non plus comme un exposé
magistral d'un ensemble de connaissances que doit acquérir
l'étudiant, mais comme un texte procédural, au même titre
que les modes d'emploi, les consignes de résolution de problèmes,
permet de donner du sens à un certain nombre de difficultés que
rencontrent les étudiants. Il est ainsi fréquent d’observer
l’application de procédures à des objets pour lesquels elle
n’a pas de signification. Par exemple, un calcul de moyenne sur une
variable nominale pour laquelle les modalités ont été
codées de manière numérique (Blanc=0, Rouge=1, Bleu=2,
...). Dans un texte procédural, deux logiques de structuration des
informations doivent s'articuler pour permettre une bonne compréhension
[Richard02]. La
première est liée aux connaissances relatives aux objets, à
leurs propriétés et aux relations qu'entretiennent ces objets,
c'est la logique de fonctionnement. La seconde concerne les procédures
elles-mêmes, leurs conditions d'application, c'est la logique
d’utilisation. Ces deux logiques renvoient à deux types de
propriétés des objets : les propriétés structurales
et les propriétés fonctionnelles. De ce point de vue, comprendre
un texte procédural, c'est être capable
"d'appréhender ces deux types de
propriétés et les relier entre elles de manière à
pouvoir inférer les propriétés fonctionnelles à
partir des propriétés structurelles et réciproquement
à expliquer les propriétés fonctionnelles par les
propriétés structurelles"
([Richard02], p.20).
Ces deux types de propriétés sont étroitement liés,
même si en prenant un point de vue particulier, on peut toujours
considérer indépendamment l'une ou l'autre de ces deux sortes de
propriétés. Mais lorsqu'il s'agit d'agir, notamment dans la
résolution de problèmes, il est nécessaire de les
considérer conjointement
[ClémentRichard97].
Ainsi appliquer des procédures à un objet, c'est lui attribuer les
propriétés de la catégorie des objets qu'on traite de cette
façon
[PoitrenaudAl90].
Ceci a été particulièrement bien montré dans des
recherches sur l'apprentissage de dispositifs techniques
[TijusAl96]. Ainsi
[SanderRichard97]
ont montré que dans l'apprentissage de l’utilisation d'un logiciel
de traitement de textes, que certains sujets novices n’utilisaient pas la
touche "backspace" pour effacer un espace, lorsque
celui-ci se situait à l'intérieur d'un mot. Au lieu de cela les
sujets préféraient effacer les caractères situés
après l'espace, puis les retapaient après avoir déplacer le
curseur. Ce n'est que lorsqu'ils découvrent que l'espace peut être
vu comme un caractère qu'ils utilisent spontanément la touche
d'effacement. Construire un savoir-faire ne relève donc pas seulement de
l'acquisition de procédures, mais également de la
découverte des propriétés structurelles (un espace est une
sorte de caractère) et fonctionnelles (la touche
"backspace" efface également les espaces).
Cette relation étroite entre propriétés de structure et
propriétés liées à l'action est également
confirmée par une série de travaux sur la sémantique de
l'action dont les principaux résultats montrent que ces significations
sont structurées par ces deux types de propriétés
[Meunier99],
[RichardAl01].
Pour le domaine qui nous occupe, c’est-à-dire les statistiques pour
psychologues, il s’agit donc à la fois de présenter à
l’étudiant la logique de fonctionnement, c’est-à-dire
l’organisation des concepts sur lesquels il travaille
(propriétés structurelles) et les procédures qui leur sont
applicables (propriétés fonctionnelles), mais également les
relations qu’entretiennent ces procédures,
c’est-à-dire la logique d’utilisation.
3.2. Construction de l’ontologie.
Les travaux que nous venons d'évoquer montrent qu'au-delà de la
simple présentation d'un contenu, l'enjeu principal d'un point de vue
didactique est l'explicitation de la structuration des connaissances à
enseigner. De notre point de vue, il paraît essentiel de développer
des méthodes d'analyse de la matière de façon à
expliciter la structuration des concepts qu'on cherche à enseigner et
d'utiliser les ontologies ainsi construites pour faciliter l'exploration de la
matière par l'étudiant. Pour cela, nous nous appuyons sur le
formalisme PROCOPE développé dans
notre laboratoire
[Poitrenaud95],
[PoitrenaudAl90].
Celui-ci a d'abord été utilisé pour décrire les
procédures associées aux objets composant un dispositif. Il est
fondé sur l'idée défendue par différents
auteurs [Richard02]
que les objets sont structurés par le contexte d'utilisation et que les
procédures peuvent être vues comme des propriétés
fonctionnelles des objets. En effet, il est communément admis que les
propriétés structurales correspondant aux connaissances
déclaratives servent de classificateurs pour les objets et la plupart des
modèles de représentation des connaissances sous forme de
réseaux sémantiques reposent sur ces propriétés, que
celles-ci soient considérées comme définissant les
catégories ou comme induisant des relations de similitude entre
exemplaires, ou entre exemplaires et prototypes
[SmithMedin81],
[Barsalou93], [Heit97].
Les propriétés fonctionnelles, correspondant aux connaissances
procédurales, ne sont, quant à elles, généralement
pas considérées comme devant jouer un rôle analogue par
rapport aux objets. La plupart des théories font une distinction radicale
entre connaissances déclaratives et connaissances procédurales et,
par conséquent, les décrivent à l’aide de formalismes
différents. Pourtant, la correspondance entre les deux sortes de
propriétés est manifeste : le plus souvent, c’est
l’existence des parties qui autorise la fonction
[TverskyHemenway84].
Par exemple, pour un oiseau, les propriétés "a
des ailes" et "a des pattes" sont intimement
liées aux propriétés "peut se
déplacer en volant" et "peut se
déplacer en marchant". En outre, l’idée que les
connaissances sont structurées par les propriétés
fonctionnelles a été défendue par différents auteurs
[BisseretEnard69],
[EnardBisseret69],
[Richard83],
[Bastien97]. Le
réseau sémantique PROCOPE
[PoitrenaudAl90],
[Poitrenaud95],
[Poitrenaud01]
est le graphe du treillis de Galois associé aux connaissances
déclaratives et procédurales sur un domaine. La notion de treillis
de Galois offre un cadre unificateur pour différentes méthodes
d’acquisition de concepts et de classification conceptuelle
[Wille92],
[GuénocheVanMechelen93],
[GodinAl98],
[Belohlavek00].
Dans le cas de PROCOPE, qui aborde le treillis
de Galois comme un outil de modélisation cognitive
[PoitrenaudAl90],
[TijusAl96], [SanderRichard98],
[SanderAl01], il
permet d’opérer une complète intégration des
connaissances déclaratives et procédurales au sein d’un
formalisme unique. Formellement, un réseau
PROCOPE comprend un ensemble de
catégories reliées entre elles par des liens figurant la relation
d’inclusion sémantique. Dans un réseau de ce type, si les
objets de la catégorie X ont toutes les propriétés des
objets de la catégorie Y, les X sont des sortes de Y et la
catégorie des X est une sous-catégorie de la catégorie des
Y. De plus, puisqu’on traite les buts et les actions comme étant
les propriétés fonctionnelles des objets, il faut ajouter à
la condition précédente "...et si on peut faire avec les X tout ce
qu’on peut faire avec les Y". Si les X sont des Y, on dit que les X
"héritent" des propriétés des Y.
On peut représenter ce type de réseau par un graphe : on
obtient alors ce que la théorie des graphes nomme une hiérarchie,
c’est-à-dire un graphe orienté sans circuit. Notons
qu’il s’agit d’une structure plus générale que
celle de l’arbre : dans une hiérarchie, un nœud peut
avoir plusieurs antécédents immédiats. Dans un
réseau PROCOPE, une catégorie
peut donc avoir plusieurs catégories superordonnées
immédiates et hériter des propriétés de chacune
d’entre elles. On peut dériver une hiérarchie satisfaisant
les précédentes exigences à partir de la structure
algébrique nommée treillis de Galois d’une relation
binaire
[BarbutMonjardet70].
La construction du treillis est faite à l’aide du logiciel
Stone qui est l’implémentation informatique du formalisme
PROCOPE
[Poitrenaud01] ,
[PoitrenaudAlSousPresse]
auquel on fournit en entrée un tableau de données décrivant
les relations entre un ensemble d’objets et un ensemble de
propriétés. A ce stade, propriétés structurales et
fonctionnelles ne sont pas distinguées. Ce choix est motivé par
l’hypothèse selon laquelle propriétés structurales et
propriétés fonctionnelles, attributs physiques et savoirs sur
l’action, jouent un rôle fondamentalement équivalent pour ce
qui est de la catégorisation des objets. En d’autres termes, les
propriétés fonctionnelles, au même titre que les
propriétés structurelles, définissent un réseau
sémantique, qui exprime la façon dont les objets doivent
être conçus pour qu’il soit possible d’opérer
efficacement sur eux. Nous l'appliquons ici à l'analyse du domaine des
statistiques pour psychologues.
D’un point de vue opérationnel, la méthode consiste à
dresser la liste des objets et à dresser un tableau croisant ces
objets avec leurs propriétés fonctionnelles et structurelles
(tableau 1). Le logiciel engendre ensuite le réseau sémantique
du domaine en appliquant le principe suivant :
Un objet x est une sorte d'objet y si on peut faire sur x tout ce qu'on
peut faire sur y. Cette relation est en fait une relation d'inclusion.
Les procédures étant vues comme des propriétés,
on a une relation analogue à celle qu'on définit classiquement
sur les propriétés structurelles : Un
objet x est une sorte d'objet y si x a toutes les propriétés
de y.
Tableau 1: L'analyse "objets-propriétés"
des sortes de variables.
Cette méthode a été appliquée à l'analyse
du cours de statistiques descriptives de première année de DEUG de
psychologie, en prenant comme référence l'ouvrage que les
étudiants de l'Institut d'enseignement à distance de
l'Université de Paris 8
reçoivent [GhiglioneRichard98].
Nous ne présenterons, à titre d’illustration, que
l’analyse faite sur la notion de variable. La méthode consiste
à lister l’ensemble des objets et des propriétés,
qu’elles soient structurelles ou fonctionnelles, puis construire la table
binaire des associations objets/propriétés (tableau 1). Dans ce
tableau 1, nous avons séparé les propriétés
structurales (les caractéristiques des variables) et les
propriétés fonctionnelles (ici les procédures applicables)
pour plus de clarté.
A partir de ce tableau, le logiciel Stone met en œuvre le
formalisme PROCOPE pour engendrer le
réseau sémantique des objets et des procédures.
Concrètement, le logiciel permet de construire des catégories en
regroupant les objets partageant les mêmes propriétés et de
structurer ces catégories par des relations d'inclusion de classes.
Figure 7 : Réseau sémantique de la notion
de variable.
On voit dans le réseau sémantique de la Figure
7que la notion de variable n'est pas une notion simple. Elle se subdivise
en deux sous catégories en fonction du statut de la variable (Facteur
versus Variable Dépendante). La notion de variable observée
ou VD est ensuite structurée par le type d'échelle de mesure.
Bien évidemment, une telle organisation des connaissances reflète
un point de vue particulier sur ces objets, celui d’un expert et
ce point de vue n’est souvent pas trivial pour l’étudiant.
Ainsi, il arrive fréquemment qu’une variable soit contrôlée
a posteriori (comparaison de groupes d’âge ou de sexe). Au
sens propre on peut dès lors considérer que c’est
une variable observée, mais le fait de la contrôler, même
a posteriori, lui fait prendre un statut particulier qui fait que les
procédures applicables ne dépendent plus de sa structure,
sauf dans le cas de la régression linéaire, méthode
qui n’est pas au programme du cours et qui est ignorée dans
cette analyse. C’est alors la structure de la variable dépendante
qui détermine les méthodes d’analyse applicables.
Figure 8 : Réseau sémantique des
procédures applicables aux variables
Ces propriétés structurelles sont corrélées avec
les propriétés fonctionnelles et on peut également
regarder ces objets à travers les relations qu'entretiennent les
procédures. Sur ces objets, on ne peut que recoder les variables
(Figure 8). Il existe deux types de recodage : le
regroupement de modalités et la transformation de variable (transformation
mathématique). Cette dernière n'est applicable qu'aux variables
numériques. Le regroupement de modalités est en revanche
applicable à tous les types de variables, mais diffère en
fonction de l'échelle de mesure (regroupement sémantique,
par proximité ou en classes). Ces deux réseaux sémantiques
représentent les deux points de vue selon lesquels on peut structurer
le cours de statistiques descriptives : les objets (logique de fonctionnement)
et les buts qu'on a sur ces objets (logique d’utilisation). Ils
permettent aux étudiants de prendre conscience de l'existence de
ces deux points de vue et de les explorer pour identifier les filiations
de propriétés qui conduisent à une telle structuration.
4. Réalisation et navigation dans l’EIAH
L’environnement pédagogique des étudiants, pour ce cours,
est constitué d’un cours sur papier édité chez
Dunod [GhiglioneRichard98],
d’un fascicule d’exercices et de devoirs (type problèmes
à résoudre) à envoyer à l’enseignant
pour correction. Les étudiants disposent également de moyens
de communication avec l’enseignant (courrier, mail, forum, foire
aux questions et permanences téléphoniques hebdomadaires)
et sont ainsi accompagnés de manière individualisée
dans l’étude de leur cours. Des travaux dirigés, en
présentiel à l’Institut, sont également au
programme de la deuxième année de DEUG. Dans ce contexte,
les aides pédagogiques en ligne que nous évoquons dans cet
article constituent une aide à la compréhension du cours
et non le cours lui-même. Il est supposé (mais l’étudiant
n’y est nullement contraint) que le cours est étudié
préalablement à l’utilisation des aides pédagogiques
en lignes que nous situons comme des outils de révision et d’approfondissement
du cours.
L’environnement informatique d’apprentissage fondé sur les
principes que nous venons de présenter est en cours de
réalisation. Nous en présenterons donc les principes
généraux et une maquette permettant de se faire une idée
plus précise du projet.
4.1. L’interface informatique.
L’interface informatique prévoit une interface
d’édition destinée à l’enseignant et une
interface d’utilisation pour l’étudiant.
Côté enseignant, l’interface permet de déclarer les
concepts et les relations entre les concepts et d’associer les concepts
à un ou plusieurs matériels didactiques (textes, diaporama, quiz,
etc). L’interface permet également d’introduire un ordre dans
la consultation des séquences s’il y a lieu (travailler la
séquence sur la moyenne avant celle sur l’écart-type par
exemple). Elle calcule ensuite le réseau sémantique à
afficher sur l’interface de l’étudiant. Cette interface
permet donc une gestion simple par l’enseignant de l’interface de
navigation de l’étudiant et permet également
d’envisager l’application de cette approche pour d’autres
cours (notamment les cours de statistiques de deuxième année de
DEUG et de Licence). Cette interface suppose bien-sûr que le travail de
structuration des concepts et de séquençage du cours ait
été fait en amont, ainsi que la préparation des
séquences. Pour ce qui concerne le cours de statistique, nous avons ainsi
découpé le cours en 29 séquences correspondant aux
procédures que l’étudiant doit acquérir. A chacune de
ces séquences, sont associés un texte court rappelant les
définitions des notions en jeu et les propriétés de la
catégorie d’objets sur lesquels l’étudiant travaille,
un diaporama présentant la procédure et son application et un quiz
permettant de tester la compréhension des concepts mis en œuvre et
l’application de la procédure.
Coté étudiant, l’interface se présente pour ce cours
sous la forme de deux réseaux sémantiques dans lequel il
pourra naviguer. Le premier réseau est celui des objets statistiques.
La Figure 9reproduit une copie d’écran
de la maquette.
Figure 9 : Le réseau sémantique des
objets statistiques
Ce réseau sémantique est une ontologie partielle du domaine des
statistiques pour psychologues. Les nœuds représentent les concepts
et le réseau est structuré hiérarchiquement par une
relation d’inclusion (est une sorte de). Il correspond à la
hiérarchie des catégories d’objets sur lesquels on peut
appliquer des procédures d’analyse. Il ne prétend pas
à l’exhaustivité (d’autres objets statistiques
existent) mais vise à rendre compte des relations qui apparaissent
importantes du point de vue de l’enseignant, compte tenu de ses choix
pédagogiques, et destiné à être mis en avant dans le
cours, en l’occurrence les statistiques destinées à des
étudiants de DEUG première année. Son utilisation est
relativement simple, le survol d’un des nœuds du réseau permet
d’afficher le menu contextuel présentant la liste des
séquences de cours associées. Ce menu correspond à la liste
des propriétés fonctionnelles c’est-à-dire des
procédures applicables à l’objet en question. Par exemple,
le survol du nœud "variable nominale" permet
d’accéder à la séquence sur le recodage
sémantique. De la même façon, le survol du nœud
"variable ordinale" donne accès à la
séquence de cours sur le regroupement par proximité et en
survolant le nœud "variable numérique",
on pourra consulter les séquences sur le regroupement en classes et la
transformation de variable. L’étudiant voit également
s’afficher dans la barre d’état du navigateur une courte
définition de la notion survolée. Lorsque l’étudiant
sélectionne une des options dans le menu contextuel associé
à une des notions, une fenêtre de type pop-up s’ouvre pour
présenter les différents objets pédagogiques
associés (textes, diaporamas, quiz).
Dans la Figure 9, on peut voir également deux
boutons en haut à droite de l’interface : aide et procédures.
Le bouton "aide" permet d’accéder
à un aide technique concernant l’utilisation de l’interface.
Le bouton "procédures" donne accès
à la structuration des procédures du point de vue des buts.
Cette seconde interface est présentée Figure
10.
Figure 10 : le réseau sémantique des
procédures
Dans ce réseau, les nœuds ne sont pas des concepts, mais des
propriétés (rappelons que nous considérons les
procédures comme des propriétés fonctionnelles des objets
statistiques) et les principes de construction et d’utilisation sont
similaires au réseau précédent. Ce réseau donne
à voir à l’étudiant les relations qui existent entre
les procédures statistiques qui sont également
hiérarchisées par une relation d’inclusion, mais cette
relation doit dans ce cas être interprétée comme
"est une façon de". Le survol et la
sélection du nœud correspondant à une procédure
permettent d’accéder aux objets pédagogiques associés
et ainsi d’étudier cette procédure.
5. Discussion et perspectives.
Les deux réseaux sémantiques qui viennent d’être
présentés constituent deux espaces de navigation pour l’étudiant
dans le cours. Ils visent à expliciter la coexistence de deux points
de vue sur le domaine des statistiques et à engager l’étudiant
dans une articulation de ces deux points de vue que constituent la structuration
rationnelle des concepts et la structuration fonctionnelle des procédures.
Nous soutenons en effet que la compréhension des relations entre
les concepts fait souvent défaut et est largement à l’origine
des difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre
des connaissances. Le champ des domaines de connaissances pour lequel
il est fructueux de travailler selon cette démarche reste à
délimiter. Les premières tentatives tendent à indiquer
que sont en premier lieu visés les domaines dans lesquels les concepts
peuvent être décrits en intension par une liste de traits,
ce qui est notamment le cas des domaines faisant l’objet de descriptions
formelles tels que les mathématiques ; ou les domaines dans
lesquelles les dimensions procédurales sont centrales, ce qui est
notamment le cas des dispositifs techniques.
Nous ne souscrivons pas à l’affirmation que la simple navigation
dans un ou plusieurs réseaux sémantiques soit une aide
pédagogique suffisante. Comme n’importe quel cours, et quelle que
soit la forme qui lui est donnée, il s’agit de la mise à
disposition de l’étudiant du rapport que l’enseignant
entretient avec le savoir qu’il cherche à transmettre. Les
réseaux sémantiques ne sont pas forcément triviaux
d’emblée et n’ont pas nécessairement vocation à
l’être. Ils sont un moyen pour l’enseignant d’expliciter
la structuration de connaissances et d’engager l’étudiant
dans la reconstruction de ces relations, relations qui seront essentielles dans
la future utilisation des connaissances qu’il vient
d’acquérir. L’interface va donc le conduire à
s’interroger (pourquoi l’enseignant ne met-il pas les variables
indépendantes avec les variables observées alors qu’on peut
contrôler une variable a posteriori ?). L’explicitation des
réseaux sémantiques peut constituer une aide à
l’apprentissage dans le sens où elle donne à voir et
à comprendre qu’au-delà des concepts et des
procédures, la structuration des connaissances est une composante
importante pour maîtriser son sujet.
Dans leur forme actuelle, les réseaux présentent une
complexité importante. Il serait intéressant de la réduire
et si possible de l’adapter au niveau d’acquisition de
l’étudiant. Cette idée attirante, quoique difficile à
mettre en œuvre en pratique, pourrait consister à présenter
tout ou partie des concepts sous la forme d’un réseau
sémantique correspondant au niveau de l’apprenant et de le faire
tendre vers le réseau de l’expert-enseignant au fur et à
mesure de sa progression dans le cours. Cette démarche demande le
développement d’outils de diagnostic. Nous disposons bien sûr
de méthodes pour identifier la structuration des connaissances d’un
sujet sur un domaine particulier (les travaux sur la catégorisation et le
formalisme PROCOPE en font partie), qui devront
être adaptées à ce contenu disciplinaire et au cadre de
cours en ligne pour l’adapter au contexte de l’enseignement à
distance via le Web. Ce défi difficile vaut la peine d’être
relevé car il ouvre la perspective d’une progression
individualisée au sein de l’EIAH.
Une question plus théorique associée concerne les
mécanismes d’apprentissage eux-mêmes. De notre point de vue,
apprendre consiste à acquérir des concepts (et des
procédures quand il y a lieu) mais aussi à les structurer
correctement (c’est-à-dire conformément à la
structuration d’un expert-enseignant). Ce point de vue n’est pas
très original et finalement assez partagé dans le domaine de la
psychologie. Cependant, sauf peut-être dans des domaines très
particuliers, on connaît encore mal les conditions d’acquisition
d’un nouveau concept et d’intégration aux connaissances
antérieures, pas plus que ne sont claires les conditions dans lesquelles
un sujet est conduit à restructurer ces connaissances. Cela n’est,
bien entendu, pas sans lien avec l’utilisation des connaissances et les
conditions dans lesquelles elles peuvent être réinvesties voir
généralisées. Ainsi, on pourrait être surpris de voir
des étudiants se débattre avec l’inférence
statistique alors qu’elle est essentiellement une
généralisation de la procédure consistant à situer
un individu dans une distribution et que c’est bien comme cela que
qu’on présente l’inférence statistique dans leur
cours. Manifestement, le saut conceptuel consistant à voir un
résumé statistique comme une observation et un protocole comme un
individu statistique à situer dans un ensemble de protocoles possibles
est très difficile à faire. Comment favoriser le changement de
point de vue ? Dans quelles conditions peut-il avoir lieu ?
Au-delà du problème pédagogique particulier lié
à ce cours de statistiques, ce sont donc bien les conditions
d’acquisition et d’utilisation de connaissances structurées
qui sont ici interrogées.
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A
propos des auteurs
Emmanuel SANDER est maître de conférences en
psychologie cognitive à l’université Paris 8 et membre du
laboratoire Cognition et Usages. Ses recherches portent sur le rôle des
connaissances antérieures sur la compréhension, la
résolution de problèmes et l’apprentissage, avec des
applications dans le domaine des apprentissages scolaires et en ergonomie
cognitive des interfaces.
Adresse : Laboratoire Cognition et Usages
Département de Psychologie. Université
Paris 8. 2 Rue de la Liberté. 93526 Saint-Denis Cedex 02,
France
Courriel : sander@univ-paris8.fr
Jean-Marc MEUNIER est maître de conférences
à l’Institut d’Enseignement à Distance de
l’Université de Paris 8. Responsable du DEUG, il enseigne la
psychologie cognitive et les statistiques aux étudiants de DEUG et de
Licence. Ses thèmes de recherches sont la sémantique de
l’action et des états mentaux abordés notamment sous
l’angle de la structuration des connaissances. Il s’intéresse
également au rôle et à la variablité de la
structuration des connaissances dans le partage des connaissances.
Adresse : Laboratoire Cognition et Usages
Département de Psychologie. Université
Paris 8. 2 Rue de la Liberté. 93526 Saint-Denis Cedex 02,
France
Courriel : jmeunier@univ-paris8.fr
Christelle BOSC-MINÉ finalise actuellement une
thèse de doctorat sur la résolution de problèmes
nécessitant un raisonnement hypothético-déductif. Elle est
chargée du cours de Statistiques Descriptives pour Psychologues à
l’IED-Paris 8 (Institut d’Enseignement à Distance) et
travaille au sein du Laboratoire Cognition et Usages de
l’Université Paris 8 sur un projet d’aide à
l’apprentissage par l’acquisition de relations conceptuelles, dans
le domaine des statistiques pour psychologues.
Adresse : Laboratoire Cognition et Usages
Département de Psychologie. Université
Paris 8. 2 Rue de la Liberté. 93526 Saint-Denis Cedex 02,
France
Courriel : christelle.bosc-mine@iedparis8.net
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