Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 10, 2003 |
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Pour une approche ergonomique de la conception
d’un dispositif de formation à distance
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Degré de nouveauté Format |
Nouvelle |
Reliée à des connaissances antérieures |
Révision |
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modifiées |
non modifiées |
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Savoir-faire |
Explication puis exercices
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Prise de conscience (remise en cause) puis résolution de problèmes puis explication |
Exercices avec leur solution, puis sans leur solution |
Exercices répétés, entraînement |
Méthode |
Résolution de problèmes puis explication |
Résolution de problèmes puis explication |
Pratique régulière, projets impliquant une mise en application |
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Savoir conceptuel |
Explication puis illustrations |
Prise de conscience (remise en cause) puis explication |
Prise de conscience puis explication |
Tâches de compréhension, d’explication, de résolution de problèmes |
Savoir technologique |
Élaborer un questionnement de «à quoi ça sert» et «dans quel contexte» puis «qu’est-ce que c’est», «de quoi c’est composé» et «comment ça fonctionne». |
Prise de conscience, explication, puis pratique |
Pratique régulière |
Tableau 1 : Quelques tâches d’apprentissage correspondant à différents objectifs de formation
La formation à distance permet, mais plus difficilement que lors de formations présentielles, une régulation des tâches. En présentiel en effet, le formateur adapte son propos, son débit, ses arguments et démonstrations aux apprenants en fonction de multiples indices verbaux ou non-verbaux produits par eux. La régulation de l’apprentissage à distance devrait pouvoir notamment prendre en compte les erreurs, les progrès, les difficultés et les intérêts de l’apprenant, ce qui n’est pas sans poser de problèmes [Oliver00].
Est-ce qu’un tuteur répondra à distance aux questions, aux difficultés ?
Est-ce qu’un tuteur sur le lieu de travail ou à l’université répondra à distance aux questions, aux difficultés ?
Y aura-t-il un dispositif de régulation interne au dispositif (QCM, analyseur d’activité) ?
L’entrée et la sortie de la formation doivent proposer un dispositif d’évaluation des connaissances. Les résultats communiqués très rapidement à l’apprenant révèlent entre autres les aspects positifs de l’évaluation. L’évaluation doit être fonction du format de la connaissance évaluée. Une absence d’évaluation ou une évaluation décalée par rapport aux objectifs d’apprentissage dérégule l’apprentissage et affecte généralement la motivation des apprenants [Galusha98].
L’évaluation est-elle fondée sur la prescription de tâches de reconnaissance (QCM, questionnaires fermés) à l’apprenant ?
Sur des tâches de rappel (questions ouvertes) ?
Sur de la résolution de problème ?
Sur de la détection d’erreurs ?
Sur des tâches de production ?
En ce sens et en conclusion, le scénario didactique n’exige pas un degré d’innovation sous prétexte que l’on utilise les nouvelles technologies. En effet, il convient de distinguer innovation pédagogique et innovation technologique. Par ailleurs, le concepteur devra utiliser pleinement les ressources du document électronique pour optimiser la formation à distance.
Le scénario d’utilisation définit l’ensemble des actions possibles pour l’utilisateur au sein du dispositif de formation, selon les objectifs d’apprentissage visés par le concepteur, en répertoriant tous les accès possibles autorisés par l’architecture générale des contenus.
Selon notre approche, dans le domaine de l’ergonomie cognitive, il se compose de deux aspects indissociables, l’un plus orienté vers la fonctionnalité même du dispositif, l’autre la réalisation du scénario didactique. Cette interaction d’utilisation et d’apprentissage fut par ailleurs l’objet de travaux [deVries01] répertoriant le mode d’utilisation choisi - linéaire (suivant, retour, menu), exploratoire (sommaire, schémas complexes à entrées), exploration guidée (accès limités selon les parties de modules) - en fonction d’enjeux didactiques. Mais encore, le scénario d’utilisation est un espace où interagissent des composantes (des parties abstraites, concrètes, des enchaînements). Bref, le scénario d’utilisation devrait être (i) cohérent en lui-même (ii) cohérent avec le scénario didactique.
Sur un plan purement formel, les critères de cohérence et simplicité prédominent afin de répondre à une logique interne de déplacements possibles. Derrière la trivialité de cette affirmation, est en jeu une logique implicite de déplacement. En effet, si certains travaux en ergonomie [ScapinBastien97] fournissent une classification fort utile de critères propres à garantir une interactivité de qualité, il reste encore à considérer un stock d’informations navigationnelles que l’utilisateur élabore lors de son parcours sur les différentes interfaces. En référence aux théories de l’apprentissage implicite [PerruchetNicolas98], l’on peut affirmer que certaines données relèvent d’une mémorisation implicite de données perceptives de nature procédurale. La cohérence et la simplicité corrèlent en effet deux aspects, l’un fonctionnel, identifiable par classification des parcours et des unités structurants les contenus, l’autre, à propos duquel les recherches sont loin d’être exhaustives, de nature plus implicite, renvoyant à une logique interne de prélèvement d’informations navigationnelles (visuelles et/ou verbales).
Quel est le niveau de profondeur et largeur de l’espace de navigation [Tricot95] ?
Quelle est la nature des liens textuels ? Quelle est la relation entre le type de phrases et la position spatiale dans le lien de l’information à prélever [ColombiBaccino03] ?
Les résultats de différents travaux en ergonomie n’englobent pas la totalité des données perceptives liées à un apprentissage procédural de la navigation. Un point de vue dans le domaine de la psychologie cognitive permet de prendre en compte des données bien plus fines.
Dans la pratique, les concepteurs qui ressentent ce besoin de construire une logique implicite font souvent appel à des métaphores. Une métaphore est un ensemble organisé d’actions possibles via un autre ensemble organisé d’actions possibles. Des études ergonomiques ont montré que l’utilisation de métaphores liées à un environnement socio-professionnel est efficace et utile à l’utilisateur pour installer des repères de navigation [Barrié00]. Par exemple, la métaphore des pièces où des rayons d’une bibliothèque peuvent signifier à l’utilisateur le degré de profondeur de ses déplacements (recherche générique, par thème dans une pièce, recherche spécifique sur un rayon, un ouvrage). Néanmoins, les métaphores utilisées ont des limites [Nielsen00] et l’univers de référence ne s’adapte pas toujours à une exploitation virtuelle. L’intérêt des métaphores étant d’exploiter un savoir référentiel, culturel à partir duquel, grâce à des habitus déjà élaborés, se construit une logique singulière au document.
Dans tous les cas, notre propos vise à défendre, non les métaphores, mais une certaine transparence des fonctionnalités de l’outil afin que l’apprenant puisse se consacrer exclusivement à l’acquisition de connaissances sans surcharge cognitive de nature procédurale tout comme, par analogie, lors d’un dialogue avec un interlocuteur dans notre langue maternelle nous occultons l’aspect grammatical pour accéder directement au sens de l’énoncé. Et si notre interlocuteur ne respecte pas certaines règles normatives, nous commençons alors à prendre conscience de problèmes qui font écran, en se plaçant au premier plan, à un accès direct et immédiat au contenu. Ainsi, un scénario d’utilisation serait, dans l’idéal, transparent pour l’utilisateur.
Comment concevoir et réaliser un scénario d’utilisation quasi-transparent, fondé sur un ensemble limité de fonctionnalités simples, au service de la finalité du dispositif : l’apprentissage ?
Les utilisateurs sont souvent sensibles à deux qualités des dispositifs informatiques : la flexibilité d’une part, c’est-à-dire la faculté du système à s’adapter à des utilisateurs différents faisant des choix différents, la protection contre les erreurs d’autre part, c’est-à-dire le fait que le système ne provoque pas d’erreurs d’utilisation, de pannes, d’impasses, etc. [ScapinBastien97].
L’utilisateur disposera-t-il d’un historique de son parcours (comme cela se pratique couramment par un changement de couleurs sur le sommaire des pages déjà visitées) ?
Si le dispositif est un environnement de type web, l’utilisateur disposera-t-il d’un carnet de signets, disposés spatialement ou linéairement [Waterworth02] ?
Par ailleurs, des tests d’utilité d’un dispositif de formation initiale à distance que nous avons conduit [BardinAl03] ont pu montrer que toute erreur d’utilisation perturbe considérablement l’apprentissage. Alors que l’on sait communément que des tests rapides d’utilisabilité, par 4 à 5 utilisateurs "réels", permettent de repérer environ 95 % des erreurs d’utilisation [Nielsen00] et devraient être pratiqués avant la mise en service de chaque module de formation. Un dialogue avec l’utilisateur, par le biais de la messagerie, permet d’être informé de tout «bug» rencontré. La correction d’une erreur requiert quelques minutes pour le concepteur alors que non rectifiée, elle trouble l’apprentissage d’un nombre important d’utilisateurs, elle surcharge inutilement la tâche en cours et occasionne, si elle se répète, un manque de motivation [AmielAl02] ; ces quelques exemples s’appuient sur notre pratique d’évaluation des dispositifs de formation à distance.
La conception de l’interface regroupe des aspects différents, avec des finalités différentes. Les travaux concernant la conception collective, dont une approche en ergonomie cognitive [Visser02], demandent de prendre en compte lors de la conception les propriétés (i) du problème à résoudre (ii) les représentations et les processus de résolution mis en œuvre pour le résoudre (iii) la solution développée. En nous limitant à cet enchaînement raisonné d’un problème de conception, nous souhaitons poser le problème de la représentation de la finalité à atteindre lors de la conception de l’interface.
Si d’un point de vue ergonomique, l’interface est un dispositif visuel et sonore pour représenter les fonctionnalités (utilisabilité) du dispositif de formation (navigationnelles), le problème à résoudre sera envisagé comme la capacité d’un ensemble d’affordances à suggérer une action pertinente à l’utilisateur. De plus, l’interface est une configuration visuelle et sonore qui doit être perçue comme agréable, stable, facile à utiliser, etc.
Relativement à cette représentation de la conception d’une interface, la charte graphique sera rédigée, disponible pour tous les acteurs de l’équipe de conception et complétée lors de l’extension du dispositif de formation. Elle a alors pour objectif de répertorier tous les objets graphiques et sonores, leurs fonctions, leurs emplacements, leurs formats, leurs couleurs. Elle permet, lors de la conception de nouveaux modules de formation, de réutiliser exactement les mêmes codes d’utilisation, la même structuration de l’espace. Chaque item nouveau est inséré s’il répond à un besoin spécifique au module en question et s’il n’est pas déjà mis en forme dans un autre contexte similaire.
Ce travail de conception aboutit donc à une "interface abstraite" c’est-à-dire à un ensemble de décisions qui vise à uniformiser l’aspect visuel et sonore des fonctionnalités. Cette interface abstraite peut se traduire par une maquette ou un prototype qui sera repris systématiquement afin de stabiliser les outils d’utilisation.
L’affordance est la capacité suggestive d’action d’un objet, d’un bouton, d’une forme. Elle fonctionne par analogie immédiate ou secondaire, comme la flèche vers la droite qui suggère « d’atteindre la page suivante ». L’utilisateur fait l’hypothèse a priori que le concepteur a essayé d’être pertinent lors de la conception de l’interface. L’affordance est donc la manifestation d’une sorte de contrat implicite entre le concepteur et l’utilisateur, qui, tout deux, cherchent à rendre l’interaction la meilleure possible. Si ce contrat est rompu par le concepteur, l’interaction ne fonctionne plus. Le concepteur recherche les affordances les mieux connues du public auquel il s’adresse [Boy03].
La reconnaissance est le processus fondamental de fonctionnement de la mémoire et de construction du sens par l’utilisateur. L’utilisateur mémorise un code de fonctionnement, réutilise ce code lors d’une nouvelle interface graphique et l’enrichit. Cette mémorisation de l’utilisation du dispositif visuel n’est efficace que si elle est parfaitement cohérente sur la globalité du dispositif.
Comment indiquer l’état du système et les actions possibles ?
Par quels moyens va-t-on rendre la signalétique homogène et cohérente ?
Les relations entre les actions possibles et leur représentation sont-elles uniques et bijectives (toute action possible dans le dispositif a un résultat et un seul ; est réversible d’une façon et d’une seule ; est représentée au niveau de l’interface d’une façon et d’une seule) ?
La cohésion est maintenue par la récurrence de codes visuo-graphiques (d’utilisation, de mise en forme matérielle des textes), elle permet d’assurer une meilleure perception de la prévisibilité des tâches d’interaction, et de la prévisibilité des contenus associés à une focalisation de l’attention adéquate [ScapinBastien97].
Comment garantir une stabilité visuelle récurrente d’une page-écran à une autre ?
Comment valoriser les contenus par des effets de structuration visuelle ?
On peut ensuite faire des choix esthétiques pour se distinguer visuellement et se centrer plus sur une stratégie de communication.
L’un des premiers critères ergonomiques de [ScapinBastien97] est celui du groupement et de la distinction. La localisation, le format, les couleurs sont utilisés comme des repères. Le regroupement d’items les apparente à une même fonction, un même thème, etc. Un écran bien structuré rendra la lecture plus efficace et permettra de mieux comprendre la relation de dépendance entre les éléments.
Comment segmenter l’espace à l’écran pour que chaque partie soit reliée à une fonction précise ?
Distingue-t-on les zones activables (fonctionnalités) et les zones inertes (connaissances) ?
Comment établir une structure visuelle de l’écran stable et unifiée ?
Comment organiser les types d’informations (titres, sous titres, légende, etc.) selon une hiérarchie spatiale ?
Comment identifier l’institution de formation à travers le design et la cohésion visuelle ? Comment rendre compte d’une image de marque de cette institution ?
La mise en forme matérielle du texte n’a pas que des incidences fonctionnelles, elle en a aussi sur les stratégies de lecture et la compréhension [Virbel89].
Ainsi, pour représenter des connaissances, le concepteur dispose de quelques formats classiques : textes, images, sons, animations, simulations. Ces formats testés sont en quelque sorte des préconisations pour une lecture optimale sans prendre en compte le contenu traité mais le degré d’attention possible pour une lecture à l’écran multimodale.
Quelle va être la mise en forme matérielle du texte ? Quels vont être les choix de police, couleur de police, pas, caractères spéciaux, énumérations, longueurs de textes, fenêtres escamotables, etc. ? [CaroBétrancourt98].
Quelles images vont être utilisées ? Avec quelles fonctions (illustrative, descriptive, etc.) et selon quelles modalités de disposition vis-à-vis des textes ? [TardieuGyselink03]. Comment permettre à l’utilisateur que son attention ne soit pas partagée entre le texte et l’image ?
Quels sons vont être utilisés ? Avec quelles fonctions, avec quelles relations avec les textes et les images ? [MorenoMayer00], [TindallFordAl97].
Quelles animations vont être utilisées ? Avec quelles fonctions, pour représenter quels contenus ? [Morrison02]. Les présentations audiovisuelles seront-elles simultanées ou séquentielles ? [MayerMoreno02]. Ce qui ne sera pas animé est-il secondaire ? [Lowe03].
Les simulations, la réalité virtuelle vont-elles être utilisées ? Pour représenter quels contenus ? [AntoniettiLantoia00], [VinceTiberghien00]. Avec quel degré de réalisme ? [Waterworth02].
Ces différents médias seront-ils intégrés, interférents, redondants ? En fonction de quels apprenants ? [KalyugaAl00], [MorenoMayer02].
L’interface prescrit des actions minimales. Concevoir une interface simple et concise est d’autant plus difficile que le résultat est, au bout du compte, invisible. Le mode de lecture de l’espace textuel peut être séquentiel et proposer une vue synoptique. Si la logique hypertextuelle est privilégiée, les unités d’informations sont décomposées, courtes, consultables à la carte et offrent une diversité de sources. Néanmoins, le fil de la lecture est souvent interrompu et génère une surcharge cognitive. Contrairement, le mode de lecture de la page linéaire préserve la chronologie, évite de décontextualiser l’information mais il n’offre pas de vision globale d’une unité de sens, et pas de choix de consultation différents [Nielsen00].
L’un ou l’autre est à privilégier selon le contenu et à définir dans la charte graphique. Les recommandations sont émises en fonction de tel ou tel type de connaissance à acquérir afin d’uniformiser la mise en forme matérielle surtout lorsque les contenus ou modules proviennent d’auteurs différents. Il est donc nécessaire de classer les types de contenus possibles et d’adapter une mise en forme spécifique en fonction des apprentissages souhaités.
Dans la formation à distance, la communication est détériorée par rapport à une situation de formation présentielle. Cette détérioration peut être partiellement compensée par une plus grande disponibilité, une plus grande précision, plus d’explicitation.
Une définition précise des rôles (apprenant, concepteur, enseignant, tuteur, modérateur, informateur, etc.) dans une situation d’enseignement à distance [PaquetteAl97] permet en effet de gérer et d’anticiper quelques difficultés rencontrées.
Par exemple, un problème d’utilisation qui perturbe l’apprentissage sera transmis au tuteur par l’apprenant et dirigé vers le concepteur (ou développeur) pour rectification. Un problème de compréhension d’un contenu sera soumis à un enseignant, traité et renvoyé au concepteur pour approbation, etc.
La communication, même en présentiel, est fondée sur des interactions verbales [Vion92] qui construisent un échange dynamique et en construction [Brassac01]. Dans la communication à distance, les réajustements, explicitations qui assurent une co-construction conjointe du sens ne sont pas toujours effectives. Pour pallier cette difficulté, il faut alors avoir une représentation juste de celui avec qui on communique (ses besoins, ses attentes...) et préciser quelques autres points que nous détaillons ci-dessous.
Quelques recherches, comme celle de [FoucaultAl02], commencent à montrer l’importance des communications privées dans un dispositif de formation à distance. Les apprenants échangent leur adresse électronique ou leur numéro de téléphone, et, à l’intérieur ou à l’extérieur du dispositif de formation, communiquent entre eux sur des questions relatives à la formation ou non. Ces réseaux d’accointances, plus ou moins informels, d’une durée de vie parfois limitée, mettent en évidence l’importance des communications privées et publiques dans les dispositifs de formation à distance. Le concepteur doit sans doute veiller à clairement définir ces deux espaces de communication.
La conception ne doit probablement pas réglementer tous les aspects de la communication, loin s’en faut. Il semble en revanche crucial de bien définir la disponibilité des tuteurs (voire plus largement des formateurs). Un contrat de communication classique définit cette disponibilité en termes de moment (par exemple de 8h à 9h), de fréquence (par exemple tous les jours) et de délai ou durée (réponse immédiate, réponse sous 24 heures, etc.). Cette disponibilité peut être réalisée via le téléphone, la messagerie électronique voire le présentiel. Cet aspect de la formation n’entre généralement pas dans les coûts de conception ou de réalisation, mais peut représenter une part très lourde du budget global.
Par ailleurs, les TIC, par exemple les forums, permettent une flexibilité et une évolution de la situation de communication. Certaines expériences de formation à distance ont révélé que les étudiants, au fur et à mesure de leur formation, détournent l’usage du forum, consacré initialement à une communication du formateur vers les étudiants, en espace coopératif [Zangerlu02]. En quelques mois, l’espace de parole occupé à 80 % par le formateur et à 20 % par les étudiants s’inverse et est utilisé pour 80 % par les étudiants et 20 % par le formateur.
Finalement, les dispositifs de formation à distance, pour pallier les difficultés qu’implique l’impossibilité d’être "co-présents" et de résoudre bien des problèmes de façon informelle, mettent en place des dispositifs de communication assez complets. Ces communications peuvent concerner : les contenus de formation et les apprentissages ; l’utilisation du dispositif et les problèmes techniques ; la communication interpersonnelle de type "privée".
L’équipe des concepteurs procède au cours du processus de conception à une évaluation plus ou moins formalisée du dispositif. En fin de processus, par exemple quand la première maquette est disponible, une évaluation plus formalisée est réalisée. Les résultats de ces évaluations sont injectés dans le processus de conception, modifiant celui-ci.
Selon nous, l’évaluation doit porter sur les trois dimensions, l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité, que nous avons définies au début de l’article. Cette évaluation peut être réalisée par inspection ou de façon empirique.
L’évaluation par inspection est réalisée par un « expert », qui applique de façon plus ou moins explicite des critères d’évaluation. Elle peut aussi être réalisée par un non-spécialiste à l’aide de grilles d’évaluation.
L’évaluation empirique, quant à elle, consiste à interpréter les performances des usagers, à qui l’on prescrit une tâche, et plus généralement à interpréter leurs comportements, attitudes, opinions.
Nous admettons que ces deux types d’évaluation sont strictement distincts et complémentaires. L’évaluation par inspection permet de repérer rapidement des erreurs grossières et de diagnostiquer «pourquoi» tel ou tel aspect du dispositif de formation à distance est défaillant. L’évaluation empirique permet de voir moins rapidement l’ensemble des erreurs mineures et majeures, et de diagnostiquer ce qui ne va pas dans le dispositif de formation à distance, sans nécessairement en expliquer les raisons. Les trois dimensions de l’évaluation (utilisabilité, utilité, acceptabilité) se prêtent à ces deux types d’approches (par inspection, empirique). Nous renvoyons le lecteur à [TricotAl03b] pour une description de cette approche de l’évaluation, qui est disponible sur le web. Nous ne la développons pas ici.
Dans cet article, nous avons défendu une approche ergonomique de la conception de dispositifs de formation à distance utilisant les TIC, c’est-à-dire une approche qui vise à améliorer le travail des concepteurs et des utilisateurs de ces dispositifs. Cette approche s’inscrit dans le champ de l’ingénierie pédagogique et, plus précisément, dans le courant de l’ingénierie cognitive en pédagogie [Paquette02], [Tricot03]. Nous avons essayé de répondre à deux questions. Comment améliorer le processus de conception ? Comment aboutir à un dispositif qui facilitera et rendra plus efficace l’activité mentale des apprenants ? A la première question, nous avons répondu qu’il fallait sans doute proposer aux concepteurs une aide à l’élaboration et au partage d’une même représentation du but et du processus de conception, tout en les contraignant le moins possible. A la seconde question, nous avons répondu qu’il existait dans la littérature empirique des résultats qui viennent apporter des réponses aux problèmes d’apprentissage et d’utilisation avec ces dispositifs de formation à distance. Nous avons proposé une liste de questions qui devrait aider les concepteurs à élaborer ensemble une représentation du but et du processus de conception. Nous avons aussi proposé quelques références bibliographiques où le lecteur trouvera des exemples de résultats empiriques pouvant apporter des solutions de conception.
Cette articulation entre ergonomie, formation à distance et psychologie des apprentissages veut montrer qu’il existe de très nombreuses connaissances utiles aux concepteurs, mais que ces connaissances sont majoritairement ponctuelles et très dépendantes de la situation d’apprentissage, de son objectif, de son domaine de contenu, de ses apprenants. Il faudrait plutôt apprendre à capitaliser et à utiliser ces connaissances, évaluer en quoi elles améliorent effectivement le travail des concepteurs et des utilisateurs, plutôt que d’inventer encore de nouvelles méthodes.
Notre approche présente des limites importantes.
La plus importante est que nous n’avons aucune preuve empirique que notre approche fonctionne, qu’elle aide effectivement les concepteurs. Tout juste pouvons-nous témoigner d’une expérience de formateurs en ingénierie pédagogique, ayant "testé" notre approche sur des équipes venues se former dans notre institut. Il semble que quelques équipes (elles sont rares) aient adopté notre démarche. Contrairement à d’autres ingénieries (architecture, génie logiciel par exemple), notre problème en France n’est pas de proposer des approches souples de la conception à des équipes qui ne supportent plus les méthodes rigides. Notre problème est de faire découvrir à des équipes qui fonctionnent de façon artisanale qu’elles peuvent organiser leur travail, gagner du temps et être plus efficaces.
La seconde limite réside dans le faible nombre de références bibliographiques proposées. Les références empiriques en psychologie des apprentissages, en psychologie cognitive, en ergonomie, en didactique, etc. utiles au travail des concepteurs se comptent par milliers. Il faudrait réaliser un travail d’indexation de ces travaux, pour permettre de trouver des réponses précises et valides à des problèmes précis. C’est ce qu’ont fait certaines équipes dans certains des domaines que nous avons abordés. Dans le domaine des interfaces homme-machine par exemple, il existe les Novafiches http://www.amoweba.com/fr/novafiches.php qui sont payantes. Dans le domaine des relations entre images et textes, il existe la formidable revue de littérature de [Reinwein98], dans le domaine des hypermédias, celle de [DillonGabbard98], dans le domaine de la pédagogie par résolution de problème celle déjà mentionnée de [DochyAl03]. Nous nous efforçons de recenser ces méta-analyses, mais sommes absolument incapables d’en rendre compte dans l’espace d’un article. Indexer ces résultats relève sans doute plus de la conception d’une base de données que de la rédaction d’articles ou de manuels.
Ainsi notre article doit être considéré comme une pétition de principe et uniquement cela. Tout juste prétend-t-il à une certaine exhaustivité des questions posées. Des années de travail seront nécessaires à notre équipe pour développer l’approche défendue ici.
Les auteurs tiennent à remercier les experts anonymes de la revue pour la grande qualité de leur travail, ainsi que les membres de l’équipe de recherche technologique 34 "hypermédias et apprentissages" qui ont fourni la matière première de cet article : Jean-François Camps, Gaël Bardin, Gladys Lutz, Agnès Morcillo et Alban Amiel.
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André TRICOT possède un doctorat et une habilitation à diriger des recherches en psychologie. Il est maître de conférences à l’institut universitaire de formation des maîtres de Midi-Pyrénées. Il co-dirige l’équipe de recherche technologique « hypermédias et apprentissages » et effectue ses recherches au sein du Laboratoire Travail et Cognition, unité mixte de recherche du CNRS à Toulouse. Ses activités de recherche concernent l’analyse de l’activité humaine d’apprentissage et de recherche d’information dans des documents électroniques. La finalité de ces travaux est l’amélioration de la conception et de l’évaluation de documents pour l’apprentissage.
Adresse : Hypermédias
et apprentissages, ERT34
Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Midi-Pyrénées
56 avenue de l’URSS
31 058 Toulouse cedex- France
Courriel : andre.tricot@toulouse.iufm.fr
Fabienne PLEGAT-SOUTJIS détient un doctorat
en Sciences du Langage et est rattachée à l’Equipe
de Recherche Technologique 34 "hypermédias et apprentissages"
et au Centre Pluridisciplinaire de Sémiolinguistique Textuelle
de Toulouse. Elle enseigne à l’Institut Universitaire de
Formation des Maîtres de Midi Pyrénées, depuis 2001,
en tant qu’Attachée Temporaire à l’Enseignement
et à la Recherche.
Adresse :
Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Midi-Pyrénées - CERFI
56 avenue de l’URSS
31 058 Toulouse cedex- France
Courriel : fabienne.plegat-soutjis@toulouse.iufm.fr
André Tricot, Fabienne Plégat-Soutjis, Pour une approche ergonomique de la conception d’un dispositif de formation à distance utilisant les TIC, Revue STICEF, Volume 10, 2003, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 5/02/2004, http://sticef.org
© Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2003