Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 11, 2004
Rubrique

Le B2I en collège

Michel LAISNE IUFM Nord / Pas-de-Calais

RÉSUMÉ : À mi-parcours, nous présentons ici partiellement les premiers résultats d’une recherche entreprise à l’IUFM Nord - Pas-de-Calais en septembre 2002 sur "les nouveaux modes de validation et leurs incidences sur la conception et la mise en œuvre de dispositifs de formation".Après avoir précisé le cadre de cette recherche (objectifs, hypothèses, méthodologie), nous expliciterons notre protocole d’enquête en collège en l’illustrant par l’étude du cas d’un des établissements observés.Suivra une première synthèse des observations recueillies : quelles constantes et quelles spécificités apparaissent au travers des entretiens réalisés ?Nous confronterons pour conclure les résultats obtenus à nos hypothèses de départ.

1. Cadre : une recherche sur l’ingénierie

L'origine de cette recherche repose sur le constat de convergences entre les principes directeurs du B2i dans l’enseignement scolaire, et ceux qui fondent la formation aux TICE dans la formation des enseignants.

Institué en novembre 2000], le Brevet informatique et internet (B2i) crée une certification des compétences acquises par les élèves dans la maîtrise des outils multimédias et du Web. Il comporte actuellement : un niveau 1 intégré aux programmes de l'école primaire depuis la rentrée 2002, un niveau 2 qui concerne les élèves de collège et de la classe de seconde, et un niveau 3 expérimental2 pour les lycées, lycées professionnels et centres de formation d'apprentis.

Le B2i constitue dans l'enseignement scolaire un domaine "original" par quatre caractéristiques : des compétences définies sous la forme d’une liste, à valider selon un processus cadré mais qui reste à construire, qui ne sont pas rattachées à une discipline, et qui ne font pas l’objet d’un horaire d’enseignement spécifique.

En IUFM, on remarque pareillement une tendance à réduire les enseignements TICE spécifiques au profit d’une intégration dans toutes les composantes de la formation, et en même temps l’apparition de grilles de compétences professionnelles.

S’agissant de TIC, ce constat renvoie au débat permanent sur l’intérêt qu’elles constituent ou pas une discipline d’enseignement. Plus généralement, on observe dans d’autres domaines (comme la maîtrise des langages, de l’espace) l’émergence du même phénomène, en lien au projet que les compétences se construisent en "continu" et en situation.

1.1. Objectifs

Autour de la question principale : quelle ingénierie pour la construction de compétences par l’apprenant dans les domaines qui ne relèvent pas des disciplines d’enseignement ?, la recherche vise plus particulièrement trois objectifs :

  • Décrire comment se mettent en place concrètement ces dispositifs d’enseignement et de formation

  • Comprendre les dynamiques qui les sous-tendent

  • Dégager les axes et les principes qui permettent de dépasser les dynamiques spontanées pour les maîtriser dans une démarche d’ingénierie de "dispositifs ouverts"

1.2. Hypothèses

Nous avons formulé a priori trois hypothèses :

  • L’hypothèse de réponses "spontanées" diverses (coopération entre enseignants, collaboration sous l’impulsion d’un responsable, répartition institutionnelle, etc.).

  • L’hypothèse que ces formes spontanées ne peuvent être efficaces qu’au niveau micro (une classe, un groupe) et qu’elles ne peuvent se maintenir que dans une mise en œuvre nécessairement partielle et en définitive discriminante (tous les élèves de l’établissement ne bénéficient pas du même accès à la formation).

  • L’hypothèse que seuls des outils et des procédures "standardisés" peuvent aboutir à des dispositifs à la fois efficaces par rapport aux apprentissages visés mais aussi généralisés à l’ensemble de la population des apprenants.

1.3. Méthodologie

En continuité avec nos précédentes activités de recherche3, notre démarche reste centrée d’une part sur l’observation des dynamiques d’acteurs et d’autre part sur l’analyse descriptive des dispositifs (organisation, contenus, modalités de validation, etc.).

Nous avons prévu des enquêtes de terrain (dans les collèges de la région, dans les centres IUFM formant les PE2), par questionnaires et interviews d’acteurs

2. L’enquête en collège

Durant l’année scolaire 2003 - 2004, des entretiens anonymes ont été réalisés auprès des principaux dans six collèges de l’Académie de Lille. Notre but était de recueillir des premières observations sur la mise en œuvre du B2i au sein d’un établissement, et sur les évolutions perçues par rapport à l’année précédente.

Ces entretiens étaient complétés par le recueil de données sur la population (nombre d’élèves / milieux sociologiques / nombre de sections / nombre d’enseignants) et l’équipement (nombre de machines accessibles aux élèves / implantations : CDI, salle de cours, machines dispersées / existence d’un réseau / utilisation éventuelle d’applications spécifiques) des établissements visités.

2.1. Axes de questionnement

D’une durée d’une heure et enregistrés, les entretiens étaient organisés autour de cinq axes (avec pour conclure des propos libres) :

  • La validation du B2i : y-a-t-il validation du niveau 1 ? validation du niveau 2 ? qui s’en occupe ? avec qui ?

  • Sa mise en œuvre : qui est chargé de la mise en œuvre ? comment se fait la mise en œuvre ? sur quelles machines ? comment les profs s’y prennent-ils ? cela a-t-il toujours été ainsi ?

  • Les supports utilisés : y-a-t-il des supports pour le suivi (carnet individuel, système informatisé...) ? Avec quel type de référentiel travaillent les élèves (texte du BO ou version adaptée, réécrite...) ?

  • La formation / information dispensée : y-a-t-il eu une formation PAF autour du B2i dans le collège ? des journées de travail d’initiative locale ? qui en a été à l’origine ? sous quelle forme ?

  • Les principes directeurs perçus : spontanéité ? pilotage ? délégation ?

2.2. Le cas du Collège A

Nous ne présenterons pas ici les résultats des six établissements où nous avons enquêté, mais simplement à titre d’exemple le cas du collège A.

Accueillant 650 élèves répartis en 28 classes, le collège A connaît un recrutement très différencié, notamment face aux TIC : du fils d’ingénieur qui pianote couramment sur le Net à l’enfant de milieu rural qui n’a encore jamais vu un ordinateur.

Le B2i y a été introduit en 2002 - 2003 : validation du niveau 1 en sixième / cinquième (à la demande de l’élève, dans trois disciplines) devant déboucher en 2003 - 2004 sur une validation du niveau 2. Aujourd’hui tout est arrêté. À terme, il est envisagé que la validation du B2i s’effectue au moyen d’une évaluation sommative dans le cadre du Brevet Blanc.

Ce recul de la mise en œuvre du B2i est à rapporter à la forte croissance des équipements qu’a connue l’établissement : de 15 postes il y a trois ans, à 80 postes en réseau au moment de la visite. On observe en effet que l’accroissement du matériel s’accompagne d’une évolution des pratiques : les usages se tournent vers les TICE disciplinaires et les fichiers B2i ne sont plus renseignés.

Plus globalement, l’arrêt marqué dans le développement du B2i apparaît en lien direct à trois observations :

  • Le dispositif de validation du B2i qui a été expérimenté est perçu comme "pesant"

  • La mise en place du B2i n’a pas toujours constitué une priorité pour la Direction de l’établissement

  • L’utilisation des TICE dans la discipline, elle-même chronophage ne permet pas qu’on s’implique en sus ailleurs

Le parallèle avec l’arrêt à l’école des activités de programmation en Logo s’impose ici ; on y retrouve les mêmes motifs principaux :

  • Ces activités apparaissaient comme coûteuses en comparaison du profit escompté.

  • Comme d’autres domaines d’activités TICE, l’initiation à la programmation a occupé une place variable dans les instructions officielles

  • Le recours préconisé à des applications logicielles dans les activités d’enseignement (outils bureautiques, didacticiels...) a réduit les derniers bastions : on ne pouvait s’investir valablement dans les deux dimensions.

3. Première synthèse des observations

Une première investigation a consisté à repérer à travers les entretiens, d’une part des constantes : déclarations communes à tous (ou presque tous) les chefs d’établissements interrogés ou propositions concernant la totalité (ou la quasi-totalité) des témoignages recueillis, et d’autre part des spécificités : les propos tenus qui ne sont pas repris, ou rarement repris, par les autres responsables.

3.1. Constantes

Nous présentons en premier lieu les déclarations, par ordre décroissant de fréquence de citation, puis les propositions vérifiées.

  • Le B2i niveau 1 n’est pas délivré à l ’Ecole.

Souvent abordée en lien avec l’hétérogénéité des élèves par rapport aux TIC à l’entrée du Collège, la question des TIC à l’école donne lieu à des jugements sévères. Un élément est sûr : le constat partagé dans tous les collèges observés qu’aucun élève ne possède en entrant au collège le B2i de niveau I.

  • Le B2i est souvent référé à "ses principes fondateurs" (l’esprit du B2i).

Les intervenants associent fréquemment le B2i à des principes conditionnant sa bonne conception (présence nécessaire d’une dimension "autoévaluation") :

C’est l’élève qui sollicite qu’on l’évalue lorsqu’il estime avoir acquis une compétence nouvelle) ou son bon fonctionnement (l’équipe est tout entière concernée).

  • Les "feuilles de position B2i4" sont réécrites à l’interne.

Unanimement encore les "feuilles de position B2i" sont estimées inadaptées (certains les trouvent trop difficiles pour les élèves, d’autres les jugent même peu explicites pour des professeurs non avertis). Elles ont donc été réécrites à l’interne du collège ; dans un cas de manière collective en tant que procédure d’appropriation

  • La gestion des validations n’est pas informatisée.

Là où le B2i est mis en place, la gestion des validations reste "manuelle", en général parce qu’il n’y a pas consensus sur une application (il en existe de nombreuses : Arbra.net, B2iKit, EvalB2i, GB2i, GIBII...), une fois parce que l’application acquise s’est révélée à l’usage trop lourde (trop d’opérateurs requis).

  • Les freins à la mise en œuvre sont réels.

La plupart des chefs d’établissement mettent en avant des freins à une mise en œuvre plus active. Soit en lien à l’objet lui-même (et ses principes attachés) : validation d’une compétence chronophage / dispositif de validation (validation à la demande de l’élève, différée, dans différents contextes) lui-même pesant et difficilement généralisable à l’ensemble des élèves. Soit en lien aux acteurs : professeurs réticents, voire incompétents, certains admettant mal qu’un élève peu brillant au plan disciplinaire puisse avoir plus de compétences qu’eux en TIC / élèves peu autonomes, peu motivés / principal instable dans ses priorités (cf. supra : cas du collège A)...

  • L’équipement, l’usage des TICE, la mise en œuvre du B2i apparaissent comme des variables relativement indépendantes :

On observe dans le Collège A un développement important des équipements et un développement parallèle des usages, mais la mise en place du B2i est stoppée. Dans le collège B, bien équipé, l’usage des TIC reste modéré et la mise en œuvre du B2i locale. Dans le collège F, bien équipé, le B2i n’est pas mis en place, etc.

Jamais le manque d’équipement n’a été cité comme un obstacle.

  • Les dérives semblent inéluctables à terme.

Dans les collèges où la mise en place est la plus ancienne, la pérennisation ne semble possible qu’au prix de dérives par rapport aux principes fondateurs : B2i délivré après une évaluation sommative en troisième, à l’occasion du Brevet Blanc pour le collège A, livrets individuels remplacés par une "grille classe" complétée par les enseignants pour le collège F.

3.2. Spécificités

Elles sont également ordonnées par fréquence de citation : double occurrence puis propos isolés.

  • La réussite est conditionnée à une planification de la mise en œuvre.

Pour deux des chefs d’établissement interviewés, une mise en place efficace du B2i passe nécessairement par une planification, c’est-à-dire par la prévision des étapes successives de son extension. L’un la conçoit en lien aux catégories d’acteurs concernées (choix d’un professeur référent, appropriation par l’ensemble des enseignants, appropriation par les élèves), l’autre en lien aux charges prises en compte (le niveau 1 d’abord en sixième / cinquième, avec des volontaires, puis pour tous, ensuite le niveau 2 en quatrième / troisième...).

  • La réussite est conditionnée à l’attribution de moyens.

Pour deux responsables pareillement, parvenir à mettre en place et à faire vivre le B2i suppose une dotation supplémentaire : en moyens humains (personnes ressources TICE dans l’établissement) et en heures pour les enseignants.

  • Les réticences des enseignants sont rapportées à leur faible motivation à expliciter leurs pratiques.

Un principal commente amèrement une Formation d’Initiative Locale : "les enseignants ont l’impression de perdre leur temps à reformuler les items du B2iI, alors que ce n’est pas du tout une perte de temps" "c’est comme pour le reste, on ne prend pas assez de temps à expliciter le où je vais ? pourquoi je fais ? Comment ?". Il y voit un obstacle majeur pour l’intégration du B2i comme outil d’évaluation.

  • Par sa dimension "transversale" le B2i est mis en relation à la maîtrise du langage.

Un autre principal évoque "le temps où on avait parlé de lecture pour tous, dans toutes les disciplines" et l’incitation forte à l’époque à ménager un quart d’heure de lecture dans chaque séquence. Il interroge malicieusement : "faut-il instituer un quart d’heure B2i ?"

  • L’introduction du B2i est envisagée en tant qu’innovation.

Pour un intervenant, la mise en place du B2i "pose de façon concrète la question de l’innovation dans les structures scolaires". Il considère que "toutes les conditions sont réunies pour générer des résistances" (une circulaire touffue, des compétences décrites de manière technique, une dimension autoévaluation ...) "même si tout le monde s’accorde sur les visées". Et il ajoute : "en plus si la demande est trop pressante..."

  • Il restera un noyau de population en échec.

Un professeur (choisi comme coordinateur et invité à l’entretien) observe un manque d’investissement chez certains élèves (difficulté à se prendre en charge en TIC ou à se perfectionner - en dehors des cours - avec l’aide éducateur) ainsi que parfois une absence d’intérêt pour ce domaine. Il évoque aussi les problèmes d’accessibilité familiale et l’implication variable des enseignants en TICE. Il conclut sur la prévision que même lorsque le dispositif sera généralisé, une partie des élèves sortira du collège sans posséder le B2i.

4. Conclusion provisoire

L’analyse des entretiens conforte nos deux premières hypothèses. On observe dans les collèges visités des tentatives de mise en place du B2i, les unes planifiées, les autres spontanées, toutes partielles, c’est à dire n’engageant qu’une partie des enseignants et ne s’appliquant qu’à une partie des élèves. Il apparaît en outre qu’au fil du temps les premières tentatives se heurtent à des difficultés de pérennisation ou d’extension : certaines périclitent, d’autres s’écartent des principes fondateurs du B2i.

Quels outils et quelles procédures "standardisées" permettraient le déploiement de dispositifs à la fois efficaces et généralisés à l’ensemble de la population des apprenants ? Les investigations menées n’apportent concernant notre troisième hypothèse que peu d’éléments.

Nous rejetons une procédure qui consisterait à proposer des situations exemplaires : quelques "bons" modèles de fonctionnement, quelques modèles "défectueux".

Nous voyons quelques pistes dans certaines options mentionnées : par exemple la réécriture des compétences comme procédure d’appropriation par un collectif, par exemple la production d’une grille mettant en correspondance les compétences et les disciplines dans lesquelles elles peuvent être validées, par exemple encore le principe d’une planification co-définie

Au terme de cette étude et au delà de notre cadre de recherche une préoccupation s’installe : que la difficulté de mise en place d’un dispositif de validation des compétences du B2i n’occulte pas la question essentielle de la formation à ces compétences.

Références

Béziat J. (2004), Le B2i : un outil transparent pour un contenu transparent, in André B., Baron G-L. & Bruillard E. (dir.), Traitement de texte et production de documents : questions didactiques, Paris, INRP / Université Paris XII – Gediaps.
Deceuninck J., Laisne M., Portugal A., Szymczak Y. (2003), Du nanoréseau à la classe pupitre : 25 années d'innovation dans le Nord / Pas-de-Calais, Journées de l’innovation (Foix, janvier 2003), actes sur cédérom
Deceuninck J., Laisne M. (2002), Nouvelles compétences et changements de rapports au métier liés à la mise en place d’un nouveau dispositif de formation TICE,  2ème colloque inter-universitaire : Former les enseignants et les formateurs par l’enseignement supérieur innovation dans les dispositifs, les modalités et les pratiques, IUFM de Reims, IUFM Nord / Pas-de-Calais, Université de Reims, Université Charles de Gaulle – Lille 3, USTL Lille 1 (Reims, 19-20 septembre 2002), actes sur cédérom
Laisne M., Poisson D. (2004), Innover en formation des maîtres et formateurs d’adultes , actes des journées IUFM – GERICO – TRIGONE (Arras - 31 mai et 1er juin 2001), cahier du CUEEP n° 54
Laisne M. (1998), L’informatique dans la formation initiale des enseignants. Cas de la formation des professeurs d'école stagiaires à l'IUFM Nord / Pas-de-Calais, Thèse sous la direction de Daniel Poisson, USTL

A propos des auteurs

Michel LAISNE est Maître de conférence en Sciences de l'Education à l'IUFM Nord / Pas-de-Calais où il est chargé de mission à la Direction des TICE, responsable du pôle "Formation". Son travail de recherche porte sur l'ingénierie de formation et les TICE, avec depuis 2002 un centrage sur les nouveaux modes de validation (portefeuilles de compétences) et leurs incidences sur la conception et la mise en œuvre de dispositifs d’enseignement et de formation. Il participe à l’Equipe en projet INRP – IUFM 4 .b "appropriation des outils TIC par les stagiaires d'IUFM et effets sur les pratiques professionnelles". Il est membre associé du laboratoire TRIGONE de l'Université des Sciences et Technologies de Lille (USTL).

Adresse : IUFM Nord / Pas-de-Calais, Direction, 2 bis rue Parmentier, 59650 Villeneuve d'Ascq

Courriel : michel.laisne@lille.iufm.fr


[1] Encart BO n° 42 du 23 novembre 2000

[2] Défini par la circulaire du 25 avril 2002 adressée aux Recteurs

[3] Recherche « Conditions d’émergence de nouveaux modes de formation des enseignants : vers une ingénierie des formations ouvertes à l’IUFM" développée à l’IUFM Nord / Pas-de-Calais entre 1998 et 2002

[4] BO n° 42 du 23 Novembre 2000, encart : «  Brevet informatique et internet (B2i) école – collège", Annexes