Les limites actuelles de l'apprentissage collaboratif
en ligne
Michel Arnaud CRIS
SERIES
RÉSUMÉ
: Lexamen dune pratique collaborative à distance
au travers des trois premières promotions du DESS UTICEF
de Strasbourg 1, montre un éventail de comportements de la
part des étudiants allant de ladhésion à
la collaboration, à une préférence pour la
coopération et enfin à la persistance du travail en
solitaire. Ces attitudes sinsèrent dans trois profils
dapprenants : accrocheurs, sérieux, indépendants.
Notre analyse nous incite à rester prudents quand il est
envisagé dappliquer le modèle collaboratif à
des cohortes nombreuses en utilisant des outils informatiques permettant
de démultiplier laction des tuteurs.
1. Introduction
L’apprentissage collaboratif en ligne est un dispositif encore
nouveau dans les universités françaises et francophones
du Sud. L’observation des trois premières promotions du DESS
UTICEF (Utilisation des Technologies de l’Information et
de la Communication pour l’Enseignement et la Formation) de Strasbourg
1 a permis de mesurer les réactions des étudiants à
l’usage du dispositif d’apprentissage collaboratif proposé,
à savoir l’utilisation de salons virtuels de travaux dirigés.
Si une majorité d’étudiants sait en tirer profit,
une minorité reste réfractaire. Les réactions négatives
relevées dans cette analyse peuvent s’expliquer par la persistance
de pratiques caractéristiques de l’enseignement présentiel
encore prégnantes dans les usages et comportements qui s’installent
à distance. Les étudiants du DESS
UTICEF sont recrutés dans le cadre de la formation continue.
Ce sont des enseignants du secondaire et surtout du supérieur,
issus de disciplines variées, en provenance de toutes les zones
francophones du Sud, ainsi que des professionnels des secteurs public
et privé du Nord et du Sud. Ils s’inscrivent pour pouvoir
développer l’usage des TIC dans leur organisation, mettre
en ligne des cours dans leur spécialité par exemple, projet
personnel qu’ils doivent réaliser en fin de session sous
forme d’un prototype.
Il convient de replacer la présente analyse dans la perspective
d’une évolution possible dans le temps, qui ferait que l’apprentissage
collaboratif en ligne serait mieux accepté par davantage d’étudiants
plus familiers avec ce type de pratique, à l’image des formations
dispensées par l’Open University au Royaume Uni, la Téluq
au Canada, l’Université de Mons en Belgique, l’Université
de Genève. Toutefois, de nombreux échecs se sont produits
de par le monde et continuent à être constatés dans
le domaine de l’apprentissage en ligne, que ce soit au niveau des
outils, des dispositifs et des usages proposés. La première
phase du "e-learning" dans les entreprises
est retombée avec la bulle Internet en 2001. Le retour sur investissement
ne s’est pas produit du fait des coûts de mise en ligne des
contenus et de l’usage de plateformes propriétaires d’enseignement
en ligne, le taux de réussite étant par ailleurs trop faible
par rapport au taux d’abandon.
Les obstacles à la mise en ligne de formations universitaires
sont d’ordre technologique du fait de la complexité des réseaux
et d’ordre financier avec la nécessité d’une
masse critique d’inscrits pour amortir les coûts de production,
de diffusion et de suivi pédagogique. Par ailleurs, les concepteurs,
tuteurs et étudiants doivent acquérir des compétences
spécifiques pour pouvoir tirer profit des dispositifs proposés.
Les concepteurs doivent être formés pour que les contenus
soient présentés de manière propice à la collaboration,
de même que les tuteurs afin qu’ils s’adaptent au suivi
des échanges collaboratifs. Comme le remarque Peeters et al. [PeetersAl99],
les étudiants doivent développer des compétences
sociales.
L’apprentissage en ligne n’a pas de modèle de référence
parce qu’il n’y a pas de recherche qui en ait démontré
l’efficacité, du fait de la difficulté d’isoler
les variables entrant en ligne de compte. Aucune certitude n’existe
du point de vue de la psychologie cognitive sur le type exact d’interactions
entre l’étudiant, l’écran, le groupe virtuel
et le contenu en ligne : trop de variables sont concernées, comme
le font remarquer Tricot et al. [TricotAl98].
Les variables après coup permettent de mesurer le degré
de satisfaction des étudiants, la compréhension et mémorisation
des contenus traités, le contexte de l’activité d’apprentissage.
Mais comment définir l’activité mentale d’un
utilisateur d’hypermédia ? Comment mesurer l’apport
de la collaboration dans le processus d’écriture collective
du document d’équipe ? Comment évaluer l’efficacité
de tel ou tel outil dans le processus de collaboration, lorsque la mise
en situation introduit d’autres variables liées au comportement
spécifique de chaque étudiant ? Comme le note Cerratto [Cerrato99],
la médiatisation de la relation humaine s’ajoute à
celle des contenus. Pour être efficaces, les environnements d’apprentissage
collaboratif à distance avec usage d’outils d’échanges
synchrones et asynchrones demandent une forte médiation humaine.
2. Les profils selon les comportements et usages
des outils
Le DESS UTICEF est un diplôme dispensé
pratiquement entièrement à distance. Il comporte seulement
quatre jours de regroupement en début de session pour que les étudiants
se familiarisent avec la plateforme Acolad, mise au point par le
service commun de l’université Louis Pasteur (ULPMultimédia),
et toutes les fonctionnalités qu’elle propose : accéder
à son propre espace de travail (bureau virtuel), aux salons de
chats communs à toute la promotion, aux cours auxquels les
étudiants sont inscrits et aux séminaires virtuels par groupe
de 10-12 étudiants et par équipes de 2-4 étudiants,
utiliser le service permettant de communiquer en privé avec quiconque
se trouvant sur la plateforme.
Des contraintes temporelles sont données tout au long de l’année
de telle sorte que le travail de groupe soit rendu à un moment
donné dans le cadre de chaque module d’enseignement. La planification
du travail en découle au sein de l’équipe, ce qui
est censé éviter les dispersions et déperditions
d’énergie. La présence aux réunions synchrones
est obligatoire ; il y en a trois à quatre par module, réparties
sous forme de plages de plusieurs heures de chat. La question de
la disponibilité des participants se pose fréquemment du
fait de leurs occupations professionnelles, des jours fériés
et activités privées et de la compatibilité des plages
horaires. Il se produit une mise en perspective du travail réalisé
en solo et en groupe au cours de ces réunions qui servent à
valider et relancer le processus de production du document final si le
tuteur le juge nécessaire. Elles servent aussi à mesurer
le degré d’implication des étudiants concernés.
Au fil des séminaires virtuels suivis par les trois premières
promotions, soit 94 étudiants, l’observation des usages des
réunions synchrones et d’une manière générale,
l’étude des comportements, ont permis de dégager trois
types de profils, mis à part ceux qui ont des problèmes
de connexion. La distribution des variables (connexion facile, présence
aux séminaires, motivation pour le travail d’équipe),
permet d’opérer les premières différenciations.
La variable de la connexion facile a été conservée
dans le tableau permettant de définir les profils d’étudiants,
car elle représente en général l’excuse la
plus utilisée pour justifier l’absence aux réunions
virtuelles synchrones et la non participation aux échanges virtuels
asynchrones. Il existe par ailleurs des difficultés considérables
d’accès aux réseaux dans les pays du Sud. Le fait
de pouvoir facilement se connecter est encore le privilège des
personnes habitant dans les capitales du Sud. Par conséquent, 9
étudiants trop excentrés ont été exclus du
panel de l’enquête, bien qu’inscrits, afin de conserver
l’homogénéité des données et d’avoir
la possibilité de faire des comparaisons significatives.
La variable de la présence aux séminaires correspond à
la mesure de l’assiduité aux réunions virtuelles synchrones
obligatoires sur la plateforme avec le tuteur. Un premier groupe d’étudiants
se distingue parce qu’ils se donnent les moyens de disposer de tout
le temps nécessaire, soit que leurs institutions le leur ont accordé
soit qu’ils le prennent au risque d’empiéter sur leurs
obligations professionnelles et familiales. Ce groupe d’étudiants
s’accroche contre vents et marées aux plannings proposés
en début de cycle, et répond présent aux convocations
aux réunions virtuelles dans 90% des cas. Cette caractéristique
les fait définir comme "accrocheurs".
Les deux autres groupes ont moins de temps disponible, soit qu’ils
doivent s’acquitter d’obligations professionnelles incontournables,
réduisant d’autant leur disponibilité, soit qu’ils
ne ressentent pas l’obligation de venir sur la plateforme aux réunions
virtuelles synchrones. Ils se différencient par le temps consacré
aux réunions virtuelles synchrones avec leur tuteur : les
"sérieux" sont présents dans
60% des séminaire virtuels tandis que les "indépendants"
n’y viennent qu’à 30% du temps total de connexion demandé.
La variable de la motivation de l’étudiant pour le travail
d’équipe se mesure par l’observation de son implication
dans les échanges virtuels, telle qu’elle transparaît
dans les chats enregistrés au début des séminaires.
Elle correspond à la participation aux négociations au sein
de l’équipe, pour la définition des tâches,
leur répartition, le calendrier de réalisation permettant
d’établir le moment où chacun devra apporter le résultat
de son travail personnel au groupe. Ce moment fort où l’équipe
se soude ou n’arrive pas aux objectifs fixés, dure seulement
quelques heures, cruciales pour le bon déroulement de la suite
des opérations. Les "accrocheurs" montrent
leur forte motivation en participant sous forme d’apport collaboratif
à la presque totalité du temps d’échange consacré
à la mise au point des activités à venir, tandis
que les "sérieux" se contentent de consacrer
2/3 de leur temps d’échanges à cette question tandis
que les "indépendants" ne s’y
intéressent que pour la moitié du temps déjà
fort limité qu’ils consacrent aux échanges pendant
cette période.
A partir de ces trois paramètres, il a été possible
de quantifier le nombre d’étudiants entrant dans chacun des
trois profils : les "accrocheurs" sont 26 (soit
28% du total du panel), les "sérieux"
46 (soit 49%) et les "indépendants"
22 (soit 23%.). Le premier profil est perfectionniste par rapport au mode
d’échanges collaboratifs en ce sens qu’il ne compte
pas le temps passé dans les échanges et est par conséquent
très exigeant en termes d’engagement réciproque de
la part des autres membres de l’équipe. Le deuxième
profil est relativement détaché du rythme imposé
par la succession des séminaires à cause d’autres
contraintes liées à leur réalité professionnelle.
En effet, ce groupe a en général une pratique professionnelle
non interrompue pendant l’année du DESS et par conséquent
doit jongler entre les plages horaires prises par les obligations professionnelles
et celles normalement consacrées au DESS. Le travail demandé
par l’équipe est fourni souvent depuis le domicile, le soir
et en week-end. Le troisième profil, sans réel engagement
personnel pour collaborer, préfère travailler de manière
indépendante. Ces personnes se contentent de témoigner de
temps en temps de leur présence dans les séminaires lorsque
la pression devient trop forte de la part du coordinateur qui est chargé
de relancer les absents aux séminaires synchrones. Le résultat
est plutôt décevant du point de vue du tuteur car elles n’arrivent
pas à s’immiscer dans le processus de collaboration en ce
sens qu’elles n’adhèrent pas aux protocoles d’échanges
et d’élaboration d’une synthèse collective.
Tableau 1 : Profils des étudiants du DESS
UTICEF
Les deux autres variables étudiées sont la participation
aux réunions synchrones sans le tuteur et la collaboration à
l’œuvre dans le travail d’équipe. La première
tend à mesurer l’implication dans le travail d’équipe
au travers des enregistrements de chats consultables après
coup. Il s’agit de mesurer par rapport au total d’heures à
envisager en réunions synchrones sans tuteur pour mener à
bien le travail demandé sous forme collaborative, combien de temps
l’étudiant a vraiment passé en réunion à
cet effet. La deuxième variable tend à évaluer le
degré de collaboration au travers de l’examen des activités
de l’équipe, que ce soit les chats ou les versions
successives des documents d’équipe déposés
dans l’espace de travail correspondant. La collaboration correspond
à une véritable mise en commun d’éléments
rédigés par les équipiers, discutés et amendés
avant d’être fondus dans la synthèse réalisée
lors de la rédaction du document de travail final. Quand les étudiants
sont forcés de travailler en groupe, ils peuvent se contenter d’apporter
le résultat de leur travail à l’équipe de telle
sorte que leur partie soit jointe telle quelle au document global, ce
qui équivaut à une pratique de coopération et non
de collaboration. L’appréciation du tuteur est utilisée
pour évaluer le degré de collaboration de chaque membre
de l’équipe par rapport à un modèle parfait
qui consisterait à n’étudier que dans un contexte
collaboratif. Le pourcentage retenu équivaut à la mesure
du temps passé à travailler en collaboratif versus celui
passé en solo ou en coopération.
On voit dans le graphe ci-dessous que la présence aux réunions
synchrones avec le tuteur va de pair avec la participation active aux
échanges sans le tuteur et au travail collaboratif d’équipe
pour le profil des "accrocheurs" (à
peu près 100% des cas). Dans ce cas, on peut souligner la corrélation
entre la participation active aux réunions synchrones avec et sans
tuteur et celle au travail de l’équipe, qui est la marque
de fabrique en quelque sorte du modèle collaboratif du DESS UTICEF
et qui justifie aux yeux de ses concepteurs, la coercition exercée
sur les étudiants pour leur faire adopter ce mode de fonctionnement.
Par contre, les "sérieux" sont moins
souvent présents aux réunions sans tuteurs qu’aux
réunions obligatoires avec tuteur (80% des cas), mais participent
quand même aux échanges au sein de leur équipe pour
collaborer (40% de leur temps d’étude). La question est de
savoir quoi faire avec les étudiants réticents et jusqu’où
il convient de ne pas aller trop loin en terme d’imposition de comportement
d’apprentissage. Les "indépendants"
sont souvent absents des réunions synchrones sans tuteur (20%)
et s’investissent beaucoup moins dans le modèle collaboratif
proposé (10% de leur temps d’étude). On peut constater
que leur taux d’abandon et d’échec est plus important
que celui des autres profils.
Tableau 2 : Différences de comportement des
étudiants du DESS UTICEF
3. Contraintes liées au modèle
collaboratif
Les premières études relatives au CSCL
(Computer-Supported Collaborative Learning : apprentissage collaboratif
assisté par ordinateur) ont été menées en
France au CUEEP de Lille 1 depuis une dizaine
d’années par Derycke et d'Halluin [DeryckeHalluin95].
Il a été constaté qu’il fallait forcer les
étudiants à pratiquer la collaboration, qui ne leur était
pas naturelle, du fait du poids des habitudes et des méthodes transmissives
de leur passé. Chantal d’Halluin [Halluin01]
a noté à propos des usages du campus virtuel de Lille 1
dans les points d’accès mis en place dans les villes et villages
par les collectivités territoriales, que les étudiants n’utilisaient
pas les forums et ne collaboraient pas naturellement. Comme le remarquent
George et Leroux [GeorgeLeroux02],
il est nécessaire de créer les conditions pour qu’il
y ait une réelle activité collective entre apprenants afin
de les inciter à interagir. Mais leur donner des outils techniques
de communication est insuffisant pour les amener à interagir entre
eux.
Les contraintes pédagogiques accompagnant l’apprentissage
collaboratif ont pour objectif d'impliquer les étudiants dans le
travail de groupe. Une situation de coercition est installée sciemment
dès le début du DESS UTICEF
: les étudiants sont invités à se plier au modèle
proposé. La seule manière d’étudier proposée
est de résoudre les situations problèmes en travaillant
en collaboration avec ses équipiers, avec un système de
notation en partie fondé sur la propension à collaborer.
On observe en général des flottements et tergiversations
durant les deux premiers mois avant que l’habitude de travailler
en groupe ne soit vraiment prise ou bien complètement rejetée.
Les compétences transversales à acquérir concernent
des savoir faire relationnels à pratiquer sur les réseaux.
Les problèmes viennent essentiellement d’engagements partiels
qui ruinent la dynamique des équipes collaboratives. Très
vite au cours des sessions, les étudiants identifient ceux qui
s’investissent vraiment et ceux qui ne le font pas. Ces derniers
sont peu appréciés car ils ne jouent pas le jeu ; par
conséquent, leur présence au sein d’une nouvelle équipe
est contestée par les autres membres, si on leur en donne l’occasion.
Non seulement la disponibilité est un facteur important mais aussi
la capacité à produire les documents intermédiaires,
permettant d’élaborer ensuite le document de synthèse
de l’équipe. Le bouche-à-oreille fonctionne vite :
certains étudiants se retrouvent isolés, faute d’avoir
été acceptés par leurs partenaires, dans le cas de
la composition libre des équipes. Toutes ces informations liées
au comportement constaté, dessinent le profil de chaque étudiant
et vont le définir par rapport aux autres de manière permanente
au bout d’un certain temps de pratique collective.
3.1. Limites du collaboratif par rapport à la taille des groupes
tutorés
Fjuk [FjukLudwigsen01]
note à juste titre que les scénarios d’apprentissage
collaboratif fonctionnent mieux avec de petits effectifs. La Téluq
et l’Open University gèrent des groupes plus importants en
développant une ingénierie spécifique. Dans le DESS
UTICEF, une équipe composée de trois co-équipiers
semble être la bonne taille pour les projets collaboratifs, où
le troisième équipier est amené à jouer le
rôle d’arbitre quand un désaccord se produit entre
les deux premiers. Une équipe collaborative à quatre ou
cinq équipiers peut également fonctionner à condition
que personne ne cache son inaction derrière les autres. Les contraintes
liées à la taille des groupes se combinent à celles
relatives au rythme de travail demandé. Hotte [Hotte99]
note que certains de ces groupes arrivent à former des collectifs
intelligents d’apprentissage qui présentent un fonctionnement
en mode autogéré reposant sur la présence de leaders
de groupe.
En conséquence, la réaction du tuteur est attendue dans
un délai le plus court possible, selon le principe de réciprocité
: si l’équipe fournit des efforts importants, il est normal
qu’elle obtienne un retour du tuteur le plus rapidement possible
pour ne pas ralentir sa progression. Il s’agit en quelque sorte
d’un contexte de préceptorat qui requiert un taux d’encadrement
élevé et par conséquent cher. La pratique du DESS
UTICEF fait que l’implication de l’encadrement en la
personne du coordinateur, en plus des interventions personnalisées
du tuteur, doit rester forte pour pouvoir relancer les étudiants
dont la volonté de s’impliquer diminuerait. On peut considérer
que le modèle du DESS UTICEF impose,
outre un taux d’encadrement d’un tuteur pour 12/15 étudiants,
un coordinateur pour une quarantaine d’étudiants. Autrement
dit, appliquer un modèle collaboratif, implique un dispositif d’accompagnement
conséquent à mettre en place.
3.2. Limites du collaboratif par rapport à l’hétérogénéité
des groupes
Pour Reffay et Chanier [ReffayChanier02],
s’appuyant sur les travaux d’Homans, l’estime réciproque
pousse les étudiants à interagir de plus en plus entre eux.
Ceci justement peut poser problème. Le prédicat est vrai
dans le cas favorable d’étudiants motivés et de même
niveau, il est infondé dans l’autre. On constate en effet
avec le DESS UTICEF qu’une équipe
collaborative trop hétérogène ne fonctionne pas.
Pour créer une bonne dynamique, il vaut mieux mettre ensemble dans
un groupe collaboratif en ligne, des étudiants de profils et de
niveaux équivalents, avec des habitudes de travail similaires pour
supprimer les effets de bord liés au rattrapage de certains par
rapport à d’autres en termes de niveaux de connaissances
et aussi aux blocages de certains étudiants par rapport à
la pratique collaborative proposée. Où est l’intérêt
du conflit socio-cognitif dans ce cas, si tout se passe entre pairs partageant
les mêmes valeurs et objectifs, disposant à peu près
du même bagage linguistique et des mêmes connaissances déclaratives
? La notion de niveau pour former les groupes est contraire semble-t-il
à la philosophie de l’apprentissage collaboratif. Pourtant
la recherche de l’homogénéité entre co-équipiers
entraîne la création d’équipes différentes
avec des niveaux différents. Par exemple, on pourra demander beaucoup
plus en termes d’échanges collaboratifs à une équipe
d’accrocheurs qu’à une autre composée d’indépendants.
Scardamalia [Scardamania94]
reconnaît que les meilleurs élèves tirent le mieux
leur épingle du jeu collaboratif, comme dans tous les cas de figure
d’ailleurs. Ils apportent une plus forte plus-value intellectuelle
à la synthèse collective. Ils auront certainement tendance
à travailler ensemble bien qu’ils soient recherchés
par les autres. Quel est donc l’intérêt du collaboratif,
s’il ne concerne d’abord et avant tout que les meilleurs ?
3.3. Limites du collaboratif par rapport aux procédures d’évaluation
Les modalités d’évaluation sont une source de difficultés
du fait de la multiplicité des éléments à
prendre en compte dans un cadre collaboratif, en particulier ceux relatifs
aux échanges au sein du groupe de travail et à l’implication
de chaque participant. L’apprentissage collaboratif repose sur le
modèle socio-constructiviste tel que défini par Perret-Clermont
[Perret74],
avec une procédure d’évaluation plus complexe que
dans le modèle transmissif car il s’agit d’évaluer
non seulement les capacités d’assimilation et de synthèse
de l’étudiant comme dans le modèle transmissif mais
aussi sa propension à participer au travail d’équipe,
à entraîner ses camarades et à mettre à leur
disposition tout ce qu’il a accumulé dans le cadre de ses
recherches personnelles. Mesurer l’apprentissage collaboratif est
difficile : quelle proportion de la note est à consacrer à
cet aspect, le reste étant affecté à l’évaluation
du contenu (capacités de synthèse, d’expression écrite,
etc.) ? La construction de la grille d’évaluation s’appuie
sur la vérification de l’acquisition d’un savoir mais
aussi sur l’observation des comportements et la qualité de
la méthode de travail. La question non tranchée est celle
de l’évaluation des activités collaboratives. On peut
mesurer le degré d’implication de l’étudiant
dans l’équipe de travail collaboratif. Mais cette question
mérite d’être posée dans son intégralité
: peut-on sanctionner les étudiants qui ont la malchance de faire
partie d’une équipe qui n’a pas fonctionné en
collaboratif ? Comment faire la part entre la bonne et la mauvaise volonté
? Il a été souvent constaté dans les trois promotions
du DESS UTICEF que les équipes d’étudiants
sérieux se contentent de se partager le travail de rédaction
du document final sans collaborer, c’est-à-dire qu’elles
optent pour la coopération, qui consiste à travailler chacun
de manière isolée une fois que la répartition des
tâches est effectuée. Dans ces conditions, si le document
d’équipe rendu est de bonne qualité, faut-il baisser
la note parce qu’il n’a pas été réalisé
en collaboration ?
Dans ce contexte, est-il justifiable de donner aux tuteurs les outils
informatiques leur permettant de gérer plus d’équipes
collaboratives en même temps ? George et Leroux [GeorgeLeroux02]
s’appuient sur les travaux de Pléty du laboratoire d’éthologie
des communications de Lyon 2 et sur sa typologie d’élèves
répartis en modérateurs, évaluateurs, chercheurs
et indépendants, les deux premiers étant très impliqués
dans la collaboration, les deux autres beaucoup moins ou pas du tout.
Ils transposent la typologie de Pléty sur les comportements des
étudiants à distance avec l’objectif de donner un
outil informatique au tuteur lui permettant de savoir à quel type
appartient l’étudiant avec qui il interagit, basé
sur le relevé de ses interactions dans les groupes de travail collaboratifs
à distance. On peut en effet calculer le profil des étudiants
en fonction du taux de participation aux discussions virtuelles des différentes
équipes. De cette manière, le tuteur pourrait gérer
les cas qui vont demander son interaction directe, les autres étant
capables de se débrouiller entre eux. Reffay et Chanier [ReffayChanier02]
proposent de bâtir des graphes qui reflètent les échanges
au sein des groupes pour en mesurer la cohésion, basée sur
les échanges entre membres d’un groupe par courrier électronique,
forums et chats. Mais le premier résultat est qu’il
n’est pas possible, pour le moment, d’identifier les sous-groupes
les plus actifs vers lesquels pourtant la démarche était
orientée afin que le tuteur puisse être informé de
leurs performances. Il nous paraît hasardeux de développer
de manière systématique des procédures d’évaluation
reposant sur la participation aux équipes collaboratives. Outre
le fait qu’il n’est pas prouvé qu’on apprend
mieux de cette manière, il est exagéré de devoir
forcer les étudiants à adopter un modèle dont les
concepteurs sont persuadés de l’efficacité, sorte
de manière d’imposition unidirectionnelle en complète
contradiction avec l’essence du collaboratif qui est précisément
l’engagement personnel et volontaire mais en aucun cas forcé.
4. Conclusion
Les comportements liés à l’enseignement présentiel,
privilégiant le travail individuel, continuent à influencer
certains étudiants à qui il est demandé de s’adapter
aux pratiques de l’apprentissage collaboratif à distance
mais qui préfèrent travailler seuls. Ce modèle est
encore prégnant en France et dans les universités francophones
du Sud. Il est possible que ce type de résistance s’estompe
au fur et à mesure que l’habitude sera prise de travailler
en groupe. Toutefois, cette donnée ne peut pas être facilement
évacuée. De plus, d’autres questions se posent à
propos des pratiques de l’apprentissage collaboratif, en particulier
sur les procédures d’encadrement, de suivi et d’évaluation.
Les remarques précédentes nous poussent à adopter
une attitude prudente quand il est question d’appliquer le modèle
collaboratif à des cohortes d’étudiants plus importantes
en contournant le problème du nombre maximum d’étudiants
gérables en simultané par un tuteur. Les outils de suivi
pédagogique permettent certes d’obtenir les profils d’étudiants
à partir d’une analyse de leurs comportements dans les activités
collaboratives. Mais si le calcul du profil de comportement est au point,
quel en est l’usage pédagogique réel ? Il n’est
peut-être pas souhaitable d’extrapoler à partir d’expériences
collaboratives à petits effectifs pour en tirer des processus applicables
grâce au développement d’outils informatiques, à
de plus grands groupes.
Le tableau ne serait pas complet si nous ne mentionnions pas les communautés
d’apprentissage fonctionnant sans tuteurs et dont il faudrait se
demander si elles ne représenteraient pas une alternative à
prendre en considération. Les communautés de pratiques sont
largement utilisées dans ce contexte, comme l’a fait remarquer
Wenger [Wenger01].
Les échanges se centrent sur une tâche professionnelle et
concernent par exemple des médecins, des ingénieurs qui
veulent parfaire leur savoir-faire sur un aspect bien particulier de leurs
activités. Les experts du domaine étant les participants
aux échanges, arrivent à synthétiser leurs savoirs
en les échangeant avec d’autres. On peut penser que ce type
de communauté peut fonctionner selon une dynamique propre, sans
intervention systématique de l’enseignant.
Dans cette perspective, l’accent est à mettre plus sur les
échanges de données et d’informations entre apprenants
et enseignants que sur des comportements codifiés. La flexibilité
et la réactivité deviennent les critères dominants
pour mesurer la qualité de l’échange. Perriault [Perriault02]
souligne l’importance de nouveaux modèles cognitifs d’apprentissage
mobilisant l’induction, l’abduction, les capacité de
travail en équipe, et de l’ouverture de la sphère
de l’apprentissage en ligne vers des domaines tenus jusqu’à
présent séparés concernant la recherche d’information
et la gestion des connaissances. L’apprentissage en ligne est à
la recherche d’un nouveau modèle qui rendrait compte de la
diversité des usages présents et à venir. Ce nouveau
modèle devra répondre à l’objectif de faciliter
le plus d’échanges possible entre participants tout en privilégiant
la simplification des procédures d’accès aux informations
les plus pertinentes.
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Educatives, 5(4), 371-400.
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WENGER E. (2001). Supporting communities of practice :
a survey of community-oriented technologies.
http://www.ewenger.com/tech
A propos des auteurs
Michel
Arnaud, maître de conférences à l’Université
de Paris X Nanterre, a été responsable du DESS
UTICEF (Utilisation des Technologies de l’Information
et de la Communication pour l’Enseignement et la Formation)
de l’Université Louis Pasteur, dispensé à
distance auprès d’étudiants en France et dans
les pays francophones du Sud, en partenariat avec le TECFA de l’Université
de Genève, l’Université de Mons, l’Institut
Supérieur de Documentation de Tunis et l’Agence Universitaire
de la Francophonie. Il étudie les nouvelles configurations
d’accès au savoir en ligne sous l’angle de la
normalisation envisagée comme outil de démocratisation
des usages, dans le cadre de l’AFNOR où il anime un
groupe de travail sur l’apprentissage collaboratif et les
logiciels ouverts.
Adresse : CRIS SERIES
Université Paris X Nanterre
200 avenue de la République
92001 Nanterre Cedex
Courriel : michel.arnaud@u-paris10.fr
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